Lucidité Terminale

En science, la présence ou l'absence d'un phénomène donné détermine s'il est réel, et non la présence ou l'absence d'une théorie pour expliquer ce phénomène.

Par conséquent, lorsqu'une théorie fait défaut, il appartient à la science d’investiguer ce qui n'est pas encore expliqué - Michael Nahm

Je souhaite approcher dans ce post un phénomène des plus intrigants, connexion mystérieuse entre lucidité et transition imminente : la lucidité terminale.

Le docteur Michael Nahm la définit ainsi : Ré-émergence de capacités mentales normales ou même considérablement augmentées chez des patients amorphes, inconscients ou déficients mentaux peu avant la mort, accompagnée d’une amélioration considérable de l'humeur et de l’inclination spirituelle, ou de la faculté à parler d'une façon spiritualisée et exaltée auparavant inexistante. (Voir Lucidity at Death, Journal of Near-Death Studies).

Rudolph Tanzi, qui est professeur de neurologie à l'école de médecine de Harvard dirige l’unité de génétique et de gérontologie du Massachussets General Hospital. Voici ce qu’il dit : ‘Des épisodes de lucidité terminale même chez des patients Alzheimer à peine conscients, à peine réactifs, eh bien, ça arrive tout le temps. Tout d’un coup juste avant de mourir, un patient peut dire au revoir à ses proches, se souvenir de leurs noms, peut-être même évoquer un événement après une dizaine d'années de perte de ses facultés cognitives, après avoir perdu d'abord sa mémoire à court terme, puis sa mémoire à long terme. C'est un mystère complet. […] Mais il est indéniable que cela se produit.’

Ce phénomène surprenant est bien connue des personnels en unités de soins palliatifs et soins intensifs. Des patients souffrant de maladie d’Alzheimer, de démence sénile, de schizophrènie, de méningite cérébrale, de tumeur au cerveau, de sévères AVC, des personnes dans le coma, se mettent soudainement à parler intelligemment et clairement, à rire, à plaisanter, à partager des souvenirs et à être totalement conscients de leurs circonstances. C’est si soudain que la famille croit à une guérison miraculeuse mais les infirmières ne sont pas dupées. La transition se produit généralement dans les heures qui suivent.

La lucidité terminale, les visions au lit du mourant et les NDE se produisent même quand les facultés du cerveau sont sévèrement endommagées ou inexistantes (lire Eben Alexander, 2012). Ces faits mettent à mal les théories matérialistes d’une conscience produite par le cerveau car la lucidité serait alors impossible. Au contraire, ils suggèrent que la conscience fonctionne et persiste sans le cerveau, dont l’examen post mortem chez ces personnes montre l’état de délabrement.

Les premières études historiques entreprises en 2011 par les docteurs Michael Nahm, Bruce Greyson, Emily Williams Kelly, et Erlendur Heraldsson ont concerné 84 cas. Plus récemment, les données préliminaires recueillies par le docteur Alexander Batthyany, Professeur en sciences cognitives à l’université de Vienne, semblent montrer une occurrence d'environ 10% - l’étude se poursuit et ce chiffre n’est pas définitif. Selon Nahm, une moitié des patients décèdent dans la semaine suivant l’épisode de lucidité et une moitié le jour même : ‘Le retour inattendu de la lucidité mentale se produit généralement dans les dernières minutes, heures ou jours avant la mort du patient’.

Serait-il possible qu’un cerveau sévèrement endommagé réduise les facultės mentales mais n’affecte pas l’esprit ? Pour prendre la métaphore de la radio, un poste endommagé restitue quelques bribes de sons parasités, mais le signal source n’en reste pas moins intègre. Une explication possible serait que dans ce court temps qui précède la transition, la conscience se désengageant du cerveau peut ainsi recouvrer et déployer son potentiel. La lucidité terminale serait un indice de plus que le cerveau ne produit pas la conscience, que celle-ci en est au moins partiellement indépendante.

Le Dr. Michael Nahm écrit dans son étude Terminal Lucidity in People with Mental Illness and Other Mental Disability: An Overview and Implications for Possible Explanatory Models publiée dans le Journal of Near Death Studies : ‘En somme, il ne semble pas y avoir une corrélation simple et directe entre la matière cérébrale et le mental humain. Le problème est beaucoup plus complexe. Dans leur ensemble, les indices montrent qu'au moins certaines facultés de l'esprit peuvent fonctionner indépendamment des neurones. Donc, proposer des modèles explicatifs pour la lucidité terminale sur la base de la deuxième hypothèse non matérialiste ne semble pas aussi farfelu qu'il puisse paraître à première vue. Au moins, elle doit être considérée comme une hypothèse scientifiquement valide qui peut être explorée lors de futures recherches’. Autrement dit, les théories matérialistes de la conscience comme épiphénomène des réactions chimiques du cerveau sont simplistes.

Voici trois exemples de lucidité terminale - suite à une maladie d’Alzheimer, un cancer et un AVC - trouvés sur le site de Michael Nahm :

Une femme de 91 ans souffrant de la maladie d'Alzheimer depuis 15 ans et prise en charge par sa fille. Cette femme ne communique plus depuis des années et ne reconnaît plus personne ni même sa propre fille depuis cinq ans. Cependant un soir elle entame avec elle une conversation normale. Elle parle alors de sa peur de la mort, des difficultés qu'elle a avec la religion et avec certains membres de sa famille. Elle décédera quelques heures plus tard.

Un jeune homme souffrant d'un cancer du poumon avec métastases au cerveau. Quelque temps avant sa mort, un scanner cérébral montre peu de tissu cérébral, les tumeurs métastasées l’ayant détruit et remplacé. Dans les jours qui précèdent sa mort, il perd toute sa capacité à parler et à bouger. Selon sa femme et une infirmière, il se réveille une heure avant sa mort, dit au revoir à sa famille, leur parle pendant quelque cinq minutes et leur tapote les mains avant de perdre à nouveau connaissance et de mourir. (Haig, 2007)

Une femme âgée de 91 ans victime de deux AVC. Le premier a paralysé son côté gauche et a affecté son élocution. Quelques mois plus tard, suite au deuxième AVC elle reste complètement paralysée et incapable de parler. Une de ses filles s'occupe d'elle. Une exclamation de sa mère l'alerte immédiatement. Le visage de la vieille dame est rayonnant et souriant, alors que son expression faciale était figée depuis son deuxième AVC. Elle tourne alors la tête et s'assoit dans son lit sans aucun effort apparent. Puis, elle lève les bras et prononce d'un ton clair et joyeux le nom de son mari. Ses bras retombent, et en s’affaissant elle meurt. (Noyes, 1952)

Mais, et de loin, Anna Katharina (Käthe) Ehmer (1895-1922) est un cas des plus stupéfiants de lucidité terminale. Elle était depuis la naissance très sévèrement incapacitée, et n’avait jamais pu apprendre à parler. De plus, elle avait souffert plusieurs virulentes attaques de méningite tuberculeuse qui avaient sans doute détruit les cellules du cerveau nécessaires au raisonnement intellectuel. Wilhelm Wittneben et Friedrich Happich, respectivement médecin psychiatre en chef et directeur de l’institut Hephata, Schwalmstadt, Allemagne, où elle était internée depuis 1901, ont consigné les événements précédant la mort de Käthe. J’ai extrait et traduit toutes les citations de ‘The death of Anna Katharina Ehmer : A case study in terminal lucidity - Michael Nahm et Bruce Greyson’.

Le Dr. Happich, décrit ainsi la personnalité et les infirmités de Käthe : ‘Käthe faisait partie des patients souffrant des plus sévères infirmités mentales que notre institut ait jamais hébergés. Depuis la naissance elle était sévèrement handicapée. Elle n’avait jamais pu apprendre à parler un seul mot. Elle fixait du regard pendant des heures un même point, puis gigotait des heures durant sans aucun répit. Elle engouffrait sa nourriture, se souillait jour et nuit, proférait des sons bestiaux, et dormait. Tout le temps qu’elle vécut avec nous, nous n’avons jamais constaté qu’elle remarquait son environnement, même pas une seule seconde. Nous avions dû amputé une de ses jambes, elle (Käthe) se délabrait’.

Et pourtant en dépit de ce diagnostic désespéré, Käthe moribonde chanta pendant quelque 30 minutes en un allemand parfait un hymne funèbre Wo Findet De Seele (en français, Où se trouve l’âme) pour accompagner sa mort imminente. On imagine l’indescriptible stupéfaction des médecins et infirmières !

Le Dr. Happich relate ainsi les événements : ‘Un de nos médecins, scientifique et psychiatre respecté, m’appela.

Il me dit : ‘Venez immédiatement auprès de Käthe, elle est mourante !’

En entrant ensemble dans la chambre, nous ne pûmes croire ni nos yeux ni nos oreilles. Käthe, profondément handicapée mentale depuis la naissance, qui n’avait jamais prononcé un moindre mot, se chantait à elle-même des chants funèbres.

Tout particulièrement, elle chantait en boucle ‘Où l’âme trouve-t-elle son foyer, sa paix ? La paix, la paix, paix céleste !’

Elle chanta pendant une demi-heure. Son visage, jusqu’alors figé, était transfiguré et spiritualisé. Puis elle partit tranquillement. Moi-même, et le médecin et les infirmières qui l’avaient soignée, étions en larmes.

Saisis par la plus profonde émotion, nous avons été les témoins de la mort de cette jeune fille. Sa mort a fait naître en nous beaucoup de questions. De toute évidence, Käthe ne s’était que superficiellement abstraite de tout ce qui se passait autour d’elle. En réalité, elle en avait intégré une grande proportion. D’où connaissait-elle les paroles et la mélodie de ce chant sinon de son environnement ? De plus, elle avait compris le sens de ce chant et l’avait utilisé à bon escient à l’heure la plus critique de son existence. Cela nous apparut comme miraculeux.

Plus grand encore le miracle de Käthe qui muette jusqu’alors pût soudainement réciter le texte de ce chant clairement et intelligiblement. Le Dr Wittneben répétait encore et encore : ‘D’un point de vue médical, je suis confronté à un mystère. Käthe a souffert tant de sévères méningites infectieuses, et du fait des altérations anatomiques des tissus cérébraux il n’est pas compréhensible que cette femme mourante ait pu soudainement chanté si clairement et intelligiblement‘.

La lucidité terminale fait partie des très profondes expériences de transformation spirituelle ayant un impact autant sur l’expérienceur que sur les témoins ; sa valeur d’enseignement est grande, pour les mourants, les soignants et les endeuillés.

Le moment de notre mort, porte d’accès à la plus profonde des transformations, mérite d’être accueilli avec confiance, en toute conscience et lucidité. Notre état d’esprit orientera l’expérience de ce moment crucial.