enfant et suicide

La souffrance des enfants est souvent mésestimée contrairement à celle des adolescents. Pourtant, le passage à l'acte suicidaire est un risque réel.

En l'espace de neuf jours, en janvier 2011, deux suicides d'enfants ont été annoncés dans les médias. Si le voile se lève doucement sur un sujet tabou, la souffrance infantile et l'acte désespéré qui peut en découler ne datent pas d'hier. Informer, alerter, développer les actions de prévention auprès des parents et des professionnels en lien avec l'enfance seraient pourtant des mesures à prendre pour éviter que ces tragédies ne se reproduisent.

Des enfants exposés à une grande fragilité psychologique

Au début des années 80, le docteur Christian Flavigny, pédopsychiatre à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, a été l’un des premiers à étudier le suicide infantile. Son travail démontre que les enfants ayant déjà franchi le pas de l'acte autolytique présentent une grande fragilité psychologique. Ils vivent généralement des situations difficiles: problèmes familiaux, maladies, deuils, traumatismes...

Il explique sur rmc.fr que pour ces êtres fragilisés le but n'est pas d'en finir avec la vie, mais avec un problème qui peut paraître insoluble. Il peut aussi s’agir d’un acte de vengeance, d’appel à l’aide, suite à un évènement que l’enfant ne peut pas ou plus accepter. Le docteur Flavigny explique que ce fait"déclenche alors un geste de désespoir, disproportionné. L’enfant ne mesure pas la conséquence de ce qui va se passer, il est dans la dynamique du geste suicidaire qui est d’essayer de rejouer la partie".

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Le trouble dépressif chez l'enfant prépubère a longtemps été ignoré et la réalité clinique de cette pathologie n'a été reconnue que dans les années 1970.

En effet, jusqu'à cette date, plusieurs auteurs soutenaient que la dépression-maladie n'existait pas chez l'enfant du fait de la maturation incomplète des instances psychiques. En revanche, le concept de "position dépressive" comme stade fondamental et normal du développement de l'enfant a fait l'objet d'une riche élaboration théorique, dans la première moitié du 20ème Siècle (M. KLEIN). Par ailleurs, les effets de la séparation chez le nouveau-né (SPITZ, 1946) et l'enfant (A. FREUD et D. BURLINGHAM, 1942) ont été étudiés, et l'existence d'une souffrance clinique a été reconnue.

A partir de 1970, plusieurs travaux ont relevé l'existence de "symptômes dépressifs" chez les sujets prépubères nettement différenciés par rapport au repli autistique et à la sémiologie de la psychose infantile. Ces observations ont conduit à l'hypothèse que si les enfants pouvaient présenter des symptômes analogues à ceux des adultes déprimés, il pouvait paraître important de poser le diagnostic de dépression pathologique dans cette tranche d'âge. Dès lors, et dans un souci de plus grande rigueur, les différents sens donnés au terme de "dépression" chez l'enfant ont pu être clarifiés, même si les critères diagnostiques et les méthodes d'évaluation ont été discutés, voire contestés.

Les experts ont largement exposé les points de convergence, mais aussi de divergence entre les différentes orientations et le jury a tenté de dégager les positions consensuelles.

QUESTION 1

    • Comment RECONNAITRE les troubles dépressifs chez l'enfant ?

      • 1 - Quels sont les signes cliniques des troubles dépressifs chez l'enfant ?

      • Un consensus s'est établi autour de l'existence de la dépression chez l'enfant.

      • L'épisode dépressif de l'enfant présente une expression clinique particulière : face à un enfant en retrait, au visage souvent sérieux, peu mobile, ou à l'air absent, il faut savoir rechercher l'humeur dépressive. De même en présence d'un enfant décrit comme irritable, agité, opposant et insatisfait, il faut penser aussi à mettre la tristesse en évidence. Humeur dépressive et tristesse, qui sont les caractéristiques de l'épisode dépressif, ne peuvent être perçus qu'à partir d'une écoute attentive et avertie.

      • L'expression sémiologique peut s'analyser à partir du discours et du comportement de l'enfant, et des propos des parents.

      • A partir du discours de l'enfant :

      • Les mots de l'enfant directement exprimés ou rapportés par ses parents sont explicites :

      • - "Je m'en fous" - "J'en ai rien à faire" perte d'intérêt et du plaisir - "J'ai envie de rien" - "Je suis nul" perte de l'estime de soi, dévalorisation, - "J'y arrive pas" impuissance - "Je suis méchant" - "C'est de ma faute" sentiment de culpabilité, de honte - "J'ai honte" - "Mes parents ne m'aiment pas" perte d'amour, sentiment de désespoir avec - "Personne ne m'aime" parfois idées de mort et de suicide - "Je n'y arrive pas, c'est trop dur" troubles de l'attention, de la concentra- - "Je comprends rien" tion - "Je sais pas, j'm'en rappelle pas" et de la mémorisation

      • Cette mise en équivalence des mots de l'enfant et de la sémiologie du clinicien ne doit pas se résumer à un décodage systématique.

      • Ainsi, la difficulté à se concentrer et à penser entraîne soit un évitement, un refus du travail scolaire, soit une obstination stérile de longues heures tous les soirs sur les livres et cahiers se soldant par une incapacité d'apprendre et de mémoriser. Dans les deux cas, on aboutit à un échec scolaire. A l'inverse, le surinvestissement et la réussite scolaire n'exclut pas la dépression.

      • A partir du comportement de l'enfant :

      • Si les troubles du comportement les plus bruyants sont les plus facilement repérables, ils ne sont pas les seuls à prendre en compte. L'irritabilité de l'enfant, une excitation débordante allant jusqu'à l'épuisement au détriment du jeu sont parfois au premier plan. On note alors le peu d'intérêt pour le contact avec autrui. Ces symptômes alternent avec des moments de repli et d'inertie motrice. Avec l'âge, la sémiologie marquée par l'instabilité, l'irritabilité, la colère peut devenir prépondérante par rapport à l'inertie et au retrait.

      • Des troubles de l'appétit peuvent également s'observer : plutôt un comportement anorectique dans la petite enfance et un comportement de boulimie ou de grignotage chez le grand enfant ou le pré-adolescent. Le sommeil est difficile à trouver avec souvent des oppositions au coucher, des refus d'endormissement, des cauchemars.

      • A partir du discours des parents et de l'entourage :

      • "Il n'est plus comme avant" "Je ne le reconnais pas" Ces phrases souvent entendues traduisent le désarroi des parents, face à la perception du mal-être de leur enfant. Parfois, l'intensité des troubles présentés par l'enfant les amène à dire : "Il n'est jamais content" "Il n'est jamais d'accord" "Il est méchant"

    • Cette connotation négative va dans le sens de la dévalorisation et de la dépréciation de l'enfant et réalise un véritable cercle vicieux dépressogène, auquel participe l'environnement, aussi bien familial que scolaire.

      • "On ne peut jamais lui faire plaisir"

    • Ce propos témoigne de l'impuissance ressentie par les parents.

      • Le tableau sémiologique est rassemblé par le clinicien et n'est pas forcément complet ni permanent. Dans l'entretien avec l'enfant seul, le praticien accordera une valeur importante au maintien des énoncés : "je ne sais pas, je ne peux pas, je n'y arrive pas", de même qu'à leur répétition dans le commentaire négatif du dessin : "c'est raté, c'est pas beau", ou encore à une sensibilité exacerbée aux jouets cassés. Ces constatations avec l'enfant seul renforcent les données de l'entretien avec les parents et confirment la probabilité diagnostique.

      • Un changement progressif, voire une rupture avec l'état antérieur de l'enfant constitue un élément d'orientation diagnostique. La durée de l'épisode doit être prise en compte. Elle est variable avec l'âge.

      • Cet ensemble sémiologique regroupe les signes caractéristiques de la dépression de l'enfant.

      • Pour évoquer l'épisode dépressif de l'enfant, il importe que soit retrouvée, à travers des modes d'expression divers, une souffrance reliée à la perte et au sentiment d'impuissance. Cette exigence rend caduque la notion de dépression masquée.

      • De plus il est important de préciser que :

      • - La dépression en tant que pathologie s'inscrit dans la répétition et/ou la durée. Elle doit être replacée dans une compréhension globale du développement de l'enfant.

        • - Les moments dépressifs, limités dans le temps, peuvent être compris comme un aménagement de la vie ou de la survie, une tentative d'obtenir une réponse adéquate de l'entourage, un processus de lutte que met en oeuvre le sujet de façon consciente ou inconsciente, pour préserver sa personne.

    • 2 - Quelles sont les particularités du tableau clinique des troubles dépressifs chez le nourrisson ?

      • Chez le nourrisson a été décrit, dès 1946, un état qui "chez l'adulte évoquerait une dépression" (SPITZ). Cet état d'apathie massive avec refus de contact et indifférence à l'entourage survenant dans des conditions particulières est encore d'actualité. Si le tableau clinique est rarement aussi complet que celui qui a pu être repéré dans certaines situations catastrophiques récentes (guerres, génocides...), il n'est pas rare de le retrouver avec des variations en fonction de l'âge, de la sévérité et de l'ancienneté des troubles.

      • Ce tableau de la dépression du nourrisson s'organise autour des symptomes suivants :

      • - un comportement du bébé sans pleurs ni larmes (atonie thymique) ;

        • - une mimique pauvre, des conduites répétées et monotones, un affaiblissement des réponses aux sollicitations (inertie motrice) ;

        • - une pauvreté interactive, une altération de la communication qui est amplifiée par le désarroi de l'entourage face à ce bébé qui ne répond pas. La vigilance apparente contraste avec la lenteur gestuelle et corporelle (repli interactif).

        • A cette triade s'ajoute :

        • - la désorganisation psychosomatique en rupture avec le développement antérieur du bébé : troubles des conduites alimentaires, arrêt de croissance, retard du développement psychomoteur, troubles du sommeil, troubles du transit.

      • Cette dépression du nourrisson est attribuée le plus souvent à la rupture des liens d'attachement, spécialement avec la mère à la suite d'expériences de séparation ou de perte. La pauvreté de l'interaction, l'absence ou le peu d'harmonisation affective lorsqu'ils se prolongent, sont tout-à-fait préjudiciables pour l'évolution du bébé. Cette situation peut se voir lorsque la mère, pour des raisons diverses, est rendue indisponible pour son bébé.

      • Dans d'autres cas, des conditions somatiques semblent être au moins partiellement en cause, notamment la douleur physique (souvent méconnue chez le bébé), certaines infections, des troubles nutritionnels, des complications périnatales.

      • Ces circonstances d'apparition parfois inapparentes ou insuffisamment repérées, doivent être recherchées dans un but de prévention.

      • Ces manifestations à la fois comportementales et somatiques traduisent la détresse du bébé face à ces ruptures. Il exprime par là, dans la relation avec son entourage et en particulier la mère, à la fois sa souffrance et un essai d'adaptation à une situation traumatique qui a désorganisé les interactions précoces.

      • 3 - Comment le pédiatre repère-t-il les troubles dépressifs chez l'enfant et le nourrisson ?

      • Le jury considère que l'intitulé de la question est trop restrictif et pense que l'ensemble de ce qui est dit ici concerne aussi les médecins généralistes comme les autres spécialistes intervenant auprès de l'enfant. Les médecins et les pédiatres occupent une place privilégiée dans le dépistage des premiers symptômes dépressifs en raison de leur bonne connaissance de l'histoire de l'enfant et de l'environnement familial. Cependant leur souci d'éliminer une cause organique devant toute plainte de l'enfant et leur implication essentiellement dans les affections somatiques depuis la naissance, les conduisent parfois à sous-estimer voire même à nier la dépression du nourrisson ou de l'enfant.

      • Le pédiatre repère la dépression en filigrane du discours parental et dans l'observation de l'enfant.

      • Il doit apprendre à observer et à n'intervenir qu'à bon escient. C'est souvent à l'occasion d'une banale consultation que l'on constate que l'enfant ne joue pas, qu'il gazouille peu, qu'il ne fait pas de sourires, qu'il ne veut pas parler, ou au contraire qu'il fait le pitre.

      • Le pédiatre commence alors une investigation à la recherche d'une étiologie simple et peut établir parfois une relation de cause à effet ; ailleurs, la situation lui paraît peu compréhensible.

      • Le rôle du pédiatre commence à la maternité :

      • Il lui revient :

      • - de faire la part entre une mère fatiguée, simplement déroutée par l'arrivée du bébé et une mère réellement déprimée ;

        • - de rencontrer le père ;

        • - de décider s'il faut contacter un "psy", la puéricultrice de secteur ;

        • - d'aménager la sortie de la maternité.

      • Auprès du nourrisson :

      • Le pédiatre est alerté par des pleurs incessants du bébé motivant des consultations répétitives. Il est réellement inquiet devant un bébé renfermé, "inattractif". Il s'intéresse aux échanges et aux modalités des communications (rythme et chronologie) et aux difficultés relationnelles. C'est sur un faisceau d'arguments associant signes développementaux, comportementaux et somatiques que le pédiatre évoquera un syndrome dépressif.

      • Chez l'enfant plus grand :

      • Le problème du pédiatre est de diagnostiquer derrière des manifestations somatiques d'allure banale (douleurs abdominales plus ou moins chroniques et isolées, céphalées) un trouble dépressif et de savoir à quel moment faire appel au pédopsychiatre, en tenant compte de la souffrance partagée, du vécu familial et de la capacité des parents à aider leur enfant.

      • Lors de l'hospitalisation et au cours des maladies chroniques, le rôle d'accompagnement de l'enfant déprimé et de sa famille revient le plus souvent au pédiatre.

      • Il doit pouvoir repérer avec des critères simples des situations dépressogènes ou des comportements dépressifs. Il a une place privilégiée pour une action préventive.

      • Dans un certain nombre de cas, le pédiatre peut assumer seul la prise en charge de l'enfant. Il devra, tout en évitant de tomber dans le piège d'une psychothérapie "sauvage", accompagner cet enfant qui souffre. Souvent, il est amené à envisager une collaboration avec le psychiatre, mais sa réalisation requiert un authentique "savoir faire", en fonction des réactions des parents.

      • Au total, il est essentiel de sensibiliser tous les médecins qui s'occupent des nourrissons et des enfants de l'existence d'états dépressifs à cet âge de la vie, dont on connaît bien maintenant la relative fréquence et les conséquences.

      • 4 - Quels sont les outils d'évaluation ?

      • L'évaluation quantitative chez l'enfant s'est considérablement développée au cours de ces dernières années à l'étranger. En France, l'emploi de tels instruments est resté longtemps limité. La première crainte a été de voir l'évaluation quantitative se substituer à l'entretien clinique habituel. Le deuxième problème provient du fait que la majorité de ces instruments ont été développés aux Etats-Unis ou en Angleterre et que leur utilisation en français nécessite une validation de la traduction.

      • Si l'évaluation standardisée de l'enfant présente un certain intérêt, elle doit être adaptée au niveau du développement de l'enfant et se soucier de la concordance entre les différentes sources d'information. Dans l'appréciation des troubles dépressifs de l'enfant est apparue une discordance entre les échelles remplies par les parents et les échelles remplies par les enfants ; les enfants sont les meilleurs informateurs sur leur propre état mental.

      • L'intérêt principal des échelles réside dans la recherche épidémiologique en population générale. Sur le plan de la recherche clinique, si elles peuvent présenter un intérêt, elles ne suffisent pas à établir un diagnostic et ne sauraient se substituer à l'appréciation clinique.

      • Il existe un grand nombre d'entretiens standardisés, structurés ou semi-structurés et d'échelles d'évaluation, mais le champ de la dépression est le moins bien exploré par ces modes d'approche. Parmi ceux qui ont été traduits en français, peu ont eu une validation clinique. Les plus connus sont :

      • - les entretiens standardisés KIDDIE - SADS et DISC-R ;

        • - les échelles C.D.I. et C.D.R.S.-R.

      • La C.D.R.S.-R., qui est la plus utilisée, poserait le problème de la non discrimination entre douleur et dépression, surtout chez le jeune enfant.

      • L'évaluation quantitative et standardisée des troubles dépressifs de l'enfant paraît importante. En épidémiologie, certains des instruments traduits et validés gardent leur intérêt. Actuellement, en évaluation clinique, aucune des échelles ou entretiens ne paraissent totalement satisfaisants au regard de la sémiologie et nous invitent à des recherches complémentaires.

      • 5 - Existe-t-il un accord sur les classifications de ces troubles ?

      • Si la dépression clinique chez l'enfant est unanimement reconnue, trois systèmes différents de classifications sont proposés.