Rupert Sheldrake

Transcription/Traduction par Françoise Capelle-Messelier de la Conférence de RUPERT SHELDRAKE, censurée par TedX - 'L'ILLUSION DE LA SCIENCE' - cycle de conférences intitulé 'Questionner les paradigmes existants', Whitechapel, Londres : https://m.youtube.com/watch?v=JKHUaNAxsTg

L'illusion de la science est de croire que la science a déjà, en principe, compris la nature du réel, remettant à plus tard la résolution des détails.

Ceci est une croyance très répandue dans notre société.

C'est le système de croyances des gens qui disent : 'Je ne crois pas en Dieu, je crois en la science.'

C'est un système de croyance qui s'est étendu au monde entier. Mais il y a conflit au cœur de la science, entre science en tant que méthode de recherche basée sur la raison, les preuves, les hypothèses, et les recherches collégiales, et la science en tant que système de croyance ou 'vision du monde'.

Et malheureusement, l'aspect 'vision du monde' de la science inhibe et étrangle la libre recherche qui est pourtant le souffle vital de la quête scientifique.

Depuis la fin du 19°siècle, la science a été dominée par un système de croyance ou 'vision du monde' qui est essentiellement matérialiste -le matérialisme philosophique.

Les sciences sont à présent totalement inféodées à la vision du monde matérialiste.

Je pense qu'en rompant avec ce système, les sciences s'en trouveront régénérées.

Dans mon livre 'The Science Delusion' – renommé 'Science set Free' aux USA- je prends les dix dogmes ou présupposés de la science et je les remets en question, je vois comment ils s'en sortent si on les considère scientifiquement.

Aucun ne s'en sort très bien.

Je vais tout d'abord définir ces dix dogmes, et je n'aurai le temps de parler en détail que d'un ou deux.

Mais en essence, les dix dogmes qui représentent la vision du monde par défaut de la majorité des gens éduqués de par le monde, sont les suivants :

Premièrement, la nature est mécanique, comme une machine, l'univers est comme une machine, les animaux et les plantes sont comme des machines, nous sommes comme des machines.

En fait, nous sommes des machines.

Nous sommes des 'robots empesés' pour citer Richard Dawkings, avec des cerveaux qui sont des ordinateurs génétiquement programmés.

Deuxièmement, la matière est inconsciente, tout l'univers est formé de matière inconsciente.

Les étoiles, les galaxies, les planètes, les animaux, les plantes sont dépourvus de conscience, et nous-mêmes en sommes dépourvus, si cette théorie est vraie.

Ainsi, beaucoup de philosophies de l'esprit des cent dernières années, ont essayé de prouver que nous ne sommes, en fait, pas conscients du tout.

Donc, la matière est inconsciente, les lois de la nature sont fixes. C'est le dogme 3.

Les lois de la nature sont les mêmes maintenant qu'au moment du Big Bang et elles resteront les mêmes de toute éternité. Pas juste les lois mais les constantes de la nature sont fixes, c'est pourquoi on les nomme 'constantes'.

Dogme 4 : la somme totale de matière et d'énergie est toujours identique.

Elle ne change jamais en quantité sauf au moment du Big Bang, quand tout a surgi à l'existence, de nulle part et en un seul instant.

Le dogme 5 énonce que la nature est sans but, il n'y a ni but ni raison dans toute la nature, et le processus évolutif n'a ni but ni direction.

Dogme 6 : l'hérédité biologique est matérielle, tout ce dont vous héritez est dans vos gènes ou dans les modifications épigénétiques des gènes, ou alors dans l'héritage cytoplasmique. C'est matériel.

Dogme 7 : les souvenirs sont stockés à l'intérieur du cerveau en tant que traces matérielles.

Tout ce dont vous vous souvenez est dans votre cerveau, dans les protéines phosphorylées des terminaisons nerveuses. Personne ne sait comment ça marche, mais néanmoins presque tous les scientifiques croient que ça doit être dans le cerveau.

Dogme 8 : votre mental est à l'intérieur de votre tête. Toute votre conscience n'est que l'activité de votre cerveau et rien de plus.

Dogme 9, qui découle du dogme 8 : les manifestations psychiques, telle la télépathie, sont impossibles.

Vos pensées et vos intentions ne peuvent avoir aucun effet à distance parce que votre mental est dans votre tête. Donc toute preuve apparente en faveur de la télépathie et autres manifestations sont des illusions.

Les gens croient que ces choses existent mais c'est uniquement parce qu'ils sont ignorants des statistiques, ou ils sont trompés par des coïncidences, ou suggestionnés.

Et enfin dogme 10 : la médecine mécanique est la seule qui soit vraiment efficace.

C'est pourquoi les gouvernements ne financent que les recherches en médecine mécanique et ignorent les thérapies complémentaires et alternatives.

Celles-ci ne peuvent pas marcher car elles ne sont pas mécaniques, elles peuvent donner l'impression de marcher car les gens allaient guérir de toutes façons, ou alors c'est un effet placébo. Mais la seule médecine efficace est la médecine mécanique.

C'est la vision du monde par défaut partagée par la majorité des personnes éduquées de par le monde, c'est la base de notre système éducatif, de notre système de santé, de la recherche médicale, des gouvernements, et c'est juste la vision du monde défaillante des gens éduqués.

Mais je crois que chacun de ces dogmes est très, très contestable et quand vous les examinez, ils ne tiennent pas. Prenons en premier l'idée que les lois de la nature sont fixes. Ceci est un reliquat d'une vision du monde pré-datant les années 1960 et l'apparition de la théorie du Big Bang. Les gens croyaient que tout l'univers était éternel, régi par des lois mathématiques éternelles.

Quand le Big Bang fit son entrée, ce pré-supposé perdura, bien que le Big Bang dévoila un univers de 14 milliards d'années, radicalement évolutif - en expansion, en développement et en évolution depuis 14 milliards d'années - grandissant et se refroidissant, se structurant et s'organisant de plus en plus.

Mais le concept est : toutes les lois de la nature étaient complètement fixes au moment du Big Bang, comme un Code Napoléon cosmique.

Mon ami Terence McKenna disait souvent, 'La science moderne repose sur un principe : 'donne-moi un miracle gratuit et nous expliquerons le reste'.

Le miracle gratuit c'est l'apparition de toute la matière et de toute l'énergie de l'univers et de toutes les lois qui le régissent à partir de rien, en un seul instant.

Dans un univers en évolution, pourquoi les lois ne devraient-elles pas évoluer? Après tout, les lois humaines évoluent, et l'idée de lois de la nature est une métaphore des lois humaines C'est une métaphore anthropomorphique, seuls les humains ont des lois, en fait seules les sociétés civilisées ont des lois.

C.S. Lewis a dit un jour : 'Dire qu'une pierre tombe sur la terre car elle obéit à une loi, fait d'elle un humain ou même un citoyen.'

C'est une métaphore à laquelle nous sommes si habitués que nous en oublions que c'est une métaphore. Dans un univers en évolution, je crois que l'idée 'd'habitude' est plus appropriée. Je pense que les habitudes de la nature évoluent, les régularités de la nature sont essentiellement habituelles.

Cette idée a été émise au début du 20°siècle par le philosophe américain CS Pierce.

Et cette idée a été reprise par plusieurs autres philosophes.

Je l'ai moi-même développée en hypothèse scientifique, l'hypothèse de la résonance morphique, qui est la base de ces habitudes évolutives.

Selon cette hypothèse, tout dans la nature possède une sorte de mémoire collective.

La résonance se produit sur une base de similitude.

Tandis qu'un embryon de girafe se développe dans l'utérus de sa mère, il se 'branche' sur la résonance morphique des girafes précédentes, et il capte cette mémoire collective, il grandit comme une girafe, il se comporte en girafe car il capte cette mémoire collective.

Il a les gènes appropriés pour fabriquer les bonnes protéines, mais les gènes, d'après moi, sont totalement sur-estimés.

Ils n'entrent que dans la fabrication des protéines par l'organisme, pas dans le schéma, la forme ou le comportement. Chaque espèce possède une sorte de mémoire collective.

Même les cristaux. Cette théorie prédit que quand vous créez un nouveau genre de cristal, la toute première fois, il n'a pas d'habitude existante. Mais une fois qu'il aura cristallisé alors la fois suivante quand vous le referez, il aura l' influence du premier cristal, et les seconds partout dans le monde, par résonance morphique, cristalliseront plus facilement. La troisième fois, il y aura l'influence des premiers et seconds cristaux.

Il existe en fait de sérieuses preuves que les nouveaux composés cristallisent plus facilement partout dans le monde, comme cette théorie le prédisait.

Elle prédit aussi que si vous enseignez un nouveau tours à un animal, par exemple, des rats apprennent un nouveau tours à Londres, alors partout dans le monde, les rats de la même espèce, apprendront le même tours plus vite, juste parce que des rats l'auront appris ici.

Et surprise, les preuves montrent que ça se passe ainsi.

Bien, ceci est, succinctement, mon hypothèse de résonance morphique, tout dépend d'habitudes évolutives et non de lois fixes.

Mais j'aimerais aussi considérer les constantes de la nature. Car, celles-ci sont tenues pour être constantes.

Les choses, telles la constante gravitationnelle, la vitesse de la lumière sont appelées 'constantes fondamentales'. Sont-elles vraiment constantes?

Bien, quand je me suis intéressé à cette question, j'ai voulu savoir.

Elles sont énoncées dans les manuels de physique. Les manuels de physique énumèrent les constantes fondamentales et donnent leur valeur. Mais je voulais voir si elles avaient changé, alors je me suis procuré d'anciens manuels de physique.

Je me suis rendu à la Bibliothèque du Bureau des Brevets à Londres, c'est le seul endroit qui conserve les anciens volumes, normalement les gens les jettent. Quand les nouvelles valeurs sont publiées, ils jettent les vieilles.

En cherchant, j'ai trouvé que la vitesse de la lumière avait diminué entre 1928 et 1945, d'à peu près 20 kilomètres seconde.

C'est une baisse énorme car elle était donnée avec la marge d'erreur de toutes fractions décimales.

Et pourtant, elle avait chuté partout dans le monde et ils obtenaient tous des résultats similaires avec des marges d'erreurs négligeables.

Et en 1948, elle remonte à nouveau, et tout le monde obtient à nouveau des résultats similaires.

J'étais très intrigué et ne me l'expliquais pas. J'ai alors été voir le directeur de la Métrologie, au Laboratoire National de Physique, à Teddington.

La métrologie est la science qui mesure les constantes.

Et je l'ai questionné à ce sujet, et lui ai dis :

'Que pensez-vous de cette baisse de la vitesse de la lumière entre 1928 et 1945?

Et il m'a dit, 'Oh, vous avez découvert l'épisode le plus embarrassant dans l'histoire des sciences.'

J'ai dit : 'la vitesse de la lumière, a-t-elle effectivement chuté, cela aurait, dans ce cas, des conséquences étonnantes'.

Et il dit alors : 'non, non, elle ne peut évidemment pas chuter, c'est une constante!'

'Oh, bien, alors comment expliquez-vous que tout le monde trouvait qu'elle allait plus lentement durant cette période? Est-ce parce qu'ils falsifiaient les résultats pour obtenir ce qu'ils pensaient que les autres obtiendraient et c'était entièrement le produit du mental des physiciens?'

'Nous n'aimons pas utiliser le mot 'falsifier'.

Je lui demandais ce qu'il préférait.

Il dit 'Je préfère l'appeler 'verrouillage de phase intellectuel'. (les rires fusent)

Bien, si ça se passait alors, comment pouvons-nous être sûr que ça n'arrive pas encore de nos jours, et que les valeurs actuelles ne sont pas produites par un 'verrouillage de phase intellectuel'? Et il dit, 'non, nous savons que ce n'est pas le cas.'

'Comment le savons-nous?'

Il dit 'et bien, nous avons résolu le problème'. J'ai demandé 'comment?'

Il a répondu 'et bien, nous avons arrêté par définition la vitesse de la lumière en 1972'.

'Donc elle peut encore changer'.

Il dit, 'Oui mais nous ne le saurons pas car nous avons défini le mètre en fonction de la vitesse de la lumière, ainsi les unités ont changé de concert.'

Il avait l'air très satisfait, ils avaient résolu le problème.

Mais je demandais alors : 'Et qu'en est-il du Grand G?'

La constante gravitationnelle connue sous le nom de 'Grand G', avec un 'G' majuscule - la constante de la gravitation universelle de Newton. Elle a varié de plus de 1.3% ces dernières années. Et il semble qu'elle varie d'un endroit à un autre et de temps en temps.

Il dit 'c'est vrai, il y a risque d'erreur', et malheureusement il y a de grosses erreurs avec le grand G.

Alors je dis : 'et si elle varie vraiment ?' - peut-être, varie-t-elle vraiment.

Et alors j'ai examiné la façon dont ils procèdent : ils font des mesures dans différents labos, ils obtiennent des valeurs différentes selon les jours, et ils font une moyenne. Puis d'autres labos partout dans le monde font de même et ils obtiennent en général une moyenne différente.

Le Comité International de Métrologie se réunit à peu près tous les 10 ans et établit une moyenne de tous les résultats des labos du monde pour définir la valeur du Grand G.

Mais qu'en est-il si 'G' en fait fluctue? S'il varie?

Il y a déjà des éléments de preuve qu'il varie au cours de la journée et de l'année.

Qu'arrive-t-il si la Terre, en se déplaçant dans la galaxie, traverse des poches de matière sombre ou si d'autres facteurs environnementaux viennent à l'affecter? Peut-être changent-ils tous de concert. Et si ces erreurs montent et descendent ensemble?

Depuis plus de dix ans j'essaye de convaincre les métrologues d'examiner les données brutes.

En fait, j'essaye maintenant de les convaincre de les mettre en ligne sur internet, avec les dates et les mesures réelles, et voir si elles sont corrélées, voir si elles sont toutes en haut à un moment et toutes en bas à un autre.

Si c'est le cas, il se pourrait qu'elles fluctuent ensemble et ça nous dirait quelque chose de très, très intéressant. Mais personne ne l'a fait, ils ne l'ont pas fait puisque 'G' est une constante. Aucune raison de chercher des variations.

Vous avez là un exemple tout bête de pré-supposé dogmatique qui inhibe la recherche.

Je pense que les constantes peuvent considérablement varier.

Dans des limites étroites, mais il se peut qu'elles varient toutes.

Et je pense qu'un jour les revues scientifiques, telle 'Nature', publieront un cours hebdomadaire des constantes, comme les cours de la bourse dans les journaux : Cette semaine le Grand G était en légère hausse, la charge de l'électron était en baisse, la vitesse de la lumière se stabilise, etc...(rires)

Ceci est un domaine, juste un domaine où je pense qu'une pensée moins dogmatique pourrait ouvrir des horizons. Un des plus importants domaines concerne la nature de l'esprit, c'est le plus grand problème non élucidé, comme vient de le dire Graham.

La science n'arrive pas à gérer le fait que nous soyons conscients.

Et elle n'arrive pas à gérer le fait que nos pensées ne semblent pas être dans notre cerveau.

Nos expériences ne semblent pas être toutes dans notre cerveau.

Votre image de moi maintenant ne semble pas être à l'intérieur de votre cerveau.

Pourtant la ligne officielle est qu'il y a un petit Rupert quelque part à l'intérieur de votre tête et toutes les autres choses dans cette pièce sont dans votre tête. Vos expériences sont à l'intérieur de votre cerveau.

Je suggère en fait que la vue implique une projection extérieure des images, ce que vous voyez est dans votre mental mais pas dans votre tête. Notre mental s'étend au-delà de notre cerveau dans les actes de perception les plus simples. Je pense que nous projetons au dehors les images que nous voyons et ces images touchent ce que nous regardons. Si je vous regarde par derrière et que vous ne savez pas que je suis là, puis-je vous affecter? Pourriez-vous sentir mon regard?

Il y a beaucoup d'éléments prouvant que les gens le peuvent.

La sensation d'être observé est une expérience très commune. Et les recherches expérimentales actuelles suggèrent que c'est bien réel.

Les animaux semblent avoir ce sens. Je pense qu'il s'est développé dans l'inter-action prédateur-proie. Les proies qui sentent le regard du prédateur ont une plus grande chance de survie que les autres. Ceci nous conduirait à une façon nouvelle de penser les relations écologiques entre prédateurs et proies, et aussi de penser les limites de notre mental.

Quand nous regardons les étoiles lointaines, je pense que notre mental s'étend jusqu'à toucher ces étoiles et littéralement se prolonge sur des distances astronomiques. Elles ne sont pas qu'à l'intérieur de notre tête.

C'est renversant que cela soit un sujet de controverse au 21°siècle. Nous savons si peu de choses sur notre mental que décider où se trouvent les images est un sujet d'actualité brulant et très débattu dans le cadre des recherches sur la conscience.

Je n'ai plus le temps de traiter ces dogmes mais chacun d'entre eux est contestable.

Si d'aucun les remet en question, de nouvelles formes de recherche, de nouvelles possibilités se dessineront. Et je pense qu'en mettant en question ces dogmes, qui depuis si longtemps empêchent la science d'avancer, la science connaîtra un renouveau, une Renaissance. Je suis un croyant convaincu en l'importance de la science.

J'ai consacré ma vie à la recherche scientifique, toute ma carrière.

Mais je crois qu'en dépassant ces dogmes, elle (la science) peut se régénérer.

Et à nouveau, elle sera intéressante et j'espère, porteuse de vie.

Merci