01. Origines du Vietnam et histoire légendaire

Le Vietnam est un pays issu d'un brassage ethnique complexe. Jusque dans les années 1960, les récits sur les origines du peuple Viêt se sont principalement basées sur des sources chinoises: selon celles-ci, le peuple vietnamien serait d'origine chinoise, et descendrait des populations Yue ayant migré vers le Sud. Le mot Yue, traduit en Vietnamien par Viêt et signifiant «au-delà» ou «lointain», désignait alors pour les Chinois l'ensemble des peuples vivant au sud du Yangzi. Ces populations, d'ethnie Muong et Thaï, se seraient mélangées, au cours de leur migration vers le Sud, avec d'autres peuplades, les Mélano-indonésiens, qui auraient eux-mêmes, par la suite, migré vers l'Insulinde. Ce mélange aurait donné naissance au peuple des Viêt, longtemps appelés en Occident Annamites, par métonymie avec l'Annam. Dans les années 1920, des recherches archéologiques ont fourni des indications sur une civilisation antérieure à ces migrations, qui aurait existé au Nord de l'actuel Viêt Nam. Depuis les années 1960, des archéologues vietnamiens se sont employés à prouver l'existence de cette civilisation, qu'ils font remonter à 4000 ans avant Jésus-Christ. Des découvertes tendent à indiquer que des États ont existé au Viêt Nam entre 2878 av. J.-C. et le troisième siècle av. J.-C., voire au-delà: selon la vision vietnamienne de l'histoire, le berceau du Viêt Nam se situerait dans le delta du Fleuve Rouge et non dans la région chinoise du Yangzi.

Faute d'histoire écrite, le récit de l’ethnogenèse du peuple viet se confond avec la légende. Le peuple Viet serait né des amours de la Reine fée Âu Cơ, issue du Feu et du Seigneur dragon Lạc Long Quân, issu de l'Eau: mariés malgré leurs natures différentes, ils auraient donné naissance à cent œufs, d'où seraient sortis cent enfants. L'Eau et le Feu ne pouvant demeurer mariés, Lạc Long Quân et Âu Cơ prennent la décision de se séparer. Cinquante de leurs enfants descendent vers la mer, guidés par leur père, et cinquante autres suivent leur mère sur la montagne, pour y constituer les peuples montagnards minoritaires. L'aîné des fils partis avec Âu Cơ devient, sous le nom de Hùng Vương, le souverain d'un royaume appelé Van Lang («pays des hommes tatoués», situé dans le delta du Fleuve Rouge et correspondant à l'actuelle province de Vĩnh Phúc): il fonde la dynastie Hồng Bàng. Les Vietnamiens considèrent que cette dynastie semi-légendaire, identifiée au Viêt Nam proprement dit, est apparue en 2879 av. J.-C.: les Chinois donnent à ce peuple originel le nom de Cent Yue (traduit par Bac Viêt ou Bach Viet, soit Cent Viêt). La dynastie légendaire des Hồng Bàng contribue à entretenir l'idée d'une culture vietnamienne spécifique dès l'âge du bronze, et par conséquent antérieure aux mille ans de domination chinoise. les Viêt (ou Kinh), qui constituent environ 80% de la population du Viêt Nam, se considèrent comme les descendants directs des Bac Viêt, et s'appellent parfois Cong Ron, chau tiên, soit «fils du dragon, descendants de la fée». Le mythe des rois Hồng (ou Hung), dont l'histoire est perpétuée par la tradition orale, accompagne la création de l'espace social vietnamien, qui mêle l'espace naturel et l'espace merveilleux, l'espace historique et l'espace légendaire. Les rois Hồng donnent naissance au culte des ancêtres, religion essentielle du Viêt Nam: la légende de nombreux génies tutélaires des villages vietnamien se rapporte au règne des Hồng, et le culte des fondateurs nourrit la trame des croyances et pratiques culturelles des Vietnamiens.

La dynastie Hồng Bàng compte dix-huit rois: la fille du dix-huitième roi est demandée en mariage par deux hommes, Son Tinh le génie des montagnes et Thuy Tinh le génie des eaux. Le roi accorde la main de son enfant au premier, et Thuy Tinh déclenche alors tempêtes et ouragans pour anéantir son rival. Son Tinh, pris de pitié pour les populations victimes de la folie du génie des eaux, fait surgir ça et là des montagnes pour les mettre à l'abri. Thuy Tinh se lasse, mais sa jalousie refait régulièrement surface et il provoque chaque année orages, typhons et pluies inondant le pays. Cette légende est utilisée pour expliquer à la fois la géographie et le climat du pays.

Les recherches archéologiques mettent à jour des cultures anciennes ayant existé sur le territoire de l'actuel Viêt Nam. Au Nord, le site de Dong Son dans la province de Thanh Hoa, a donné son nom à une culture de la seconde moitié du dernier millénaire av. J.-C. Les sépultures de la culture Dong Son contiennent un riche mobilier: tambours en bronze, situles, poignards à manche de forme humaine ou animale, haches, hallebardes, crachoirs à bétel, sceaux, bijoux. La culture de Dong Son s’éteint avec l’invasion chinoise.

Au Centre du pays, sur la côte du Viêt Nam central, dans la province de Quang Ngai, se développe vers 800 avant J.-C. la culture de Sa Huynh. Son aire s'étend du Binh Tri Thiên à la vallée du Dông Nai. Cette culture incinère ses défunts et les inhume dans des jarres avec un riche mobilier. Contrairement aux Dong Son qui sont contemporains, ils travaillent le fer et non le bronze.

Vers le IIe siècle ou Ier siècle av. J.-C., des populations de langue austronésienne, les Cham, sans doute venus de l'île de Bornéo, s'installent sur le littoral du Viêt Nam central.

Au Sud du Viêt Nam, des fouilles entreprises sur le site d'Oc Eo au début des années 2000 ont permis de mieux connaître une culture qui, au moins au IIIe siècle après J.-C., s'étendait sur le Viêt Nam, le Cambodge et la Thaïlande actuels. Cette culture entretenait des relations avec la Chine. L'influence indienne sur cette culture est manifeste, avec des statues de Bouddha et de Vishnu. Des bateaux étrangers venaient à Oc Eo échanger des marchandises.

Les premiers textes chinois concernant l'Asie du Sud-Est datent du IIIe siècle. Ils évoquent un royaume appelé Fou-nan et décrivent ses habitants comme étant «laids et noirs, avec des cheveux frisés». Cette description tend à faire penser que les habitants du Fou-nan sont ethniquement khmer. Le nom de Fou-nan lui-même serait une transcription en caractères chinois du mot bnam, en khmer moderne phnom, qui signifie «montagne». Au VIe siècle le royaume du Tchen-la, établi au nord, en amont dans le bassin du Mékong, conquiert le Fou-nan, formant ainsi le Cambodge pré-angkorien.

Bien que l'ethnie viêt, très nettement majoritaire, joue un rôle essentiel dans sa formation politique et territoriale, le futur Viêt Nam se forme au fil des siècles à partir d'un brassage ethnique particulièrement complexe; le pays naît sur un territoire qui compte une cinquantaine d'ethnies aujourd'hui officiellement reconnues comme telles.