11. Vietnam dans la Seconde Guerre mondiale

En juin 1940, la débâcle française en Europe amène le Japon à tenter d'imposer ses vues aux Français: face à la menace militaire japonaise, Catroux cède et accepte de laisser les Japonais contrôler les transports de marchandises vers la Chine. Le gouvernement de Vichy décide alors de le limoger et le remplace par l'amiral Jean Decoux. La passation de pouvoirs a lieu le 22 juillet; Vichy signe ensuite avec le Japon un accord reconnaissant la position privilégiée du Japon en Extrême-Orient. Mais Decoux tarde à appliquer la convention militaire, au point que le 22 septembre, l'armée impériale japonaise pénètre au Tonkin, envahissant l'Indochine. Lạng Sơn tombe et des troupes japonaises débarquent dans la région de Haïphong. Malgré l'humiliation constituée par cette violation de territoire, un cessez-le-feu est conclu; l'Indochine française demeure pour la durée du conflit un lieu de transit pour les soldats japonais, qui respectent en retour la souveraineté française en Indochine. Le Japon joue également les médiateurs pour mettre un terme, dans les mois qui suivent, au conflit entre la France et la Thaïlande. À partir de juillet 1941, les accords Darlan-Kato régissent les rapports en Indochine entre Vichy et le Japon et les troupes japonaises peuvent stationner dans l'ensemble de l'Indochine, jusqu'en Cochinchine.

L'amiral Decoux s'efforce de maintenir avec les Japonais un modus vivendi et de préserver la souveraineté française. Les Japonais, de leur côté, s'abstiennent de soutenir officiellement les nationalistes vietnamiens, tout en maintenant des liens avec divers groupes indépendantistes, comme les partisans du prince Cuong Dê, ainsi qu'avec les sectes caodaïste et Hoa Hao. La Sûreté française fait à plusieurs reprises arrêter des nationalistes de diverses obédiences, tandis que les Japonais font obstacle à la répression en transportant leurs protégés à l'étranger. À Saïgon, Ngô Đình Diệm est placé sous la protection du quartier général japonais. Les Français ont les coudes plus franches pour combattre les insurrections communistes. Des forces armées liées au PCI agissent durant plusieurs mois à Lạng Sơn, et en novembre-décembre 1940, une insurrection communiste, sévèrement réprimée, a lieu en Cochinchine. Decoux impose fermement le maintien de l'ordre et se montre tout au long de la guerre fidèle au régime pétainiste: les agents de la France libre ne parviennent pas à prendre pied en Indochine. Tout en réprimant les indépendantistes et en important en Indochine la législation de Vichy, l'idéologie de la Révolution nationale et le culte du maréchal Pétain, Decoux s'emploie à flatter le sentiment national des différents pays de l'Indochine. L'administration est davantage ouverte aux autochtones et un Conseil fédéral est créé: si l'assemblée n'a qu'un rôle consultatif, les indigènes y sont majoritaires. Le nom de Viêt Nam, auparavant interdit, est employé par le Gouverneur général. Decoux fournit en outre de réels efforts en direction des autochtones, par une politique de grands travaux et d'amélioration des infrastructures, et un développement de l'instruction.

Au printemps 1941, Nguyen Ai Quoc franchit la frontière chinoise et pénètre secrètement au Tonkin, revenant au pays après trente ans d'absence. Dans la grotte de Pác Bó se déroule le «8ème Plénum» du Parti communiste indochinois: Nguyen Ai Quoc impose aux militants la création d'un «front commun» destiné à rassembler tous les «patriotes» vietnamiens pour lutter contre les Japonais et les Français. Cette nouvelle organisation, qui remplace l'ancien Front démocratique indochinois, prend le nom de Viêt Nam Doc Lap Dong Minh Hôi (soit Ligue pour l'indépendance du Viêt Nam), abrégé en Việt Minh. La surveillance des autorités coloniales oblige la plupart des dirigeants du Việt Minh à continuer de résider en Chine du Sud; ils y sont tributaires de la bonne volonté du camp nationaliste de Tchang Kaï-chek qui, visent à étendre son influence en Indochine, suscite l'union de divers groupes indépendantistes vietnamiens, dont le Việt Minh et le VNQDD, au sein d'une «Ligue révolutionnaire du Viêt Nam» (Dong Minh Hoï). Les Chinois favorisent d'abord d'autres groupes que le Việt Minh: Nguyen Ai Quoc est arrêté en août 1942 par le gouvernement du Kuomintang. À l'été1943, son entourage prend contact simultanément avec l'OSS - les services secrets des États-Unis - et le gouvernement chinois, pour demander la libération du «délégué Hô Chi Minh», nouveau nom adopté par Nguyen Ai Quoc. Le Dong Minh Hoï végétant et les Américains cherchant des personnes sur qui compter en Asie du Sud-Est, les Alliés décident de miser sur le Việt Minh, qui se présente avant tout comme nationaliste et non comme communiste. Les Chinois libèrent Nguyen Ai Quoc, alias Hô Chi Minh, qui entre alors avec Phạm Văn Đồng au comité directeur du Dong Minh Hoï. En Indochine, les hommes du Việt Minh animent à la fin 1943 des maquis dans les zones montagneuses près de la frontière chinoise et prennent temporairement le contrôle de divers villages, mais les autorités coloniales multiplient les patrouilles et les forcent bientôt à se replier. Hô Chi Minh entre comme ministre en 1944 dans un «gouvernement provisoire» vietnamien créé avec le soutien de Tchang Kaï-chek. Se désintéressant du Dong Minh Hoï, il multiplie les contacts avec les Américains. À l'hiver 1944, les guérilleros Việt Minh se manifestent à nouveau en Indochine en attaquant quelques postes français. Võ Nguyên Giáp s'occupe d'organiser les troupes Việt Minh, qui constituent l'embryon de l'Armée populaire vietnamienne.

Au début de 1945, l'administration mise en place par Vichy est toujours en fonction en Indochine française, tandis que de Gaulle a désigné le général Mordant comme responsable des réseaux de résistance contre les Japonais, avec la tâche de préparer la libération de l'Indochine. Decoux, tardivement informé, est censé couvrir Mordant. Entretemps, la situation des Japonais dans la guerre du Pacifique devient de plus en plus critique: en janvier 1945, les Alliés réalisent des bombardements sur la péninsule indochinoise, coulant une quarantaine de navires japonais. Les Japonais décident alors de prendre le contrôle de l'Indochine française pour y éviter un débarquement allié qui couperait leurs voies de ravitaillement. Le 9 mars 1945, l'Armée impériale japonaise, dont les effectifs en Indochine ont été considérablement renforcés, réalise un coup de force contre les Français; Decoux est arrêté, Mordant capturé, et l'armée française d'Indochine, attaquée par surprise, démantelée en moins de 24 heures. Une partie des troupes françaises parvient à se réfugier en Chine, tandis que des petits groupes mènent la résistance.

Les Japonais, ayant pris le contrôle de l'Indochine, pousse les souverains des différents États de l'Union indochinoise à proclamer l'indépendance de leurs pays respectifs. Plutôt que de mettre sur le trône leur protégé Cường Để, qui attend vainement son heure au Japon, ils privilégient la stabilité en maintenant en place Bảo Đại. L'empereur, prévenu après-coup par les Japonais, obtempère et annonce la réunification de l'Annam et du Tonkin, sous le nom d'Empire du Viêt Nam. La Cochichine, administrée directement par les Japonais, demeure cependant séparée des deux autres ky. Après avoir un temps songé à mettre Ngô Đình Diệm à la tête du gouvernement, les Japonais choisissent un nationaliste plus effacé, Trân Trong Kim, comme Premier ministre du Viêt Nam. Mais le nouveau gouvernement est vite confronté à un manque criant de moyens, qui l'empêche de gérer la dramatique famine qui s'est déclarée en début d'année au Tonkin. La mauvaise récolte, les politiques de réquisitions des Japonais et la désorganisation des communications se conjuguent en effet pour causer, principalement dans le Nord du pays, l'une des pires famines de l'histoire du Viêt Nam, causant au bas mot plusieurs centaines de milliers, voire un million, de morts.

Au fil des mois, le Việt Minh s'enhardit, sa propagande bénéficiant de la déstabilisation des sociétés rurales. Les Américains, peu favorables aux colonialistes français, privilégient désormais les nationalistes vietnamiens par rapport aux Français dans les opérations envisagées contre les Japonais. Hô Chi Minh et son entourage quittent leur refuge à l'extrême nord, descendent le long du Delta. Au début du mois d'août, le gouvernement de Trân Trong Kim, débordé par la situation catastrophique du pays, remet sa démission. Le 14 août, après les bombardements atomiques, le Japon annonce sa capitulation. Le même jour, les Japonais réunifient la Cochinchine au reste du territoire vietnamien. Hô Chi Minh, de son côté, se sent assez fort pour rompre avec le «gouvernement provisoire» soutenu par les Chinois, crée un Comité de libération nationale entièrement dominé par les communistes, et lance un mot d'ordre d'insurrection générale pour prendre le pouvoir avant que les Français ne puissent revenir. À partir du 17 août, le Việt Minh organise des manifestations dans Hanoï, et s'empare des bâtiments officiels, déclenchant l'épisode dit de laRévolution d'Août. Le général Leclerc arrive à Kandy (Ceylan) pour préparer l'entrée en Indochine du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient qui avait été mis sur pied pour combattre les Japonais, mais il apprend sur place qu'en vertu des accords de Potsdam, dont les Français ont été tenus à l'écart, le Royaume-Uni doit débarquer au Sud de l'Indochine pour désarmer les Japonais et maintenir l'ordre, tandis que la République de Chine fera de même au Nord; les troupes françaises ne peuvent pas encore débarquer. Pierre Messmer et Jean Cédile, parachutés en Indochine pour y représenter le GPRF, sont capturés, l'un par le Việt Minh, l'autre par les Japonais. Le Việt Minh prend le contrôle de Hanoï presque sans coup férir; le 26 août, les Japonais acceptent de laisser les forces armées indépendantistes rentrer dans la ville; dans l'ensemble du Viêt Nam, à l'exception de quelques accrochages, les Japonais opposent peu de résistance au Việt Minh, préférant laisser le territoire aux nationalistes asiatiques plutôt qu'aux colonisateurs blancs. Les militaires français sont maintenus en détention par les Japonais pendant que le Việt Minh prend le contrôle du Tonkin et du Nord de l'Annam. À Hué, Bảo Đại, dépassé, tente vainement de faire reconnaître l'indépendance de son pays par les puissances étrangères. Ayant reçu de Hanoï un message qui le presse d'abdiquer, il s'exécute le 25 août, et remet les insignes de sa souveraineté à une délégation du Comité de libération nationale. En Cochinchine, le Việt Minh a plus de mal à imposer son autorité face aux autres groupes nationalistes vietnamiens, mais parvient à créer un Comité exécutif provisoire, dominé par les communistes. Hô Chi Minh arrive àHanoï fin août; le chef du Việt Minh est alors peu connu et la plupart, y compris au sein des Alliés, ignorent qu'il est la même personne que Nguyen Aï Quoc. Jean Sainteny, envoyé par le GPRF, arrive au même moment, mais est maintenu à l'écart par les Japonais, tandis que le représentant de l'OSS pactise avec Hô Chi Minh; ce dernier, dont le pouvoir est encore très fragile, s'emploie à consolider ses assises et à se concilier les Alliés. Le 28 août, le Việt Minh forme un gouvernement provisoire; Bảo Đại, désormais appelé «citoyen Vinh Tuy», y occupe une fonction de conseiller. Le 2 septembre, jour de la fin de la Seconde Guerre mondiale, Hô Chi Minh proclame l'indépendance du pays au nom du Gouvernement provisoire de la République démocratique du Viêt Nam.