Haut Brion 1926, Gruaud Larose 1926, Carbonnieux 1937... Un casual friday de folie !!!!

C'est mon tour de préparer le fameux casual friday, organisé par François plusieurs fois par an. Je  suis motivé, et j'ai envie de faire plaisir à tous les participants présents. J'ai donc essayé de sélectionner des vins éclectiques, d'années et de régions différentes. Le choix est difficile, mais après plusieurs semaines d'hésitation, je me décide enfin pour 9 vins rares. François, étonné par tant de folie, me demande d'en retenir 7, ce qui est déjà énorme d'après lui.

Mon Gruaud Larose 1926 étant dans un état sanitaire parfait, je suggère à François de mettre Haut Brion 1926 en confrontation directe. Le maestro est joueur et d'une générosité sans limite, et il accepte donc avec grand plaisir cette idée qui lui plaît.

J'arrive vers 10H30 chez Gérard Besson, afin de préparer mes vins tranquillement. Le chef vient goûter chaque flacon, et commence à réfléchir à d'éventuels changements dans sa composition. Quel bonheur de voir "en live" la créativité d'un cuisinier d'exception ! Un moment rare et privilégié que je n'oublierais pas de sitôt !! François me rejoint vers 11H30, et c'est l'occasion de bavarder vins, vente aux enchères, dernières acquisitions... Bref des moments d'intimité et d'amitié comme je les aime !

A 13H, tout est prêt pour que le déjeuner étincelle de mille feux. Mon instinct me pousserait à mettre le Moet rosé en premier ; Il sera servi en guise de vin de dessert. Dommage !

Pour patienter et attendre les retardataires, François fait amener un Champagne : Bonne pioche !

COMTES DE CHAMPAGNE 1995

Il a besoin d'un peu d'air, mais après 20 minutes, il nous régale de parfums d'anis, de fruits exotiques, de bois fumé, et de truffe. La bouche est nerveuse, et la bulle intense réveille les papilles. La finale crayeuse à souhait me met de bonne humeur... 93+/100

ALFRED GRATIEN 1964

Un champagne que je connais bien et que j'adore ! Je n'ai aucun doute lorsque le sommelier remplit les verres. Je sais que c'est un grand 64, et qu'il va convaincre tout le monde. Le nez parfait d'humus, de silex, de pain grillé,  et de bois luxueux, le tout porté par des notes de bicarbonates légères, nous transportent de joie. En bouche le cordon de jeune homme donne du relief à la truffe blanche, au citron confit et à l'écorce d'orange. La finale offre de belles nuances épicées et minérales. 96/100

CHÂTEAU CARBONNIEUX Blanc 1937

J'ai confiance, car la couleur est belle, et le niveau haute épaule laisse augurer de belles choses. Le nez est une vraie claque ! Un créateur d'arômes.... Le caramel mou, la praline, la noisette grillée, le nougat et la poire réveillent l'enfant intérieur qui dort en moi. L'espace d'un instant je me retrouve en pleine fête foraine à OK Corral !

La bouche n'est pas en reste et affiche une jeunesse insolente. On reconnaît à nouveau le pralin, le chouchou, ainsi que de sublimes notes d'écorce d'orange et de mandarine. La vinosité est encore impeccable. Un immense Bordeaux blanc de l'histoire ! 97/100

CHÂTEAU PAVILLON BLANC 1929 Château Margaux

Un invité surprise nous fait l'immense honneur d'amener cette rareté. La couleur est moins ambrée que le 1928 ou le 1937. Dès le premier nez, je sais que l'on sera malheureusement loin d'atteindre la perfection de ces deux millésimes d'anthologie. Des notes agressives de lierre et de vieux champignons dominent l'ensemble. La bouche est encore parfaitement buvable, mais on est classiquement dans le type de vins anciens qu'il faut chercher à défendre. Le message est donc surtout historique.... L'air l'améliore nettement ! 80/100

MONTRACHET 1949 Diard

Le verre est foncé, et la couleur ambrée du vin n'est pas forcément significative, d'autant que le niveau est parfait. Cependant, c'est l'une de mes bouteilles qui me fait douter. J'ai donc en réserve un vieux Chante Alouette de Chapoutier.

Dès que le sommelier verse les premières gouttes, je sais que son heure est passée depuis belle lurette : La couleur brune est celle des vins blancs morts. Le nez est sans appel. Viande, vieux torchon.... La bouche tient à la vie avec un soupçon d'alcool, mais je n'ai pas envie de m'attarder sur ce genre de vieux boucs. Il est vrai que la sauce de Gérard Besson lui donne un soubresaut de vigueur, mais je suis bien plus attiré par le Carbonnieux ! NN

CHÂTEAU GRUAUD LAROSE 1926

La couleur est rubis intense, très lumineuse comme l'était le 1921... Le premier coup de nez est une vive émotion : Le Bordeaux parfait, sans le moindre défaut à l'horizon. Il se paie le luxe de pinoter en nuance comme le 1921. Des senteurs florales et petits fruits rouges nous sautent au visage. Ensuite, c'est le tour du cuir, du zan, du caramel brun et de la truffe. Quelle beauté !

En bouche, ce Saint Julien est d'une finesse confondante ; Je me répète, mais c'est pour mieux enfoncer le clou ! On dirait un clone du 1921... L'un des invité parle de vin "porte-jarretelle". En effet, tout est dit avec ce mot... Une dentelle, aux multiples facettes aromatiques. Après une heure dans le verre, l'acidité monte doucement ; Il perd donc un petit point. 98/100

CHÂTEAU HAUT BRION 1926

C'est mon premier Haut Brion avant-guerre... Tous les amateurs savent que celui-ci est le plus mythique au dire des initiés ! La confrontation est l'une des plus intéressante qu'il m' ait été donné de tester. On ne peut rêver styles plus opposés ! Comme on peut le voir sur les photos, ce Haut Brion est violet-noir comme l'encre, et ressemble donc à un vin de garage. C'est une vinification d'un autre temps, que l'on ne refera plus jamais. Aucun compromis n'a été fait ici...

Le nez offre une palette masculine de cuir frais, de cendrier, de résine, d'herbes sèches et de pruneau. Avec l'air il s'affine sur le jus de cassis frais, façon Mouton 1959. On se croirait au-dessus de la cuve. Des notes de bouillon et de "mon cheri" complètent dignement cette palette hallucinante. La bouche ne fait pas dans la dentelle : Elle me rappelle le chocolat noir et la ganache épicée du chocolatier Richart. On est saisi également par la tourbe, le charbon et les baies confites. Un immense vin, qui forcément ne plaira pas à tout le monde, du fait de son caractère entier et rebelle. Après deux heures, il continue de s'épurer et prend de belles notes fruités, très jeunes... Il gagne logiquement 1 point ! 99/100

CORTON GRANCEY 1959 Louis Latour

Ce mois-ci, l'héritier du domaine raconte dans une interview pour la RVF, que ce vin est sa plus grande émotion. J'ai donc très envie de boire cet exemplaire unique de ma cave... Le nez est d'une précision, et d'une pureté d'école :  Violette, rose, truffe, sous-bois et petits fruits rouges sont au programme. J'ai toujours été un poil moins enthousiaste que la critique sur ce grand millésime qu'est 1959, lui reprochant la plupart du temps un manque d'équilibre et surtout un vieillissement précoce. J'avoue, cette fois, rendre les armes devant une telle réussite.

La bouche impeccable est une essence de vin. L'espace d'un instant ce rôtie, cette ampleur alcoolique presque sucrée semble prendre la tournure d'un Châteauneuf, mais immédiatement le terroir parle et nous jette des groseilles et des minéraux sur la langue. Il est donc bien Pinot jusqu'au bout des oreilles. Les gens qui me lisent savent que la Côte de Beaune me déçoit souvent ; Pas ce coup ci et c'est tant mieux ! Un des monuments de mon panthéon. A la longue aération, son alcool se fait plus pesant, il perd donc un petit point.  98/100

CHÂTEAUNEUF LA BERNARDINE 1945 Chapoutier

J'ai longuement hésité sur le choix du millésime pour cette bouteille, avant d'opter pour celle-ci: La plus rare bien sûr ! Le niveau est à 4 cm, donc moyen en fait... J'ai un doute bien que la couleur soit lumineuse.

Le premier nez me rassure dans la seconde. L'hydromel, les épices rares, les herbes humides, les champignons frais, nous conduisent irrémédiablement dans le saint du saint de l'appellation.

La bouche est une essence de fruits, mais on fait facilement la différence avec le précédent. Ici le terroir apporte des épices et de la chaleur sans l'équilibre frais du Corton. Mais j'aime ce genre "années 40" que l'on ne fera plus jamais dans le sud Rhodanien. Ce style de vin était imaginé pour être bu 30 ou 40 ans plus tard. C'était une autre vie, ni meilleure, ni moins bien. Mais j'ai de la peine tout de même, car il y a peu de chance que la génération actuelle puisse connaître aussi cette façon de faire, ce goût moins politiquement correct. 96/100

MARESTEL 1934

Merci à Linda de nous faire connaître cette rareté. Les vieux Savoyards sont bien difficiles à trouver de nous jours ! Il affiche une jeunesse insolente.Certes la palette n'est pas des plus complexes, mais il a tout là où il faut. Un nez frais de citron, d'herbes humides, et d'écorce d'orange, et une bouche tout en finesse où la noisette côtoie les agrumes et les minéraux. La couleur d'un or lumineux est à tomber ; J'aime beaucoup. 92/100

MOET & CHANDON Rosé 1975

Alors là, je ne m'attendais pas à ça ! Certes je voulais que ce vin soit en premier, mais c'est surtout parce que je sais que les 1975 sont jeunes et un peu nerveux. De plus je connais par coeur la provenance de cette bouteille, et tout ce que j'ai bu jusqu'aux années 20 était parfait ! Là, nous sommes face à un vieillard, sans gaz, avec des odeurs ressemblant étrangement au Montrachet 49. Une daube infâme. A coup sûr un problème de bouteille malheureusement... NN

DOM RUINART 1996

Cédric a la gentillesse de commander ce magnifique flacon. Merci !  C'est sûr que sa jeunesse nous déboussolent totalement. Mais il a le mérite de mettre en valeur le reste ! Le nez de zan, et de fruits blancs demande une longue aération pour sortir de sa coquille. La bouche est fine, mais la bulle agresse un peu tandis que l'acidité et l'amertume dominent encore trop l'ensemble. On sent qu'il en a sous la pédale, mais il faut attendre au moins 15 ans, pour espérer prendre du plaisir. 89+/100

Lorsque l'on est passionné de vins anciens, on sait que la dégustation parfaite, sans "trous", n'existe pas ou très très rarement ! Alors en apportant 7 bouteilles, je savais bien qu'il y aurait certainement des vins en phase de mort clinique... Pour une fois, avoir non pas un mais deux vins "out" dans l'aventure ne m'a pas posé le moindre problème, tant le reste était rare et immense ! Nous avons passé un moment magnifique, avec une cuisine pertinente, mais en voie d'extinction malheureusement... Merci à François d'organiser toujours aussi parfaitement ce type d'évènements, et à bientôt j'espère.