Adélaïde Bauche se lie d’amitié avec le pharmacien Robert et son précieux témoignage


Par hasard, alors que nous participions à la transcription des mémoires d’Adélaïde Bauche, qui vécut à Rouen de sa naissance en 1797 jusqu’en 1845, nous avons découvert qu’elle avait bien connu le pharmacien en chef Robert. Son témoignage nous apporte même un éclairage précieux sur les raisons qui ont poussé Robert à quitter son poste et sa ville en 1822.

Karl Feltgen

Le manuscrit d'Adélaïde Bauche évoquant le début de la relation avec le pharmacien Robert (source AD76)

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Adélaïde Bauche vivait à proximité de l’Hôtel-Dieu, ses parents s’étant installés rue du Lieu-de-Santé, à l’angle de la rue Buffon. La famille était catholique et ils étaient tous de fervents pratiquants, la jeune sœur d’Adélaïde étant même entrée à la Communauté des Ursulines. Robert, comme nous l’avons dit, était logé au sein de l’Hôtel-Dieu voisin. C’est probablement par l’intermédiaire du curé de la paroisse, Germain-Adrien Ruffaut (1748-1820), que la famille Bauche fit sa connaissance. Soulignons ici que, lors de la création du nouveau comité central de vaccine de Seine-inférieure en 1816, le Préfet nomma parmi ses 20 membres, le pharmacien en chef Robert et le curé Ruffaut. Au-delà de cette proximité, Adélaïde Bauche nous précise que Robert était un ami intime de Mr Ruffaut et qu’il a régulièrement accompagné ce dernier pendant sa longue maladie, jusqu’à sa mort en août 1820. C’est à cette occasion que Robert se rapprocha de la famille Bauche. Adélaïde, qui rédigea ses mémoires en 1838, nous le décrit ainsi : 

« Il avait toutes les qualités qui peuvent rendre l’amitié agréable et sûre ; de l’esprit, de l’instruction, une belle âme, un dévouement à toute épreuve. Dans l’Hôtel-Dieu, au milieu de ses fonctions, il était d’une froideur glaciale. Un sentiment exagéré de ses devoirs, lui aurait fait se reprocher un sourire dans l'asile de la souffrance, mais lorsqu’il avait franchi le seuil de la porte, il reprenait sa gaieté naturelle. Il montrait parfois, un enjouement qu’on aurait appelé de la folie, si sa conversation ordinaire n'eût pas été aussi solide qu’attachante. Il nous témoignait une affection, que nous payions d’un juste retour ; et j’avoue que c’est une des personnes pour lesquelles, j’ai éprouvé avec le plus de vivacité cette amitié, qui a toujours été un besoin pour mon cœur. » 

A cette date, en 1820, Adélaïde était âgée de 23 ans et Robert de 30 ans de plus. Le pharmacien, lui aussi royaliste, fréquentait régulièrement la famille et il fut même invité à leur maison de campagne d’Esteville. Robert se mit à fréquenter quotidiennement Adélaïde pour lui enseigner la botanique mais, sur le conseil de son confesseur, qui craignait quelque danger à cette fréquentation, celle-ci finit par renoncer à ses leçons bien que son amitié pour « Monsieur Robert » fût « très vive. » Cette décision dût beaucoup coûter à la jeune fille mais son désir de soumission à la religion et à l’autorité parentale fut le plus fort. Quant au pharmacien Robert, qui était célibataire, s’il continua un temps à fréquenter la famille Bauche, son attitude envers eux changea assez brusquement dans le courant de 1822, comme en témoigne Adélaïde :

 « Mr Robert, qui passait rarement un jour, sans venir nous voir, rendit tout-à-coup ses visites excessivement rares, et il était si froid, si embarrassé qu’on ne le reconnaissait plus. Maman l’invita plusieurs fois à dîner ou à déjeuner avec nous sans cérémonie. Au lieu de s’en faire un plaisir, comme auparavant, il trouvait toujours des prétextes pour s’y refuser. Nous nous mettions l’esprit à la torture pour deviner quelle pouvait être la cause d’un si grand changement. Maman voulut un jour avoir une explication avec lui. Il répondit d’abord à ses questions d’une manière assez vague ; puis il finit par dire, d’un air tout-à-fait singulier : “Je ne suis pas digne de l’amitié que vous avez pour moi”. Loin de nous tranquilliser, une telle réponse ne pouvait que nous inquiéter davantage. Cependant nous ne pouvions nous persuader qu’un tel ami fut perdu pour nous. »

 Adélaïde souffrit de cette absence et de ce changement de comportement mais elle n’en eut l’explication que plus tard, nous apportant de précieux renseignements sur les derniers temps du séjour à Rouen de notre pharmacien :

 « Mais que j’étais loin de soupçonner ce qui nous privait de la présence de notre ami ! A notre retour de Rouen, nous connûmes la vérité dans toute son étendue. Mr Robert, cet homme si bon, si spirituel, si parfait pour ses amis, était attaqué depuis longtemps d’une espèce de maladie noire, qui avait dérangé son cerveau, au point d’essayer d’attenter à ses jours. Effrayé du crime qu’il allait commettre et n’osant se permettre de l’éviter au milieu de tant de moyens de l’accomplir, que lui offrait son laboratoire, il était allé confier à un ami sa déplorable situation, et celui-ci l’avait conduit à Paris. Dans l’espoir qu’on parviendrait à le guérir. »

Nous avons pu montrer que Robert finit en effet sa vie dans une maison de santé sise rue du Faubourg Saint Antoine à Paris, connue pour accueillir des malades souffrant de maladies mentales. C’est là qu’il s’éteignit, détruit par le chagrin et la mélancolie, à l’âge de 58 ans, le 29 septembre 1825.

Adélaïde quant à elle nous raconte avec retenue et pudeur comment elle vécut cet éloignement puis cette disparition :

 « Je me flattai longtemps qu’il recouvrerait la raison et que nous retrouverions notre ami. Combien de fois, en songe, je le vis arriver à la maison ! Comme mon cœur bondissait de joie ! Mais hélas ce bonheur ne pouvait plus être pour moi qu’un rêve. Au bout de quelques mois, nous sûmes que notre ami n’était plus. Je donnai des regrets bien sincères à sa mémoire : car, je l’avoue, Mr Robert est un des hommes auxquels j’ai été le plus attachée ; c’est un de ceux aussi, en qui j’ai trouvé la réunion la plus complète des qualités que je désire dans un ami. »

Sans vouloir faire dire à Adélaïde Bauche ce qu’elle ne dit pas, elle qui avait fait vœu de célibat dès 1818, et sans non plus vouloir romancer alors que nous ne savons rien des pensées de notre pharmacien, il nous est possible de supposer qu’il put avoir existé entre Adélaïde et Robert une histoire d’amour inavouée dont l’impossibilité a pu contribuer à conduire ce dernier vers la folie mélancolique, puis dans la tombe, après l’avoir obligé à quitter son poste de pharmacien en chef enseignant à l’Hôtel-Dieu de Rouen.