Histoire universelle des chiffres

L'intelligence des hommes racontée par les nombres et le calcul

Georges Ifrah

Bouquins, Robert Laffont, 1981, 1994

Tome I

Introduction : D'où viennent les « chiffres » ? De la longue quête d'une ombre !

Comme le petit prince de Saint-Exupéry

La quête du « Graal-chiffre »

p. 5

« Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l'essentiel. Elles ne vous disent jamais : "Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu'il préfère ? Est-ce qu'il collectionne les papillons ?" Elles vous demandent : "Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ?" Alors seulement elles croient le connaître. Si vous dites aux grandes personnes : "J'ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toit...", elles ne parviennent pas à s'imaginer cette maison. Il faut leur dire : "J'ai vu une maison de cent mille francs." Alors elles s'écrient : "Comme c'est joli !" »

L'histoire d'une grande invention

p. 15

La découverte de la numération de position a échappé à la majorité des peuples de l'histoire.

[...]

En fait, cette règle essentielle n'a été imaginée que quatre fois au cours de l'histoire.

Première partie : l'aventure des chiffres ou l'histoire d'une grande invention

Chapitre 2 : le système de la base et la naissance des systèmes de numération

Le principe de la base décimale

La numération orale sanskrite

p. 82-83

Avantages et inconvénients de la base dix

L'HISTOIRE DU SYSTÈME MÉTRIQUE

p. 111

1983, 20 octobre. La 17e Conférence générale des poids et mesures fixe la cinquième définiton du mètre en s'appuyant sur la vitesse de la lumière dans le vide (299 792 458 m/s) : c'est la longueur du trajet parcouru par la lumière dans le vide pendant une durée de 1/299 792 458e de seconde. La seconde, quant à elle, est définie comme la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l'état fondemental de l'atome de césium 133. La même conférence fixera les définitions des cinq autres unités de base (kilogramme, ampère, kelvin, mole et candela), ainsi que les normes du système international (SI) actuel.

L'origine des autres bases

p. 117-118

[Lévy-Bruhl, à propos des Dènè-Dindjiés du Canada. La mentalité « primitive »] est mystique, orientée autrement que la nôtre. Elle est souvent indifférente aux caractères objectifs [qui nous sont] les plus manifestes, et préoccupée au contraire des propriétés mystérieuses et secrètes des êtres.

Chapitre 13. Les numérations mésopotamiennes après l'éclipse des Sumériens

Comment est né le zéro babylonien

p. 362

À partir d'une époque qu'il est difficile de situer avec exactitude — mais qui, nous le verrons, est peut-être antérieure de peu à l'époque séleucide [311 av J.-C.] — les astronomes et les mathématiciens babyloniens ont usé d'un véritable zéro pour signifier l'absence d'unités sexagésimales d'un certain rang.

Comment calculaient les savants babyloniens ?

Fig, 13.70, p. 372

Fragment d'une table de racines carrées. Date : 1800 environ av. J.-C.

Chapitre 14 Les chiffres de la civilisation des pharaons

Les fractions de nombre et le dieu dépecé

p. 408

[Thot] entama une partie de dés avec la Lune. Et comme il eu l'avantage sur sa partenaire, il se fit donner par elle un soixante-douzième de ses feux et de sa lumière, dont il disposa pour fabriquer cinq journées entières qu'il ajouta aux 360 de l'année telle qu'elle existait jusqu'ici.

Chapitre 16 Les chiffres grecs et romains

Les chiffres romains

p. 454-455

Pas plus que les signes des numérations précédentes, les chiffres romains n'ont permis à leurs utilisateurs de faire des calculs,

[...]

En fait, les chiffres romains sont non pas des signes servant à effectuer des opérations arithmétiques, mais des abréviations destinées à notifier et à retenir les nombres. Et c'est pourquoi les comptables romains [...] ont toujours fait appel à des abaques à jetons pour effectuer des calculs.

p. 455

Un peuple qui, en peu de siècles, atteignit un très haut niveau technique conserva ainsi curieusement, durant toute son existence, un système inutilement compliqué, non opératoire et comportant de la sorte un archaïsme de pensée caractérisé.

La première « calculatrice » de poche

Note 3. p. 506

L'unité monétaire romaine était l'as de bronze.

Chapitre 17 L'alphabet et la numération

L'alphabet numéral grec

p. 529

L'origine phénicienne de l'alphabet grec ne fait pas de doute.

p. 530

La notation de la phrase ne peut pas, en grec, se passer de voyelles comme dans les langues sémitiques. [...]

Les grecs ont [...] converti les signes des gutturales sémitiques, qui leur étaient inutiles, en signes nécessaires à la notation des voyelles.

Chapitre 20 Chiffres, écritures, magie, mystique et divination

Interprétations et spéculations des gnostiques, kabbalistes, magiciens et devins

p. 608

YHWH, « Yahweh », est le seul et véritable « Nom Propre » de Dieu. C'est le Tétragramme divin. Il est censé comporter le caractère éternel de Dieu puisqu'il est constitué des trois formes hébraïques du verbe « être », à savoir : Hayah « Il fut », Ho Weh « Il est », YiHyeh « Il sera ».

Chapitre 21 Les chiffres de la civilisation chinoise

Le boulier-compteur : l'instrument de calcul de la civilisation chinoise actuelle

p. 678

Il y eu même une fois au Japon un véritable match, qui opposa : le Japonais Kiyoshi Matsuzaki, le champion de soroban du bureau de l'Épargne du ministère de l'Administration des postes [...] ; à l'Américain Thomas Nathan Woods, soldat de deuxième classe de la 240e section financière du quartier général des forces US au Japon, qui avait été désigné comme « l'opérateur de calculatrice électrique le plus expert de l'armée américaine au Japon ». C'était en novembre 1945.

Chapitre 23 Le stade ultime de la notation numérique

La première règle numérale de l'histoire : le principe d'addition

pp. 760-761

Quant au système romain, on y a multiplié les conventions d'écriture d'une manière tellement inconsidérée que celui-ci a fini par manquer de cohésion. Et comme on a usé simultanément de deux principes logiquement incompatibles (les principes additif et soustractif), le même système est allé jusqu'à marquer une nette régression par rapport aux autres numérations écrites de l'histoire.

La première avancée notable [...] est due [...] aux scribes égyptiens [...]

Les juifs et les Grecs, et après eux les Syriaques, les Arméniens et les Arabes, se donnèrent des notations mathématiquement équivalentes [...]

Mais au lieu de procéder comme les Égyptiens en schématisant progressivement le tracé de leurs chiffres initiaux. ceux-ci ont forgé leurs systèmes à partir de leurs alphabets respectifs. Considérant les lettres dans [...] l'ordre « abécédaire », d'origine phénicienne [...] de telles numérations associèrent en effet les neuf premières aux unités simples, puis les neufs suivantes aux dizaines, et ainsi de suite.

[...] ce procédé apporta [...] une solution acceptable [...] au problème de la représentation numérique, le nombre 7659 se trouvant noté, comme en hiératique ou en démotique égyptien, seulement au moyen de quatre signes.

Découverte du principe multiplicatif

p. 762

[Les] numérations assyro-babylonienne et araméenne furent [...] des systèmes de type « hybride partiel ».

[...] les Chinois et les peuples de l'Inde méridionale (Tamil et Malayâli) [ont abouti à des] numérations de type « hybride complet ».

Les premières numérations de position de l'histoire

p. 770

Les systèmes savants babylonien, chinois et maya furent donc bien les premières numérations de position de l'histoire.

La clef de voûte de notre numération actuelle

p. 779

Rabbi Ben Ezra.

Né à Tolède vers 1092, celui-ci entreprit, à partir de 1139, un long voyage en Orient, qui s'acheva ensuite par un séjour de quelques années en Italie. Puis il vécut dans le Midi de la France, avant d'émigrer vers l'Angleterre où il s'éteignit en 1167.

[...]

Toutefois, au lieu de se conformer strictement à la graphie des chiffres d'origine indienne, il préféra représenter les neuf premiers nombres entiers au moyen des neuf premières lettres de l'alphabet hébreu.

Chapitre 24 (Première section) La civilisation indienne : berceau de la numération moderne

L'époque probable de ces découvertes majeures

p. 936

Ainsi la découverte du zéro et de la numération décimale de position s'est-elle vraisemblablement produite au milieu de l'époque de l'empire des Gupta, dynastie qui régna sur toute la vallée du Gange et des ses affluents de 240 environ à 535, et dont la période a été qualifiée de classique.

Comment est née la numération moderne

p. 963

Que j'aime à faire apprendre ce nombre utile aux sages.

Immortel Archimède, artiste, ingénieux (sic),

Qui, de ton jugement peut priser la valeur ?

Pour moi, ton problème eut de pareils avantages.

Tome II

Chapitre 24 (Deuxième section) Dictionnaire des symboles numériques de la civilisation indienne

Pâtîganita (ou Ganitapâtî)

pp. 131-132

[Des] textes citent l'invention par Cai-Lun en l'année 105 avant notre ère d'un papier fait avec une boullie provenant du défibrage de chiffons et de vieux filets de pêche. Cependant, l'idéogramme qui sert à écrire le mot papier en chinois contient le signe relatif à la soie. [...] Pendant longtemps, l'Occident aura ignoré le papier. Ce sont des Chinois faits prisonniers par les Arabes à la bataille de Talas [dans l'actuelle Kirghizie] qui, en 751, commencèrent à fabriquer du papier à Samarkand. [...] les envahisseurs arabes [l']introduisirent en Espagne [après 900].

Zéro (Conception gréco-latine du)

p. 191

On connaît aussi le sentiment du vide, cette impression bizarre de manque et de privation que l'on éprouve péniblement sans pour autant en connaître les causes précises : un sentiment que Chateaubriand avait appelé le spleen, mais que bon nombre désignent aujourd'hui sous le nom de stress.

p. 192

Le sens du terme français de nullité n'existe d'ailleurs en tant que tel que depuis quelques siècles. Il provient du latin médiéval nullitas dont il constitue la traduction fidèle. Mais au temps des Romains, cette notion n'était exprimée que par l'adjectif indéfini nullus, nulla [...]

Mais du vide, on passe aussi au néant. Ce mot est issu du latin scolastique non ens (littéralement : « non étant »).

[Rien] provient du latin rem, accusatif de res, « chose ». C'est pourquoi, en vieux français, « rien » signifiait encore « quelque chose ».

[Le latin nihil] n'est autre que notre « rien » actuel.

Zéro (Conceptions indiennes du)

p. 193

[Les] notions philosophiques de vacuité, de nihilisme, de nullité, de non-être, d'insignifiance et d'absence ont été conçues de bonne heure en Inde (sans doute dès le début de notre ère) suivant une parfaite homogénéité [...]

Les concepts de cette philosophie ont été poussés à un tel point que l'on a été jusqu'à distinguer vingt-cinq espèces de śhûnya [...]

Chapitre 25 Les chiffres et le calcul indiens en terre d'Islam

Fig 25.1

p. 200

[Les] mathématiciens du monde musulman connaissaient le développement du binôme (a + b)m, pour un exposant « m » entier positif quelconque [triangle de Pascal], dès le Xe siècle au moins.

L'âge d'or de la science arabe

p. 203

L'une des périodes les plus brillantes de l'histoire de la science s'est déroulée en Terre d'Islam du VIIIe au XIIIe siècle.

Science arabe ou science islamique ?

p. 204

[En] disant science arabe, on n'entend pas nécessairement science musulmane. Il s'agit essentiellement de la science qui avait été véhiculée par la langue arabe [...]

p. 208

[Cette] science (`ilm) est avant tout la connaissance de la Loi religieuse. Mais en Islam, elle n'est pas absolument séparée de la science profane [...]

Les conditions de développement de la science arabo-islamique

p. 211

[Le] calife `Umar (634-644) avait [...] fait détruire une grande quantité d'ouvrages inestimables pris en Perse, en déclarant ceci, selon une tradition bien établie : « Si ces livres contiennent ce qui mène à la vérité, Allah nous a donné ce qui nous y mènera encore plus sûrement. Mais si ces livres devaient contenir des choses fausses, alors ils sont inutiles » [...]

Mais de telles attitudes extrémistes furent tout de même exceptionnelles dans l'histoire de la civilisation arabo-musulmane.

p. 212

La célèbre bibliothèque d'Alexandrie, la plus riche de l'antiquité grecque, fut pillée et détruite à deux reprises : une première fois au IVe siècle ap. J.-C. par des vandales chrétiens, et une autre fois (par un étrange paradoxe de l'histoire) par des Musulmans exaltés du VIIe siècle.

Chapitre 26 Les chiffres « indo-arabes » et les hésitations de l'Europe occidentale

Le calcul à l'époque de la Renaissance européenne : un art obscur et complexe

p. 341

Nous sommes en France aux alentours de 1575, en pleine Renaissance. Le seigneur Michel Eyquem de Montaigne, conseiller au parlement de Bordeaux, ex-conseiller à la cour des aides de Périgueux, ami de François II, puis de Charles IX, bientôt maire Bordeaux, est l'un des hommes les plus érudits de son temps. [...] Et pourtant, il avoue sans honte qu'il ne sait pas calculer !

p. 342

Il fallait alors à un étudiant plusieurs années d'études assidues et les vicissitudes d'un long voyage pour maîtriser les mystères de la multiplication et de la division : l'équivalent en somme d'un doctorat de nos jours.

Chapitre 32 Histoire du calcul artificiel des origines à l'apparition de l'ordinateur

Concrétisation d'un vieux rêve intemporel

p. 484

[...] ce vieux rêve intemporel de l'être humain qu'Aristote fit il y a deux mille trois cent ans : « Si chaque instrument, s'était-il pris à rêver, pouvait, par ordre ou par pressentiment, accomplir son œuvre propre, et si (pareils aux statues légendaire de Dédale, ou aux trépieds d'Héphaistos, qui, au dire du poète, pouvaient eux-mêmes entrer dans l'assemblée des dieux), les navettes tissaient d'elles-mêmes et les plectres jouaient de la cithare, alors les maîtres d'œuvre n'auraient nul besoin de manœuvres, ni les maîtres d'esclaves. » Les vrais hommes, ajouta-t-il, abandonneraient alors les tâches viles, si indignes d'eux, pour ne plus se consacrer qu'aux activités de citoyens et à la recherche du savoir et de la sagesse qu'il procure.

Les mécanismes de la pensée qui ont permis le déblocage et l'explosion de l'informatique

Sixième mécanisme fondamental : de l'algèbre classique à la théorie des ensembles

p. 618

En 1931, [Gödel] provoqua une véritable révolution dans le monde des logiciens en établissant qu'une arithmétique non contradictoire ne saurait former un système complet car elle comporte nécessairement une formule indécidable ; autrement dit que cette arithmétique ne peut contenir la démonstration formelle de sa propre non-contradiction. C'est ce qu'on appelle l'axiome du choix.

Chapitre 33 Pourquoi l'ordinateur s'appelle-t-il ainsi ?

Ordinateur

Jacques Perret, 1955, réponse à IBM France. (p. 669)

Informatique

Philippe Dreyfus, 1962 (p. 714)

Chapitre 34 L'information, troisième dimension universelle

L'information, dimension universelle après la matière et l'énergie

p. 730

Michel Serres