Margaux 1953, Chypre 1845, Libe nous fait le coup des mythes !

Chaque année, Luc , Libe, Lolive et moi même essayons de mettre au point une dégustation jalonnée de vins ayant marqué l'histoire. C'est un exercice périlleux que d'organiser un tel événement, seul, sans qu'aucun autre convive n'apporte de fioles. Mais que c'est excitant d''être animé d'une envie brûlante de gâter ses amis,et qu'il est bon de sentir cet élan de fraternité et de partage monter au fil des mois ! Ici il n'est pas question de participation financière ou de compétition d'ego. Seul l'amitié, le bonheur et l'envie de donner sont de mise !

Les Vavro nous ont préparés un gratin de macaronis qui sent bon l'Italie, ainsi qu'une viande dont la juste cuisson bleue nous fait rendre les armes. Pour ma part j'ai misé sur la fraîcheur d'un velouté glacé de fenouil et sur des écrevisses nappées d'une décoction de basilic et asperges au parmesan qui appellent la suite...

Libe ouvre les hostilités, mais c'est le doute et la stupeur qui s'emparent de lui quelques instants. Le Pol Roger n'a pas voulu vivre.

POL ROGER 1952

Un vin extraordinaire que j'avais servi quelques années auparavant et qui nous avait marqué à tout jamais Libe et moi. Cette fois il n'est plus que l'ombre de lui même et sa folle jeunesse a laissé place à un vin subtilement sucré avec une bouche hantée par le spectre de la serpillère. NN

CRISTAL ROEDERER 1979

Je l'ai bu il y a 15 jours, mais je ne retrouve rien de ce que j'ai ressenti à cette occasion. Le nez de pomme au four et de réglisse m'évoque plutôt un Bollinger d'une année modeste. L'attaque en bouche riche et gourmande rappelle furieusement un cidre, tandis que la finale est acidulée sur la granny smith. Le cordon est celui d'un vin à pleine maturité qu'il faut boire. Je pense à 1982. Je le trouve un peu mou et sans réelle complexité. Lorsque le nom de Cristal sort, je me tais, je ne veux surtout pas influencer la table. Il est tellement loin de ce que j'ai bu avant ! Où est passé cet incroyable parfum d'abricot frais ou de pain grillé digne d'un grand chardonnay ? Où est ce vin qui m'avait semblé bien trop jeune pour être bu avant 2020 ? Un coup de chaud à un moment donné de sa vie ? Ou encore un dosage différent pour l'export... Peut être... 90/100

BIENVENUE BÂTARD MONTRACHET 1976 Ramonet

Le nez de pain toasté, de miel et d'orange épicée me fait chavirer. Quelle beauté ! La bouche, puissante, est exotique à souhait. On pourrait presque croire l'espace d'un instant qu'il y a du sauvignon dedans ! La finale d'écorce d'orange et de gingembre nous fait tous grimper au rideau. A l'aveugle, je lance Bâtard Montrachet 1976 ou 1978 Ramonet. Il s'en est fallu d'un cheveu pour décrocher la timbale ! J'ai simplement eu un flash mettant en relief mes souvenirs du Bâtard 76 bu chez moi ... 96/100

BIENVENUE BÂTARD MONTRACHET 1976 Carillon

Libe fait très fort. Comment  diable a t' il fait pour dénicher une rareté pareille ! Trouver ce cru mythique de Carillon dans une année récente relève déjà de la gageure, alors imaginez le même vin âgé de plus de 30 ans ... Et puis quel bonheur de comparer deux vignerons emblématiques de ce cru dans une année de sécheresse très difficile à maîtriser dans le chai. Ramonet nous a donné une leçon de sang froid et d'équilibre juste avant, tandis qu'ici Carillon revendique l'extravagance, et se sert des conditions climatiques pour créer un véritable accident de la nature façon Cheval Blanc 1947. Le nez presque liquoreux de gaufre, de figue confite, et de noix fraîche évite le piège de la lourdeur grâce à la réglisse et cette envolée incroyable sur le safran. En bouche il cause fort, dans le registre des alcools. Cognac, Armagnac,  Marc avec un milieu de bouche tourbé et un côté sec qui le ferait presque lorgner du côté d'un Hermitage Chante alouette des années 50. La finale, encore une fois, nous ramène dans la subtilité de la Bourgogne avec une touche de citron confit et d'écorce d'orange. Un monument ! 98/100

CHÂTEAU MARGAUX 1953

J'avais goûté ce vin il y a près de 10 ans, mais il me semblait que je ne l'avais pas compris à sa juste valeur. En plus de cette 2ème chance, Libe réinvente la façon de servir Margaux, et cela me plaît bien. Seul pour lui même, sans aucun accompagnement, et en 1er, surtout... Les erreurs du passé comme Margaux 1928 après un Richebourg 1923 monumental nous ont servi de leçon. Je trouve que les grands critiques du monde entier oublient de préciser un fait d'une importance capitale avec ce château: Margaux est une dentelle qu'un rien peut détruire. Même dans une année tannique et dure comme 1928, il est caressant et subtile. C'est encore pire avec 1961. Et même les années récentes comme 1982 ou 1990 sont loin d'être des monstres de puissances. Alors pour tous ceux qui aiment les vins comme Latour ou Mouton, gardez votre argent et passez votre chemin...Plusieurs fois j'ai voulu insister, personne ne m'avait mis en garde aussi clairement que je le fait là et j'ai presque toujours été déçu. Aujourd'hui, je ne suis pas meilleur, mais mon palais a évolué, je comprends mieux ce type de vin, encore plus lorsqu'ils sont effectivement servis  de cette façon. Ce 1953 délivre un parfum envoutant de fraises, d'anis étoilée, de cuir et de sous bois. En bouche on note de l'eucalyptus, du chêne noble et de la réglisse. La griotte envahit le palais de façon impérieuse tandis que la finale s'étale sur une superbe minéralité parfumée de burlat juteuse. A l'aveugle, je suis sur un rive gauche des années 30 ou 1953, seule année aussi parfumée et dépouillée dans sa couleur. Décidément, je suis dans un bon jour. Quelle dentelle et quelle complexité ! Le plus grand Margaux devant 1929, puis 1959, 1990, 1982, 1928 ,1961 et 1983. 98/100

LA TÂCHE 1970

On ne gagne pas à tous les coups ! Je pense à une vallée du rhône...Le nez de viande , de tabac, de griotte et d'anis ressemble à un beau côte rôtie. La bouche pinote plus: La quetsch, la griotte et cette pointe de cèdre presque bordelaise, caractéristique des vieilles Tâche. Je suis le plus dur de la table, mais il faut dire que c'était un baptême pour beaucoup, et l'émotion l'emporte souvent des ces cas là. Pour le moment ce cru n'a jamais été à la hauteur de sa légende. Le 1945 ou 1966 ont approché les 98/100, mais pas de perfection. Les 1990 ou 1999 bien que prometteurs ne m'ont pas réellement embarqué. Ici c'est un petit millésime, mais dans ce même contexe, je trouve Petrus bien plus à la hauteur des louanges qui lui sont adressées. 90/100

HERMITAGE LA CHAPELLE 1966 Jaboulet

Il lui faut de l'air pour prendre ses aises. La conservation est impeccable. Il offre un nez antique de lard fumé, de cendre , de laurier et de pruneau. La main revient, je suis sur une Chapelle  69 à l'aveugle. La bouche est veloutée, à point, avec de beaux parfums d'herbes grillées, de noyaux et fruits noirs confits. Impeccable. 95/100

CHÂTEAU PICHON COMTESSE LALANDE 1945

Le disque est à peine tuilé ! Quel millésime de dingue. Le nez explose sur le chocolat, le café cappuccino, la noisette, le cuir et les herbes sèches. Toute la table penche pour un rive gauche des années 90 !!! En bouche le tanin est rugueux, tandis que la texture colle aux dents. On revient sur des notes de fève de cacao, de kirsch, de moncheri et de noyau. L'amertume de fin de bouche aurait pu nous mettre sur la piste ; il ne faut jamais se précipiter pour une analyse parfaite ! Un très grand  pauillac 1945 dans la droite lignée du Pontet Canet . peut être même supérieur... 98/100

CHYPRE 1845

Tout d'abord un petit clin d'oeil à François, qui le premier, a alerté le monde du vin sur la qualité incroyable de ce vin hors norme. Le nez éclate comme une bombe sur la nougatine, la cannelle, l'amande amère, la frangipane nuancée de levure et d'une pointe d'orgeat. La bouche s'est patinée de façon incroyable ; Tout semble en ordre, l'équilibre est magistral. La bouche est un festival d'orangette, d'écorce d'orange, de citron confit et de caramel brun. La finale frôle les 2 minutes de persistance. Comme je le dis souvent, en matière de vins anciens, il y a ceux que l'on aime pour leur conservation, que l'on est heureux de boire encore en vie, et puis il y a ceux qui se sont transformé au delà des 50 ans de garde, ceux qui ont crée de l'arôme. Chypre 1845 est de cette race. Je retrouve en tous points les sensations éprouvées 2 ans plus tôt. Il conserve la 4ème place de mon palmarès VDN-Liquoreux... 100/100

Merci encore à Libe pour ce moment unique et cette audace dans les choix et la façon de les servir. La prochaine fois c'est mon tour, il faudra s'appliquer !

 

Remarquez la taille ridicule du bouchon de Chypre 1845 à gauche ! Et pourtant, il a  parfaitement fait son travail pendant 164 ans !