Emmanuel Ransford

Interview d'Emmanuel Ransford par L ilou Macé, à propos de sa théorie de l'holomatière :

https://m.youtube.com/watch?v=-urOYIz_h1M

Trois articles d'Emmanuel Ransford parus dans "LES MONDES PARALLELES"

1 - QUELLE EST NOTRE PLACE DANS L’UNIVERS ? N° 15 (Décembre 1999 – Janvier 2000)

2 - SCIENCE ET INTUITION N°16 (Avril - Mai 2000)

3 - LA REINCARNATION EST-ELLE UNE HYPOTHESE SCIENTIFIQUE? N°17 (juin - juillet 2000)

QUELLE EST NOTRE PLACE DANS L’UNIVERS ?

Au commencement était le mythe

Depuis les premiers vagissements de l’humanité, l’homme s’émerveille des splendeurs de la création. Il s’interroge, il cherche à comprendre. Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Quel est notre raison d’être dans le monde ? Pour répondre à ces questions, essentielles s’il en est, l’homme inventa le mythe. Les mythes dévoilent les secrets de nos origines et de celle du monde, sur un mode métaphorique et allégorique qui nous parle directement. Ainsi, des peuples entiers ont appris que le monde naquit d’une perle blanche ou d’un œuf cosmique. Ou encore, des amours illicites de quelques divinités égarées....

L’univers a une histoire

L’homme, par une ignorance mêlée d’orgueil, se plaça tout naturellement au cœur de la création. Ainsi, la Terre fut le centre du monde. Puis ce fut le Soleil. Plus tard, on sut que l’astre solaire n’était qu’une étoile banale, située à la périphérie de la Voie lactée, elle-même n’étant qu’une galaxie parmi tant d’autres. Les faits ne laissent guère de doute : l’univers ne nous accorde aucune place privilégiée. Il est un monstre indifférent et aveugle, soumis aux seules lois du hasard et de la nécessité. Pour comble, Darwin montra que l’homme, jadis créé par Dieu à son image, n’est que le cousin plus évolué des primates. Freud enfin, ramena nos élans les plus nobles à la simple sublimation de nos instincts.

Quelle chute ! La science nous laisse orphelins de Dieu, perdus dans un univers désenchanté et absurde.

Mais en science, aucune vérité n’est définitive ; et deux grandes découvertes ont bousculé depuis cette vision pessimiste. La première est que notre monde a une histoire. Plus précisément, il a un point de départ. Il naquit il y a quelques 10 à 15 milliards d’années, sous forme d’une boule très dense et très chaude, qui explosa littéralement. Ce scénario de l’explosion primordiale s’appelle le big bang. Il est confirmé par l’expansion de l’univers, par la présence d’un rayonnement fossile omniprésent, et par l’abondance des éléments chimiques légers (hydrogène et hélium).

Saint Bonaventure disait : "Il y a deux façons de regarder les choses, comme des objets ou comme des signes." Cela est particulièrement vrai ici : que le monde ait un début, c’est peut-être aussi un signe. Cela ouvre la possibilité que le monde soit le fruit d’un acte créateur. La science rejoindrait-elle finalement la Genèse ?

En vérité, les scientifiques se méfient de ce genre de spéculations. Car, pour citer Michel Cassé, "la solution du doigt de Dieu est la solution de facilité, celle qui répond avant d’interroger." Laplace nous avait prévenus : "Dieu" est une hypothèse inutile, dont la science n’a que faire. Certes. Mais à l’inverse, elle doit se garder de rejeter une hypothèse sans justification autre qu’idéologique. C’est malheureusement l’attitude (bien irrationnelle) qu’adoptent trop de scientifiques. Et, pour écarter le doigt de Dieu, ils ont inventé des scénarii très spéculatifs qui évacuent l’encombrante réalité d’un univers daté. Ils ont aussi cherché à ramener la création aux fluctuations du vide quantique. (Mais ce "vide" n’est pas le néant : il regorge de lois physiques !)

La question demeure : l’univers fut-il engendré par un acte créateur ? Nos connaissances actuelles rendent cette éventualité étonnamment plausible. La deuxième grande découverte de l’astrophysique contemporaine renforce cette impression. Cette découverte, la voici.

Hasard ou destinée ?

En 1974, Brandon Carter formulait son principe anthropique, qui soulignait le caractère extraordinairement improbable de notre monde-qui-engendra-l’homme. Son improbabilité, vertigineuse comme nous le verrons, conduisit le physicien Freeman Dyson à conclure que "quelque part, l’univers savait que l’homme allait venir". C’est cela, l’autre découverte majeure : un univers porteur de vie – tel que le nôtre – n’a aucune chance d’être le simple fruit du hasard. Pour être fécond, il doit être réglé avec une précision extrême, qui le rend infiniment peu plausible. Changeons par exemple un tant soit peu l’intensité de la gravité, et nous obtiendrons à coup sûr un univers stérile.

Quelle surprise ! Serait-ce donc l’indice qu’il a délibérément été voulu fécond ? La tentation est grande, une nouvelle fois, d’invoquer le doigt de Dieu. Mais si, après tout et malgré nos préjugés, il avait réellement quelque chose à voir dans tout cela ?…

La vie, donc, n’est possible qu’au prix d’une succession de coïncidences remarquables qui "forcent le hasard" de façon incroyable. L’astrophysicien Trinh Xuan Thuan, dans son ouvrage La Mélodie Secrète, donne des exemples de ces réglages quasi miraculeux. La précision de l’un d’eux est comparable "à l’habileté d’un archer qui réussirait à planter sa flèche au milieu d’une cible de 1 centimètre de côté, éloignée de 15 milliards d’années-lumière, la taille de l’univers". Peut-on raisonnablement croire que l’archer a atteint sa cible "par hasard" ? Peut-on semblablement penser que notre univers est fécond "par hasard" ? Non, si l’on choisit une attitude rationnelle. Alors, deux options s’ouvrent.

Soit on entrevoit, derrière le principe anthropique, un clin d’œil du Créateur ; qui aurait rendu l’univers hautement improbable pour nous envoyer un signe, une preuve implicite de sa volonté providentielle de le rendre fécond. Car Dieu peut se permettre d’être espiègle. Soit on noie l’improbabilité dans un océan d’univers multiples, si nombreux que tout univers imaginable – dont le nôtre – a de fortes chances d’apparaître. Mais cette solution, qui invente des milliards de milliards de milliards de mondes distincts dans le seul but d’en rendre un – le nôtre – plausible, s’oppose radicalement au principe de simplicité et d’économie adopté en science. Outre cela, faire appel à des univers parallèles sans la moindre preuve objective de leur existence ne relève décidément plus de la science : ce n’est pas une hypothèse scientifique. Pas plus, qu’on se le dise, que celle de Dieu qu’elle cherche à combattre !

A chacun de choisir. Une chose est certaine : par un curieux retournement de la pensée cosmologique contemporaine, l’homme et la vie sont replacés au cœur du destin cosmique. L’univers, pour les enfanter, devait être réglé à une précision hallucinante, qui ressemble bien peu au hasard brut.

Co-créer l’avenir

Ce vingtième siècle à peine achevé a vu des bouleversements sans précédents. Nous y avons conquis l’énergie de l’atome, les secrets de la génétique, la puissance du calcul électronique et de la communication à distance. L’homme est devenu un demi-dieu. Ses moyens techniques sont gigantesques et effrayants. Cependant, certaines évolutions nous permettent de choisir l’optimisme. Par exemple, la science, jadis rigidement déterministe et réductionniste, s’est ouverte (quoique timidement) à l’incertain et au subtil.

Je crois d’ailleurs qu’une nouvelle révolution se prépare. Elle sera peut-être le couronnement de notre destin cosmique. Cette révolution, c’est celle de l’esprit. Je suis personnellement convaincu que les approches matérialistes du cerveau conscient sont en train de se discréditer d’elles-mêmes, à force de ne pas aboutir. Leurs échecs répétés sont une invitation à progresser. Plarions que la science de demain aura admis et compris la nature non strictement matérielle de la conscience, et qu’elle saura l’englober dans une vision plus vaste et plus profonde du réel. (Elle pourrait être fondée sur la notion d’holomatière, ou sur toute autre base pertinente. Voir à ce sujet les textes proposés en référence.)

Si cela doit se faire, nous parviendrons sans doute à affranchir la conscience de son actuelle prison biologique. Alors, elle pourra devenir un phénomène global. L’homme, co-créateur de l’avenir, aura ainsi réenchanté le monde !

SCIENCE ET INTUITION: VERS UNE INTEGRATION?

Science, raison et intuition

On croit souvent que raison et intuition ne se mélangent pas - pas plus que l’huile et l’eau. D’ailleurs, elles se contredisent parfois, car la science engendre des savoirs contre-intuitifs. Elle brise régulièrement certaines de nos "évidences", de nos certitudes de bon sens. Par exemple, jadis il allait de soi que c’est le soleil qui tourne autour de la terre. (Pour preuve, il suffit d’observer le ciel en cours de journée.) La science démontra que c’est l’inverse. Souvenons-nous aussi de Galilée. Il montra - à l’encontre d’Aristote - que, si l’on supprime le frottement de l’air, la chute d’un kilo de plumes est aussi rapide que celle de 10 kg de plomb. Et pourtant, le plomb est tellement plus lourd !

En mathématiques, de nombreuses bizarreries - notamment liées à la notion d’infini - sont venues heurter l’intuition des mathématiciens eux-mêmes. (Les grands mathématiciens en ont, n’en doutez pas.) Plus près de nous, la physique quantique – avec ses électrons qui "sautent" d’une orbite atomique à l’autre sans passer pas les états intermédiaires, et qui semblent ne vouloir exister que si on les observe – a dessiné une image étonnante de la matière, qui se joue totalement des points de repère de l’intuition courante.

Intuition et raison sont antagonistes. L’une est dans la synthèse et la globalité, l’autre est dans l’analyse et les détails. Le plus curieux est que la nature semble vouloir le souligner – elle qui sépare notre cerveau en deux hémisphères, réservant le droit pour l'intuition et le gauche pour la raison. Elle ne mélange pas les genres.

Pour mieux fonctionner, la science se limite à ce qu’elle peut mesurer. Pour simplifier sa tâche, elle fractionne, fragmente son domaine d’étude. Le malheur est que les scientifiques ont fini par confondre ce choix méthodologique avec une affirmation sur la nature des choses. Trop souvent, ils rejettent tout ce qui échappe à leur cadre réductionniste. Résultat : des pans entiers de la réalité sont rejetés, niés, assimilés à de pures chimères. Comme par exemple tout ce qui relève du subtil et de l’ineffable. Dommage, car ce sont eux qui portent le sens et la quintessence de l’existence !

En vérité, l’intuition connaît plusieurs degrés. Au niveau premier, il s’agit d’une façon d’appréhender le monde qui relève d’une forme de routine mentale. C’est le "bon sens" ordinaire. C’est cette qualité d’intuition que la science vient parfois combattre. A un niveau plus élevé, se trouve l’éclair, le saut conceptuel, le flash intuitif qui - sans effort apparent - dévoile d’un coup la clef d’une énigme. Ces coups de maître ressemblent à des dons du ciel. Ils peuvent aller jusqu’à l’éclair de génie. De l’eurêka d’Archimède à la pomme de Newton et au-delà, cette intuition a permis bien des découvertes scientifiques. Kékulé en chimie, Poincaré en mathématiques, Einstein en physique lui ont rendu hommage.

Cette intuition devine, entrevoit, pressent. Elle perce les secrets avant même que l’intellect ne les ait clairement formulés. Elle saisit l’essentiel, d’un coup de grâce parfois fulgurant. La science viendra ensuite conforter et approfondir - ou infirmer, à l’occasion - ses lumières. Elle les consolidera en savoirs "vrais", fiables et précis.

En somme, la science rationnelle est un peu l’aveugle (qui requiert la vision intuitive – même si elle s’en défend) tandis que l’intuition, c’est un peu le paralytique : seule, elle ne pourrait déboucher sur des savoirs créateurs d’avances technologiques. Peut-être est-elle trop imprécise ? L’aveugle et le paralytique : science et intuition peuvent et doivent idéalement s’inscrire dans cette dynamique globale qui nous rend – pour le meilleur ou pour le pire - pleinement co-créateurs du monde. Car savoir, c’est pouvoir. C’est bien connu.

Enfin, au niveau le plus élevé se trouve l’intuition mystique, qui transcende toutes les raisons du mental. Elle est comme un don démesuré de l’univers. Les grands mystiques nous enseignent qu’elle peut surgir quand nous nous mettons en résonance avec les ressources de notre inconscient et de notre moi profond. Ce moi profond - que j’appelle aussi le "moi supral" - ne s’enracine-t-il pas, d’ailleurs, dans l’inconscient collectif et universel, source ultime de tous les savoirs ?

L’intuition mystique (ou transcendantale) répond à des traits propres : elle est soudaine, rapide, et génère une irrésistible certitude d’avoir "touché" le vrai. Elle modifie l’être en profondeur, et définitivement. Cet accès au "vrai" de la réalité et de l’existence se nourrit souvent d’ascèse et de méditation. Elle nous relie à la Totalité à laquelle nous n’avons jamais cessé d’appartenir – même si nous l’oublions parfois, prisonniers que nous sommes des lois de la matérialité, inhérentes à notre passage terrestre !

L’intuition mystique est illumination, fusion cosmique. Elle est ouverture sur l’infini. C’est bien ce qu’avait compris le Bouddha, qui a dit : "L’illumination n’est pas une goutte perdue dans l’immensité de l’océan, elle est tout l’océan contenu dans une goutte." Cette illumination nous fait accéder à la connaissance expérientielle de la nature de l’univers et du sens de la vie. Elle nous dévoile notre dimension divine : en nous reliant au divin en nous, elle nous ouvre à la connaissance par excellence – celle qui n’a pas besoin du mental et de ses mots, ni de ses concepts réducteurs et toujours inadéquats.

Cette "grande intuition" va bien au-delà des acquis de la science. D’ailleurs, la vérité ultime du monde ne saurait être dévoilée par aucune de ses théories abstraites. Aucun système conceptuel ne peut devenir une théorie de tout et du tout. C’est même démontré ! Le théorème d’incomplétude (Kurt Gödel, 1931) établit que tout système axiomatique suffisamment riche ne permet pas de démontrer toutes les vérités mathématiques. Ni, par extension, de connaître toutes les vérités physiques. Aucune théorie, pour abstraite et mathématisée qu’elle soit, ne pourra nous révéler l’ensemble des propriétés de la matière ! C’est en vain que l’on poursuit des recherches sur une ambitieuse "Théorie de Tout"….

La science du troisième millénaire : vers une nouvelle globalité

Où va la science ? Que deviendra-t-elle dans le futur ? Après avoir exploré le domaine du visible et du quantitatif, la science de demain se trouvera confrontée à de nouveaux espaces à conquérir. Pour les appréhender, il lui faudra se changer elle-même, en profondeur. C’est le prix à payer. Sinon, elle ira tout droit dans l’impasse ! C’est pourquoi je crois que la science du troisième millénaire sera une science intégrée.

Déjà, le passage de la physique classique à la physique contemporaine a substitué une vision déterministe, mécaniciste et réductionniste de l’univers à une vision plus globale, plus subtile et moins imbibée de certitudes. Ce fut une première – et grande – étape dans cette mutation forcée.

Car la science, on l’oublie trop souvent, n’est pas un monstre figé. Mais elle évolue généralement malgré les scientifiques eux-mêmes. L’histoire en donne d’innombrables illustrations. Par exemple, au début du vingtième siècle, l’américain Olivier Holmes fut conspué par les plus hautes autorités médicales de l’époque, pour avoir osé proposer cette idée stupide que le fait de se laver les mains pouvait réduire le risque d’infection et de mort post-natale. Pourtant, toutes les données hospitalières de l’époque confirmaient clairement cette idée.

Plus près de nous, la célèbre découverte de la double hélice de l’ADN, par Crick et Watson, fut d’abord violemment rejetée par l’establishment. Elle apparaît aujourd’hui comme une découverte majeure du vingtième siècle. Même scénario pour un certain Wegener, qui lança l’idée (juste) de la dérive des continents. Cela lui valut d’être cruellement tourné en dérision par ses collègues, et de devoir renoncer à sa carrière.

Soumise à la pression du progrès, la science de demain intègrera raison et intuition. Ce sera là son seul choix. Elle sera décloisonnée et trans-disciplinaire. Une telle évolution s’imposera d’elle-même. Car, quand on a exploré et épuisé le domaine du quantitatif, quand les limites du réductionnisme se révèlent, il faut passer outre !

Quand on voit par exemple l’impasse actuelle – caricaturale par bien des aspects – où s’embourbent les approches conventionnelles du cerveau conscient, on comprend qu’un jour prochain, la mystification du matérialisme réducteur ne sera plus tenable. Alors, le fruit sera mûr, et ce verrou idéologique, enfin discrédité, sautera de lui-même. La voie sera libre pour avancer. (Je rappelle qu’il existe déjà des alternatives non réductionnistes mais a priori parfaitement compatibles avec le savoir actuel, telles que celle que je propose, basée sur la notion d’holomatière.)

Un autre domaine où l’on sent poindre la "science intégrée" du troisième millénaire est celui de la médecine. Il est de plus en plus question d’une évolution vers une médecine intégrée, synthèse en la pratique conventionnelle – qui ne connaît que maladies et symptômes, ignorant les causes et les malades – et les médecines dites "complémentaires", ou "holistiques", qui mettent l’accent sur la personne et ses dimensions multiples : physique, émotionnelle, mentale, spirituelle…. La demande du public est croissante pour cette médecine décloisonnée.

Ce sont là les quelques indices prometteurs d’une nouvelle ère où les approches scientifique et mystique ne s’opposeront plus. Elles deviendront deux moments, deux voix complémentaires d’un même langage de la globalité.

LA REINCARNATION EST-ELLE UNE HYPOTHESE SCIENTIFIQUE ?

Pourquoi la réincarnation ?

La réincarnation est une idée à succès. On la retrouve dans la plupart des religions dites "primitives". Le christianisme des premiers siècles ne lui était pas défavorable - jusqu’à ce que l'Eglise catholique, lors du concile de Constantinople en 553, la rejette définitivement. Elle est au cœur de deux grandes traditions orientales, l’hindouisme et le bouddhisme. Aujourd’hui, on peut considérer que près des deux tiers de la population mondiale croit à la réincarnation, soit au nom de sa foi religieuse soit par conviction personnelle.

La réincarnation repose sur la conviction qu’il y a quelque chose en nous qui survit à la mort physique. Ce "quelque chose", invisible et immatériel, serait comme une "étincelle divine" rayonnant en nous. Appelons-le "l’âme". La réincarnation considère que l’âme, après la mort corporelle, peut transmigrer vers une nouvelle forme humaine. On lit ainsi, dans la Bhagavad-Gitâ : "De même qu’un homme se débarrasse de ses vêtements usés pour en revêtir de neufs, ainsi, l’habitant du corps, ayant quitté ses vieilles enveloppes mortelles, en prend d’autres qui sont neuves."

C'est une notion distincte de la métempsycose, qui envisage une transmigration vers n’importe quelle forme vivante (telle qu'un animal, voire un végétal). Ainsi, le philosophe grec Empédocle relate avoir été "un beau jeune homme puis une belle jeune fille, puis un arbre, puis un oiseau, puis un poisson de mer".

Pourquoi un tel succès ? Les raisons sont nombreuses. Je n'en évoquerai que quelques-unes. Tout d'abord, nombreux sont ceux qui ont éprouvé la sensation occasionnelle - et très étrange - de déjà vu et de déjà vécu. Par exemple, elle surgira dans un lieu que nous visitons pour la première fois. S’agit-il donc d’une réminiscence émanant d’une vie antérieure ? On est en droit de s’interroger. Des souvenirs de vies passées peuvent aussi se manifester spontanément lors d'une séance de méditation, d’hypnose, de transe ou de "régression vers les vies antérieures".

Ensuite, c'est une réponse séduisante et cohérente aux grandes interrogations sur la vie et sur la mort, qui s’accorde bien avec la perception cyclique du temps que suggèrent les rythmes de la nature (le retour des saisons, le jour et la nuit, etc.). Pour les amérindiens, elle est une certitude du bon sens : "De même que la lune meurt et revient à la vie, de même nous ressuscitons après la mort."

Plus profondément, la réincarnation satisfait notre désir latent d’être plus que notre corps, que notre "enveloppe charnelle" périssable. Elle répond à notre rêve d’immortalité, à notre peur de la mort. Enfin, elle satisfait à des exigences morales, et peut nourrir l'espoir. Associée à la loi du karma, elle constitue une justification éthique des injustices du sort. Pour beaucoup en effet, elle seule permet de comprendre les inégalités parfois cruelles de l’existence. L'idée est que "nous nous réincarnons en fonction de nos existences antérieures. A bonne action durant cette vie, bonne renaissance. A mauvaise action, réincarnation pénible."

Un autre argument est que, pour atteindre la perfection spirituelle, une seule vie ne suffit pas. De nouvelles chances doivent nous être données. Sans la réincarnation, l’homme serait obligé d’atteindre d’un seul coup la perfection en une seule vie : est-ce juste, est-ce raisonnablement possible ?

Quelles preuves ?

La réincarnation affirme une idée simple : "Après la mort physique, notre âme peut se fixer sur un autre corps, pour vivre une nouvelle existence terrestre." Cependant, elle n'est pas sans poser quelque problème délicat. En effet, qu’est-ce qui se réincarne exactement ? Nous l’avons dit : c’est l’âme. Dans l'hindouisme par exemple, c'est l’atman, l’âme individuelle permanente, immortelle, étincelle de l’Absolu du Brahman. De même, pour les théosophes, "dans un vêtement neuf, réapparaîtra la même individualité qui a vécu auparavant". Il y a donc un principe permanent, invariant, auquel on peut rattacher l’identité de celui qui transmigre d’un corps à un autre.

Pour le bouddhisme en revanche, tout est impermanent. Que devient alors la notion de réincarnation ? Elle doit être adaptée. Elle change de nature, et devient un processus de re-naissance. Ce qui renaît se rattache bien à tel ou tel défunt, mais dans une vision dynamique plutôt que strictement identitaire. Car, la notion de transmigration doit être ici comprise comme une "continuité mouvante", une continuité dans le changement. C’est un peu l’analogue de ce que nous éprouvons à l’issue d’un sommeil profond : nous avons la certitude d’être le même individu qui existait auparavant, et pourtant nous avons (imperceptiblement) évolué.

Venons-en aux "preuves". Il y a d’abord les sensations de déjà vu ou de déjà vécu. Sont-elles des indices fiables, ou de furtives illusions, jaillies par autosuggestion ? La question est ouverte ; elle concerne aussi les réminiscences de vies passées qui apparaissent sous hypnose par exemple. Il y a cependant là les germes d’une vérification possible : quand ces souvenirs de vies antérieures sont suffisamment précis, ils peuvent contenir des éléments d’information vérifiables. (Le problème est alors que cette "preuve" porte peut-être sur un ensemble d’hypothèse plus vaste que la seule réincarnation. Voir ci-après.)

Ian Stevenson a étudié des cas très convaincants de ce genre, portant sur passé parfois lointain de plusieurs siècles, et totalement étranger au "réincarné". Plus troublant encore, il a découvert sur des bébés huit cas de malformations, ou de cicatrices rappelant trait pour trait une personne disparue sans qu'il y ait de lien de parenté. Quelle explication donner à ces marques physiques… si ce n'est la réincarnation ?

Mais, souligne Jean Vernette, "les stigmatisés dans le christianisme portent les traces des blessures du Christ sans en être pour autant la réincarnation. En hypnose expérimentale et dans certaines somatisations hystériques, des traces cicatricielles apparaissent sous la suggestion conjointe du sujet et de l'expérimentateur." Et de conclure: "L'origine des marques de naissance serait ainsi à chercher plutôt du côté de l'imagination et de la croyance des parents, que d'une renaissance chez l'enfant."

Ces très étonnantes traces somatiques ne constituent donc pas une "preuve" définitive. Pas plus que ces enfants précoces (on cite parfois Mozart) qui, sans que leur hérédité ni leur milieu ne les y prédisposent, manifestent dès la prime enfance des talents exceptionnels - musicaux, mathématiques, linguistiques, etc. – ou restituent spontanément des informations détaillées sur telle existence passée. D’ailleurs, l’enfance est l’âge idéal des manifestations du passé enfoui, sans doute parce qu’elle échappe à nos conditionnements d’adultes.

La dernière "preuve" que je mentionnerai est l’efficacité - maintes fois constatée - des thérapies avec régression et travail sur les vies antérieures. J’ai pu moi-même la vérifier confidentiellement, chez des personnes traitées par une amie. Certains résultats furent spectaculaires, d’autant plus qu’ils portaient parfois sur des somatisations bien visibles (un cou enflé qui redevient normal, etc.). Des phobies, des dépendances sont ainsi traitées avec succès. L'idée est que nous sommes affectés par les traumas de nos vies antérieures: ils peuvent engendrer certaines difficultés psychologiques actuelles. Par exemple, telle phobie renverrait à une mort violente vécue au Moyen Age. En prendre conscience, revenir à la racine du blocage, déclencherait un puissant effet libératoire, de guérison.

Cela constitue-t-il une preuve? La réponse est à nouveau négative - car quelle est la part dans tout cela de l’autosuggestion ? (On connaît l'efficacité de l'effet placebo, on connaît celle des "jeux de rôle" utilisés en thérapie. Une vie passée, c'est une invitation au jeu de rôle....) La simple projection de nos peurs et de nos difficultés dans des vies passées peut favoriser un processus de guérison.

En bref, il n’y a donc pas, à ce jour, de preuve incontestable et définitive sur la réincarnation. Néanmoins, il y a un cumul de faits en sa faveur, qui doit nous inciter à ne pas la rejeter a priori. (L'hérédité ne permet pas de la réfuter.)

Réincarnation et physique contemporaine

La science n'a pas de preuves expérimentales solides. Peut-elle au moins fournir une explication plausible aux faits cités? Ma réponse est résolument affirmative. Un premier point est que la physique contemporaine n’impose pas le modèle matérialiste. (Le matérialisme n’est qu la croyance dominante des scientifiques.) Elle peut au contraire, en supposant que le psychisme n'est pas totalement déterministe, nous montrer dans la matière la trace d’un proto-psychisme rudimentaire. La physique permet cela. Elle suggère en outre que cette proto-conscience, ou ce proto-psychisme, est agrégeable. On peut le cumuler et l'amplifier, lui permettrant alors de devenir plus complexe et pleinement consciente.

Pour la distinguer de la matière inerte, je baptise holomatière cette matière animée d’une lueur de psychisme, ou de proto-conscience. En fait, cette notion n'est pas nouvelle. Ce qui est assez nouveau est que la science actuelle lui donne un contenu assez précis, qui conduit à deux idées cruciales :

1. La conscience n’est pas strictement locale, elle est étalée dans l’espace-temps. Elle a une structure de champ. L’intensité de ce champ est indifférente à la distance.

2. Ce champ psychique, global et collectif, peut emmagasiner des informations.

Avec ces deux idées, on peut tenter d'y voir plus clair sur la réincarnation.

La conscience non-locale peut donner lieu à des phénomènes connus tels que la télépathie, la guérison à distance, les transferts de souvenir observés après certaines greffes d’organes. Les informations contenues dans le champ psychique universel constituent des traces mnésiques, c’est-à-dire des souvenirs. Ces traces sont une sorte de mémoire extra-cérébrale et extra-individuelle (car collective).

Chaque fois qu’un souvenir naît dans notre psyché, de nouvelles traces mnésiques s’ajoutent au champ psychique collectif. Elles enrichissent ce que les hindous appellent les annales akashiques. Cela conduit à ce que je propose de nommer la "télé-mnésie".

La télé-mnésie désigne la possibilité que des souvenirs - contenus dans le champ psychique non-local - soient soudain captés, ou "remémorés", par n’importe lequel d’entre nous. C'est toujours possible, car nous sommes tous reliés à ce champ, qui fait de nous des êtres solidaires et interdépendents. Le lieu et l’époque de cette réminiscence sont arbitraires. Ils peuvent être très éloignés, dans l’espace comme dans le temps, des circonstances où le souvenir fut créé.

Le lien avec la réincarnation est évident. Si en effet une partie de mes souvenirs ne m’appartiennent pas en propre – mais proviennent de l’esprit d’un moine médiéval, par exemple – alors j’aurai la sensation occasionnelle d’être ce moine. Je pourrai même, si ces souvenirs sont précis, donner des preuves vérifiables que je suis sa réincarnation. Et en un sens, c'est exact!

On voit sur cet exemple que la réincarnation n’est pas nécessairement une question de tout ou rien. Elle procède plutôt d’une logique floue, d’identités partielles juxtaposées, qui viennent frapper çà et là à la porte de notre mémoire et de notre inconscient. Je puis être en partie le moine, et en partie d’autres personnages du passé.

En fait, je suis un peu tous ceux auxquels le champ psychique global me connecte le plus fortement. C'est ce qui résulte de cette notion d'holomatière non strictement locale.

René Guénon, que beaucoup de lecteurs connaissent, envisageait qu’après la mort corporelle subsiste un magma psychique individuel, il considéra que des "résidus psychiques" pourraient être transférés à une autre individualité après cette mort. Il écrivit, dans L’erreur spirite: "Dans l’ordre psychique, il peut arriver exceptionnellement qu’un ensemble assez considérable d’éléments se conservent sans se dissocier et soient transférés tels quels à une autre individualité."

C'est une thèse bien proche de la mienne. Ces "résidus psychiques" transmissibles d'un individu à l'autre seraient ce que je nomme les traces télé-mnésiques. En fait, ils sont transmissibles même du vivant d'un individu. C'est ce qui provoquerait la télépathie, ou des phénomènes comparables que l'on a observé (avec les greffes d’organes, la "communication facilitée" pratiquée avec les autistes par Madame Vexiau par exemple, etc.).

Enfin, et plus récemment, Rupert Sheldrake a développé une conception similaire, à partir de ses notions de champ morphogénétique et de résonance morphique. (Voir ses différents ouvrages.) Ce champ non-local peut contenir les souvenirs de défunts. Il peut les transmettre à des personnes vivantes.

Conclusion : je suis un peu toi, tu es un peu moi

Si l'univers est fait d'holomatière, il est une gigantesque communauté psychique, où l'individu ne peut être isolé ou séparé du reste. Tout est lié, nous sommes tous interconnectés. La "télé-mnésie" peut lui rappeler, à l'occasion, qu'il est aussi le passé de l'humanité et de la biosphère. Il est en aussi le futur. Il prend racine dans l' inconscient collectif, qui appartient à tous et à personne.

Etre un peu sans être tout à fait, c'est par cette ambiguïté que je définirais la "réincarnation floue" qui découle de mes hypothèses. Il peut être vrai que Napoléon était la réincarnation de Charlemagne, comme il l'affirmait sérieusement. Mais on ne peut l’entendre au sens strict d'une individualité qui réapparaît à l'identique dans une nouvelle enveloppe charnelle, et à une époque ultérieure. Ce n’est qu’une vérité partielle, désignant un lien psychique privilégié entre les deux personnalités. Les "résidus psychiques" de l'un sont venus enrichir – et conditionner - la psyché de l'autre.

On comprend alors l’efficacité thérapeutique, maintes fois vérifiée, du travail sur les vies passées. Car ces "résidus psychiques" agissent en nous. Ils sont notre passé, ils sont parfois un fardeau. Dans ce cas, il faut savoir les identifier, les revivre pour pouvoir s'en affranchir.

En conclusion, je crois pouvoir affirmer que nous disposons aujourd’hui, grâce à la science moderne, d’une approche qui débouche sur un modèle de la conscience et de la mémoire mentale. Il n'a pas encore été testé, d’autant plus que la communauté scientifique ignore tout ce qui sort du cadre matérialiste. Mon approche en est donc encore au stade de la conjecture. Et, tant que nous ne disposons pas d'une théorie confirmée de la conscience et de la mémoire, la réincarnation ne peut pas recevoir de vrai statut scientifique. Elle reste donc une croyance. Je pense cependant que nous en apprendrons beaucoup plus dans un futur proche.