13. Les débuts de la guerre d'Indochine

Après le retour d'Hô Chi Minh, la situation continue de se tendre en Indochine. Le Việt Minh entretient l'agitation en Cochinchine, par le biais d'une guérilla dirigée par Nguyen Binh, qui harcèle ou assassine les notables et les fonctionnaires vietnamiens pro-Français. Le gouvernement de Nguyễn Văn Thinh, à qui les Français n'ont guère donné de moyens ni de pouvoirs réels, est en outre peu soutenu par la population et attaqué par les milieux coloniaux qui lui reprochent sa mollesse: le 9 novembre, le président de la Cochinchine, découragé, se suicide; Lê Văn Hoạch lui succède. Au Nord du pays, en territoire Việt Minh, une assemblée constituante s'ouvre le 28 octobre et adopte neuf jours plus tard une constitution, la première de l'histoire du pays, qui ne fait aucune mention de la Fédération indochinoise ni de l'Union française. Le 14 novembre, cependant, l'assemblée ajourne la mise en vigueur de la constitution et donne au gouvernement d'Hô Chi Minh le pouvoir de gouverner par décret, instaurant de fait un pouvoir dictatorial au Nord. Convaincu de l'échec de la solution négociée, Giáp développe quant à lui les forces de l'Armée populaire vietnamienne. L'amiral d'Argenlieu et le général Valluy - qui a succédé à Leclerc à la tête du Corps expéditionnaire - souhaitent eux aussi en découdre avec le Việt Minh. Le 20 novembre, à Haïphong, des tirs visent un bateau français et des affrontements éclatent dans la ville. Le général Valluy ordonne à l'armée de prendre le contrôle de Haïphong. Le bombardement de la ville par l'artillerie française entraîne de nombreux morts civils, bien qu'aucun consensus n'existe quant au nombre de victimes: les Vietnamiens parlent de 20 000 morts, une estimation française de 6 000 morts, d'autres chiffres, plus modestes, de 500 à 1 000 victimes. Les incidents et les préparatifs militaires continuent de se multiplier et, le 19 décembre, les troupes Việt Minh tentent un coup de force dans Hanoï et ses alentours. Des dizaines de civils, blancs ou eurasiens, sont tués ou pris en otage; Hô Chi Minh, réfugié hors de Hanoï, lance un appel à la guerre à outrance. Les troupes françaises réussissent à reprendre le contrôle de la ville; le gouvernement de Hô Chi Minh a cependant pris le maquis. La guerre d'Indochine, conflit larvé depuis septembre 1945, est désormais une guerre ouverte.

Au début du conflit indochinois, les Français sont encore incertains quant à la stratégie à suivre et au statut politique des trois parties du Viêt Nam. Les troupes françaises reprennent pied, fin 1946, dans les zones stratégiques du Tonkin et de l'Annam. Le général Valluy vise avant tout à défaire militairement le Việt Minh pour que la «foule annamite» s'en détache; il entre dès lors en conflit avec Émile Bollaert, qui a remplacé l'amiral d'Argenlieu comme haut-commissaire et qui envisage de reprendre les négociations avec Hô Chi Minh. Les offensives françaises, si elles mettent à mal les positions de la guérilla Việt Minh, échouent cependant à détruire celle-ci, les effectifs du Corps expéditionnaire étant insuffisants pour mener de manière renouvelée les offensives nécessaires. Les Français, pour se garantir des appuis locaux, nouent des alliances avec les sectes caodaïste, Hoa Hao et Binh Xuyen, et comptent sur le soutien des catholiques vietnamiens. Sur le plan militaire, les troupes françaises ont, dans le courant de 1947, l'avantage en Annam et au Tonkin, mais les forces de Giáp se dérobent à l'affrontement et appliquent une tactique de la terre brûlée. En Cochinchine, la guérilla se montre très active applique une stratégie inspirée de celle de Mao durant la guerre civile chinoise. Le gouvernement français demeure partagé entre la poursuite de la guerre et l'ouverture de négociations, qui pourraient ou non inclure le Viet Minh. Hô Chi Minh lui-même fait des gestes envers les Français, qui exigent cependant de leur côté l'arrêt de la guérilla: les contacts entre le chef du Việt Minh et Paul Mus, conseiller de Bollaert, n'aboutissent à rien de concret. Les nationalistes vietnamiens non communistes refusent quant à eux que les Français traitent avec le Việt Minh. Une solution politique semble finalement se profiler en la personne de l'ex-empereur Bảo Đại, installé à Hong Kong depuis 1946 - et toujours officiellement conseiller du gouvernement Việt Minh qui semble envisager de jouer les médiateurs. Des contacts sont pris avec Bảo Đại qui, en septembre 1947, émet enfin une proclamation officielle dans laquelle il prend position contre le Việt Minh et se propose en arbitre.