Sens et contenu

Réaction à l'idée qu'une phrase contienne un sens.

Je pense que cette expression a la forme (!) d'une maladresse, ou du moins révèle une erreur, fonctionne comme la clé d'un raisonnement par l'absurde, et j'essaierai de remonter aux hypothèses qui s'infirment ici.

Une phrase exprime un sens. Une forme intermédiaire, et que je chercherai également, avec Susan Sontag, à rejetter, serait de dire qu'elle représente un sens (une idée).

La phrase, non plus qu'un tableau ou qu'un morceau de musique, ne peut pas être pleine ou vide sans se transformer elle-même. Elle ne définit pas ni ne délimite un espace (négatif) qu'on remplirait avec un sens (positif).

La première idée s'exprime à l'envers par une citation de Gadamer (je cite l'anglais par lequel je la connais, n'osant ce qui serait une double traduction en aveugle) : 'Nothing exists but through language'. Il n'y a pas de sens en dehors d'une expression. C'est la négation de la conjecture métaphysique platonicienne. Supposer un sens sans support est un saut dans l'inconnu. L'existence d'une réalité cachée, sous-jacente, est inutile, ne nous offre rien.

Mallarmé à Degas : « Ce n'est point avec des idées qu'on fait des vers, c'est avec des mots » (cité par Jean Vezin dans les annexes à sa traduction de Sein und Zeit).

La deuxième idée est que le sens n'est pas un matériau, un existant. C'est toujours au contraire une faille dans une plénitude qui tient lieu de support, de porteuse. Le sens est toujours discrimination, négativité, ou du moins en est la trace (cf Derrida).

Aragon cite Braque :

Quand je commence, il me semble que mon tableau est de l'autre côté, seulement couvert de cette poussière blanche, la toile. Il me suffit d'épousseter. J'ai une petite brosse à dégager le bleu, une autre le vert ou le jaune: mes pinceaux. Lorsque tout est nettoyé, le tableau est fini.

La conclusion à laquelle j'essaie de parvenir est en fait le projet de Sartre dans L'être et le néant, tel qu'il l'exprime dans l'introduction en se fondant sur Husserl et Heidegger. Il s'agit de réfuter le recours à des dualismes dans l'être, tel que celui entre existence et essence (toutes deux, catégories aristotéliciennes), pour mettre en valeur le rôle de la liberté (humaine). Selon ses termes, « remplac[er] la réalité de la chose par l'objectivité du phénomène », quand l'objet implique un sujet qui effectue et prend en charge la réduction phénoménologique, et produit le sens.