Latour 1945, Trotanoy 1945, Clicquot rosé 1947, Chypre Ferré 1845... Un dîner colossal !

Direction Paris pour rejoindre François, sa famille, et quelques passionnés que je retrouve avec plaisir. Ce dîner était à la base organisé en l'honneur de son ami américain. Le volcan capricieux a malheureusement changé la donne puisqu'aucun avion n'a pu venir en Europe.... François a malgré tout décidé de maintenir le repas prévu en enlevant seulement deux vins rares.... Latour 1945 et Trotanoy 1945 ne semblent pas rares dans l'échelle du maestro ; Ca donne le ton !!!

J'avais prévu de mon côté d'amener Salon 1971, et Corton Grancey 1934. Mais dans la semaine, j'ai appris que l'anniversaire de François était la veille du repas. Ni une ni deux, je le recontacte en expliquant l'envie que j'ai d'amener un troisième vin. François étant un amoureux de Clicquot rosé ( 1964), je décide d'être un peu audacieux en tentant une année qu'il n'a jamais bu pour ce cru. Cela sera donc Cliquot Rosé 1947. Contrairement aux deux autres bouteilles que j'amène, celle-ci n'est pas parfaite. Le niveau flirte avec le bas de la coiffe. Inquiétant, mais pas forcément catastrophique, puisque ma technique "testing bulles" me permet de dire qu'il semble encore sous gaz. Mais cette fois mon testing ne me donne qu'une tendance... La probabilité d'avoir raison ne dépasse pas 70%.

Le dîner se passe au Laurent, l'un des restaurants les plus paradisiaques de Paris. La terrasse superbe n'est qu'à quelques mètres de la plus belle avenue du monde. Allez, il est temps de goûter ces vins, parmi les plus réputés du monde et de l'histoire.

Le menu se compose ainsi :

Feuilletés au parmesan

Rôties au thon fumé

Porchetta de cochon de lait et foie gras de canard en gélée au goût fumé

Saumon sauvage mi-cuit, macédoine de légumes, sauce verte

Tronçon de turbot nacré à l'huile d'olives, bardes et légumes printaniers dans une fleurette iodée

Carré et selle d'agneau de lait des pyrénées grillotés, rognon poêlé en persillade, haricots risina au jus

Pigeon rôti en cocotte, navets farcis aux abats et petits pois et morilles

Stilton

Blanc manger avec évocation de réglisse et une chantilly poivrée

SALON 1971

Un champagne qui fait parti de mon Top 30, et que j'avais adoré il y a quatre ans. Cette fois, je lui trouve moins de profondeur et de longueur, mais qu'on ne s' y trompe pas, cela reste un grand Champagne... Le nez très printanier, est une ode au beau temps qui s'est installé : Fleurs, bergamote et nougat sont quelques uns des parfums qui flattent nos narines. En bouche il est ciselé, très axé sur les agrumes et les minéraux. Un beau vin aérien à qui il ne manque qu'un poil de longueur pour avoir  la même qualité qu'auparavant.  L'autre bémol concerne évidemment le prix démentiel des vieux Salon, qui à mon sens, n'est pas justifié... Les Salon des années 70 sont actuellement au moins aussi chers que les Krug,et je pense qu'il y a d'autres maisons moins célèbres, mais aussi bonnes, à un prix nettement plus abordable. 94/100

DOM PERIGNON Oenothèque 1966 Magnum

Ce flacon en magnum est d'une beauté troublante, et lorsqu'on réalise qu'il est amené par " Monsieur Dom Pérignon" en personne, l'émotion est à son comble. Le nez jaillit du verre sur la noisette, le pain grillé ; On croirait humer un Coche Dury. Jean philippe y trouve des notes précieuses d'ambre, qui m'intéressent au plus haut point. L'aération donne une complexité folle au bouquet qui devient pulpe de marakoudja et fougère. La bouche est une caresse avec un gaz d'une jeunesse surréaliste. Richard nous fait un cours magistral sur les 2 vins : Salon misait tout dans la première phase, l'attaque, alors qu'ici le Dom P tient la note avec un sens de la continuité unique. L'abricot et le pamplemousse donne une fraîcheur, une gaîté au vin qui me réjouit. Il égale grâce à sa complexité le mythique 1962. 97/100

VEUVE CLICQUOT ROSE 1947

L'année 1947 est devenue très difficile à trouver, et lorsqu'il s'agit d'un rosé, l'affaire se complique encore... Je veux faire plaisir à François avec celui-ci, et je suis donc stressé lorsque le sommelier lui fait goûter... Sa mine semble sombre lorsqu'il place le verre sous ses narines. J'imagine que le vin est mort comme je le redoutais, mais non, car à ce moment là, François s'écrie " J'adore". OUF ! La couleur est effectivement rubis soutenue, très aguichante. Le nez est un ovni ! On reconnaît quand même le thé aux fruits rouges, la fraise macérée, le chêne noble, mais il est déstabilisant d'originalité. La bouche possède encore un pétillant fin qui porte agréablement la pâte de fruit, la groseille et le café. Très belle allonge. Un très grand rosé, pur et romantique à l'opposé du Pommery rosé 1959... 96/100

MONTRACHET 1971 Bouchard P&F 1971

Je suis excité de goûter à un mois d'intervalle le Chevalier et maintenant le Montrachet 1971 de chez Bouchard. Ce dernier offre la même couleur d'or patiné. Le nez de coquillages, de fumée et de silex, délivre par la suite quelques fragrances exotiques qui me rappellent notamment l'ananas. L'attaque en bouche est puissante, mielleuse, tandis que la finale amère est une décoction de gingembre et d'écorce. Il lui manque juste le volume et l'allonge superlative de son compère Chevalier. 93/100

CHÂTEAU TROTANOY 1945

Ce vin est un mythe dans le cercle fermé des amateurs de vins anciens. Encore plus rare que Petrus et presque aussi convoité que les Lafleur mise château. Le premier coup de nez m'envoie un jet puissant de truffe noire à laquelle se mêle une nuance subtile de vieille barrique ou de liège selon l'instant. Je laisse mon verre près de 45 minutes pour suivre l'évolution. Le sommelier m'a généreusement ajouté quelques gouttes du fond de bouteille. Très franchement après cette longue aération, les odeurs parasites sont à peine perceptibles. La truffe noire, le cèdre, le chocolat liégeois explosent comme un ouragan. En bouche, la richesse est hallucinante, presque moelleuse. Petrus 1945 était un monstre tannique, une montagne ! Ici le vin est tendance 1947, c'est à dire gorgé de soleil et d'alcool de fruits. Cette onctuosité est assez unique je dois dire, et je sais que, parfaitement conservé, ce vin serait entré directement dans mon Top 30, volant sans pâlir la vedette au Latour. Malheureusement l'histoire sera différente, car la finale est nette, mais comme le souligne Jean Philippe, on sent que la complexité et l'immense longueur manque à l'appel à cause du bouchon défaillant. Je retiendrai pourtant un vin incroyable, saturé de chocolat, de caramel, de charbon et de fruits noirs épicés en milieu de bouche, ainsi que ses senteurs de Truffe noires qui m'ont fait faire un détour dans le Périgord. 95/100

CHÂTEAU LATOUR 1945

La bouteille est sublime avec un niveau bas goulot ! Merci fois merci François ! Immédiatement je perçois des senteurs géantes de gibier mijoté, de menthe, de baies épicées et de cuir noble. Il y a quelque chose de monastique dans ce nez ! Tout en retenue, mais d'une complexité infinie... En bouche, c'est du génie. Les tanins ont l'épaisseur d'une sauce, mais sont en même temps totalement civilisés et fondus. C'est le premier 1945 que je bois dans cet état. Il n'a pas le côté sauvage, complètement indompté des autres compères de cette année unique en son genre. Les papilles sont noyées sous le flot aromatique de graphite, d'ardoise, de mûres, de cacao et d'eucalyptus. Ce Latour est d'une classe inégalable, bref, la définition de l'école "rive gauche" du Bordelais. Il n'a pas la folie du 1959, mais il le dépasse en élégance et en pureté. Entrée directe dans le top 30. 100/100

CORTON GRANCEY 1934

Je suis fier d'avoir amené ce vin, car les pinot avant guerre deviennent rares, et 1934 est l'une des années préférée des vignerons. le nez de tabac, d'anis, de petits fruits rouges et de torréfaction est un bonheur pour les narines. La bouche est voluptueuse, riche en alcool et très gourmande. On y retrouve les groseilles, le zan avec une touche de sang et de fer qui excitent les papilles comme certains 1945 de la côte de Nuits. je suis souvent déçu par la côte de Beaune, mais celui-ci est un bel exemple, parfaitement conservé. 94/100

BEAUNE TEURONS 1943 Bouchard P&F

Le nez est plus complexe que le précédent, mais la bouche manque à mon sens de sa richesse. On sent que le millésime plus froid lui a donné la pureté au dépend de la puissance. Là encore, on retrouve les petits fruits rouges et le tabac, ainsi que des notes de cuir, de cendre et de bois précieux. La couleur est aussi plus rubis gourmande que celle du Grancey. En bouche, il est sans concession, un peu austère, mais le goût de framboises épicées associées à la terre et aux minéraux est émouvant. Je préfère quand même la puissance qu'avait, par exemple, le Beaune Marconnets 1959 de la même maison. Je suis le seul à mettre les deux Bourgogne du jour au même niveau ; Ils ont chacun leur registre. L'histoire retiendra pourtant plus facilement ce 1943, car le laïus de François au sujet des Pinots qu'il aime, et sur ce qu'il aimerait qu'on retienne de lui pour la postérité est un grand moment d'émotion. 94/100

CHÂTEAU D' YQUEM 1987

 Le nez puissant de biscuit chaud, de miel, d'amande et d'agrumes confits nous conduit irrémédiablement à Sauternes. La bouche présente une belle complexité dans ce millésime un peu faible. On perçoit la réglisse, la datte, la prune enrobée de miel et le citron doux. Parfaitement à la hauteur de sa réputation,mais encore bien trop jeune !

François l'adore et je le comprends, car il est élégant et frais... 92/100

CHÂTEAU COUTET 1943

La couleur acajou est tellement belle que j'ai envie de manger la bouteille ! Le nez prodigieux est un mélange d'abricot caramélisé, de poire, d'orange sanguine, et d'amande. La bouche offre une sucrosité parfaite, comme je les aime : Puissante, mais patinée à souhait, bref, qui n'est jamais envahissante. On reconnaît le caramel salé, la figue, les orangettes et la fève de cacao. Ce liquoreux est un pur délice ; Alors merci jean Philippe, car les vieux Coutet ne sont pas légions sur le marché ! 95/100

CHYPRE FERRE 1845

J'ai la chance de boire ce vin mythique pour la 3ème fois, et si le je pouvais je procéderais ainsi pour tous les vins ! On ne comprend, en effet, totalement un vin ancien qu'au bout de plusieurs fois... Cette fois, le Chypre se présente dans une variante que je ne connaissais pas... "Ferré". Le flacon est d'une forme 18ème qui lui donne la classe pour trôner dans un musée. Toute la soirée, je taquine François à ce sujet, en le suppliant de pouvoir conserver la bouteille. Impossible de le convaincre. J'aurais du tenter de lui faire reprendre un verre de d'eau de vie !!!!!!

Je pense que cette version de Chypre est différente de l'autre, car je ne reconnais pas totalement le goût non plus... Je me demande si ce n'est pas le plus grand de tous. Le nez de résine, de menthol, de bougie et de réglisse est un paradis ! En bouche la liqueur est encore intacte et porte de façon impériale les parfums de pamplemousse, de thé à la menthe, d'eucalyptus et de cuir. La finale est un monument absolu, puisque le clou de girofle me fait retourner en Indonésie, tandis que le poivre de luxe me transporte chez les grands cuisiniers Français. 100/100

EAU DE VIE Felix Potin

Cette eau de vie très ancienne qui date probablement de la première moitié du 20ème siècle est un bonheur. On perçoit du safran et de la prune au nez, tandis que la bouche aux accents vanillés de rhum arrangé est très plaisante. 94/100

Cette soirée fut une réussite totale. Il est bien rare d'avoir une telle série de vin sans un seul "trou"... Les amateurs de vieux flacons savent de quoi je parle ! Je remercie encore du fond du coeur François pour sa générosité sans limites et son accueil chaleureux. Nous avons passé un moment d'amitié formidable, marquée par quelques discussions inoubliables. Du bonheur à l'état pur !