Cette opposition, proposée par Ferdinand Tönnies dans un livre du début du XXe siècle, et qui a vieilli sous certains aspects, me paraît fructueuse à bien des égards. Elle vaut dans une perspective sociologique (synchronique) mais aussi historique : on peut appliquer son schéma sans trop de distortions à l'opposition entre la société médiévale et la société moderne.
Grosso mode, dans la communauté, chacun est à la place qui lui est assignée. Il dépend des autres, avec lesquels il collabore à l'intérêt général. La société par contre émerge de la compétition entre des individus, supposés libres, rationnels, autonomes, et optimisant leur intérêt particulier.
L'invention de l'individu fait reposer la société sur une délégation des pouvoirs économique (libéralisme et capitalisme) et politique (démocratie élective). L'organisation de cette délégation fait surgir la figure de l'État.
Bien sûr, à la limite arnarcho-libérale, il n'y a pas besoin d'État, mais on perçoit bien ce qu'une telle limite a d'instable, et que la résolution des conflits d'intérêts ne manquerait pas de la détruire. L'État est le garant de l'intérêt général, et le « détenteur de la violence légitime » (selon le concept de Max Weber).
La délégation des pouvoirs se fait donc dans le cadre d'institutions (gouvernement, administrations, entreprises).
Et la démocratie dans tout ça ?
Si on cesse d'être obnubilé par sa restriction à la sphère dite politique, et à son traitement sous l'angle parfaitement contingent de la représentation, il devrait s'agir du pouvoir du peuple, et donc d'un sentiment partagé de puissance, en collaboration avec les autres, pour agir sur les conditions de sa propre existence.
Or, ce que révèle le sursaut actuel de l'extrême droite dans le monde occidental, c'est la prévalence de la frustration, l'impuissance, la souffrance, l'angoisse, la peur. Ce sont ces vécus qui résultent dans une fragmentation des « masses », dans l'expression d'exclusions diverses et mutuelles : nationalisme, racisme, homophobie, masculinisme, élitisme, mépris.
On ne peut que citer Warren Buffet: There's class warfare all right, but it's my class, the rich class, that's making war, and we're winning.
L'arme de cette victoire stratégique est le capitalisme, sous un masque libéral, et dans les habits de la démocratie représentative.
mars 2025