Pierre Ottenheim


Pierre Ottenheim visite La Panne durant la guerre


Extrait du journal de Pierre fils du photographe Léon Ottenheim


Le 18 février 1915, profitant d'une période de repos, je vais à la Panne, voir ce que devient la villa de mon père. Voici la lettre que j'écrivis à ma femme Lucie à mon retour: (Pierre était mobilisé comme réserviste dans l’armée française)


" ... Or donc avant-hier, je fus à la Panne, mais quel la Panne! Un petit Paris tout simplement, les rues bondées de monde, boutiques ouvertes et superbement achalandées, villas toutes louées sans exception, plage noire de monde, enfin un la Panne tel que jamais je ne l' avais vu, même en Août, quand j'y allais dans le temps jadis. Ker Jeannic (la villa de Léon dans l’avenue des Pêcheurs) naturellement est louée, et occupée par des réfugiés de Dixmude, gens très bien à la vérité, et qui ont pris grand soin de tout ce que la villa contenait de fragile. La partie la plus éprouvée, peut-être, sera le bel étage, ou couchent des soldats, mais enfin tout cela sera réparable.

En face la villa toute neuve est occupée, pareillement la Villa bleue, ou d' ailleurs couchent les Jacques et leurs enfants, car leur maison du village est occupée par un Etat-major. Sur la plage, plus de bateaux, ni de cabines, mais des régiments entiers qui manœuvrent. Et tout cela fait bien du bruit, beaucoup de musique, bref un aspect tout nouveau de cette pauvre petite plage, si petite, il y a seulement une dizaine d' années. Des Tauben la survolent continuellement mais, croit-on, à cause de la Reine qui est bavaroise, ils n' ont pas encore laissé tomber des crottes. J' ai déjeuné avec les cousins, ils vont tous très bien et prennent leurs repas à la villa des Ancres qui est elle-même convertie, mi en hôtel pour officiers, mi en salIe ou couche la troupe. Au retour j' ai traversé Furnes: la grand-place est heureusement intacte, il n'en est pas de même pour le reste de la ville ... "

Lettre de Pierre Ottenheim à sa mère Jeanne


21 Février 1915

Ma chère Maman,

Avant hier j'ai été jusqu'à La Panne.

Je pouvais disposer d'une journée et j'en ai profité pour aller déjeuner là-bas. J'ai trouvé à la villa des Ancres la cousine Mathilde avec les Pierre et les Jacques et toute leur kyrielle d'enfants. J'ai naturel1ement été visiter (notre villa) Ker Jeannic, ne soyez donc pas trop inquiets à son sujet. La villa est occupée par une famille réfugiée : ce sont des gens qui ont l'air fort convenables, je n'ai pu voir le mari, sorti alors, mais sa femme a sauvé de la casse tout ce qu'elle a pu. Tout ce qu'il y avait de fragile au bel étage est rangé sur les tablettes du cabinet noir du premier, car dans la salle à manger, ce sont des soldats qui couchent. Le canapé à glace du fumoir est garé sur le palier du premier : la famille déjeune donc dans la pièce à coté de la cuisine: il y a je crois deux fillettes et une personne âgée qui occupent votre chambre : toutes celles-ci étaient très bien tenues et très en ordre. Cette dame, qui d' ailleurs a l'air de trouver ma visite fort naturelle, et enchantée de faire ma connaissance, m' a chargé de vous dire qu' elle prendrait le plus grand soin de la villa: leur maison est naturellement en ruines.

La maison neuve d'en face, la Villa bleue, le Petit Poucet, la Villa belle sont toutes occupées pareillement. Pas un coin de libre, le hangar de Benjamin, lui-même réquisitionné (Benjamin Dumont, inventeur du char à voile et qui devait décéder juste un an plus tard à I'áge de 26 ans). La plage noire de soldats, les rues à ne pas circuler, les hôtels rengorgent des familIes d' officiers, et tout cela présente une animation extraordinaire. Le tennis seul montre qu'il y a dans tout cela quelque chose d'anormal, il a été labouré par le génie: pense donc que c' est la dernière ville beIge complètement intacte, car si les Tauben la survolent continuellement, aucune bombe n'y est tombée, à cause de la reine dit-on qui est bavaroise. Et tout le monde est en très bonne santé, les enfants ont des mines superbes. La mer, plus un bateau, sauf devant Dunkerque quelques grosses masses sombres ; sur la plage, plus de cabines, mais leur grosse ruine échouée là, toute rouillée.

Je te remercie bien de ta bonne lettre. Je t'ai dit je crois dans ma dernière lettre que les deux colis m' étaient fort bien parvenus. Ils sont entamés et ont eu déjà de nombreux amateurs.

Au revoir ma chère Maman, je vous embrasse bien tous.

Pierre