Altruisme et marxisme

En réponse à une phrase adressée à quelqu'un d'autre, sur le forum de philosophie :

> je ne crois pas du tout à l'altruisme, pas plus que vous ne croyez au marxisme.

L'altruisme est un peu comme l'éthique ou l'esthétique : ils ne sont pas en contradiction avec la raison, à moins qu'on ne se trompe à leur égard en en faisant des absolus.

Ils résument et projettent, ils réifient, une conviction synthétique que l'on ne sait pas, que l'on ne peut pas complètement (mais que l'on sait —c'est en ça qu'ils ne sont pas absolus— que l'on peut pas complètement...) justifier pas à pas.

Le marxisme n'en est pas très éloigné dans la forme (suivant ce qu'on désigne par là bien sûr, mais je fais un choix marxien) : il se voulait une théorie scientifique, c'est-à-dire là encore une projection objective, mais à fins de confrontation avec les faits.

La différence entre les deux concepts, conviction synthétique et théorie scientifique, était très claire dans la pensée moderne. Elle s'est estompée avec les progrès de l'épistémologie, quand Kuhn, et après lui Feyerabend, ont montré que contrairement à ce que Popper prétendait, on ne rejette pratiquement jamais les théories scientifiques quand elles sont réfutées par l'expérience : on les ravaude, ou les affine. Les deux concepts se subsument donc en un : paradigme.

Encore une fois, l'erreur n'est pas là où la pensée moderne la cherchait (dans des imperfections de la précision formelle des représentations) mais dans l'universalisme des propositions.

Cet universalisme était une hypothèse métaphysique cachée. Elle a été réfutée.

La possibilité d'une représentation formelle parfaite en était une conséquence (pétition de principe). Elle est tombée.

Il reste que le marxisme est une éthique : il repose pour beaucoup sur l'injonction de résoudre les problèmes les plus indignes au lieu de gloser indéfiniment à leur sujet. Cela ne l'empêche pas d'être scientifique, au sens que Herbert Simon a donné à ce mot dans le titre de son livre : Sciences of the Artificial (et non plus sciences naturelles), parce que la rationalité est intrinsèquement limitée ('bounded rationality').