RESISTANCE PATRIOTIQUE.
Dans un petit journal dinantais qui prit naissance au lendemain de la libération, on a pu lire en finale d'un article ayant trait à la liberté reconquise, une phrase libellée à peu près en ces termes : « Et maintenant, songeons à nos prisonniers qui furent nos premiers résistants et qui mènent encore le bon combat ». Le jeune journaliste, résistant reconnu, ne savait pas si bien dire.
Les sentiments patriotiques qui animaient les prisonniers de guerre en captivité, étaient remarquables et chacun d'eux peut retrouver parmi ses souvenirs, bien des faits prouvant leur attachement à l'idéal qu'ils conservaient par devers eux comme une relique sacrée.
Si, au cours de discussion, un camarade se laissait aller à prononcer des paroles impudentes, jusqu'à dénier en lui tout sentiment patriotique (cela se rencontrait rarement), il ne fallait pas longtemps et bien peu de chose parfois pour lui prouver que les mots inconsidérément prononcés n'étaient que le fait d'une lassitude passagère ou du cafard. Un acte, une idée ou un souvenir démontrait que le prisonnier était animé des meilleures intentions patriotiques, son jugement primaire n'ayant porté que sur l'aspect ordinaire de la question.
Il nous était défendu de porter des insignes aux couleurs belges et, cependant, déjà en 1941, quel est le prisonnier de Stettin qui n'affichait le sien sur sa veste rapiécée ? Dans un kommando voisin du nôtre, un camarade passait uniquement ses soirées à la fabrication d'insignes tricolores à épingle et la distribution se faisait par le truchement des malades se rendant à la Revier. Là, se rencontraient les prisonniers de tous les kommandos et la diffusion des insignes se faisait ainsi dans un minimum de temps, pour une vaste zone.
Certes, il y eut des insignes arrachés par un quelconque Feldwebel dont la hargne était à la mesure de son grade, mais ils étaient remplacés immédiatement. Le port des insignes continua donc en dépit de la défense qui nous était faite et, bien vite, on ne parla plus, que de loin en loin, de certaines interventions boches à ce sujet.
De même, il était défendu de chanter les hymnes nationaux des pays alliés et, à plus forte raison, de les exécuter sur des instruments de musique.
Au kommando de Bredow, on avait réussi à grouper une phalange de 22 musiciens qui, sous la direction d'un camarade expérimenté, adoucissaient nos pénibles moments et raccourcissaient nos longues soirées.
Je me souviendrai toujours de ce soir du 21 juillet 1942, alors que les diverses équipes du kommando viennent de rentrer du travail.
L'avis circule de baraque en baraque que, à l'occasion de la Fête Nationale belge, l'orchestre donnera un concert exceptionnel. Il faut savoir que les jours de semaine étaient réservés aux répétitions.
A l'heure prévue, la baraque qui nous sert de salle de spectacle est archi-comble, plus de 300 prisonniers s'y entassent. Tout à coup, au premier mouvement du chef d'orchestre, tous les prisonniers se lèvent brusquement et restent figés en un garde-à-vous impressionnant. Sur les visages, on peut voir bien des traits trahissant une émotion intense et que, en homme, on tâche de refouler. Cette Brabançonne, exécutée en « forte », dans ce cadre et dans ce milieu, a bien plus de valeur qu'aucune autre entendue au pays en temps de paix. Ce tressaillement jusqu'au plus profond de nous-mêmes, cette émotion peinte sur nos visages et ces sentiments intérieurs qui nous poussent à la révolte, à la résistance, tout cela ne peut être perceptible que dans les circonstances spéciales que nous vivons. Alors seulement, on apprécie toute la portée patriotique et toute la valeur morale de l'hymne national.
Notre résistance à l'ennemi se manifestait bien aussi dans le fait suivant. Pour nous rendre au travail, comme pour en revenir, on exigeait de nous la marche au pas militaire ; c'était normal, reconnaissons-le, puisque nous étions soldats. Eh bien ! jamais, aucune sentinelle n'a pu obtenir la parfaite exécution de cet ordre. Et nous cheminions avec une diversité de mouvements qui démontrait bien notre intention de résister à leurs commandements.
Il n'en fut plus de même lorsque, au printemps 1942, on mit à la tête de chaque colonne un sous-officier belge, dont les commandements étaient exécutés militairement.
On le conçoit, ces manifestations de notre mauvaise volonté irritaient nos gardiens, en même temps qu'elles faisaient nos « beaux jours » en captivité. Et nous avions à cœur de les renouveler à toute occasion, comme une pratique sportive ; les unes exigeaient parfois une entente préalable, les autres naissaient de la spontanéité.
Citons deux exemples qui illustrent les moyens employés pour manifester ouvertement nos sentiments patriotiques derrières les barbelés.
En septembre 1943, le jour de la capitulation de l'Italie, la bonne nouvelle a circulé rapidement parmi la gent P. G. A 6 heures, le soir, à la rentrée au kommando, dans les baraques, les prisonniers manifestent bruyamment leur joie, entrevoyant une victoire alliée plus rapprochée et, partant, une réduction du temps d'épreuves. Dans la cour, un trompette sonne le rassemblement des musiciens et ceux-ci se mettent bientôt en marche en exécutant le chant bien connu des prisonniers : « Dans l'cul », dont le titre grivois résume bien notre opinion sur l'issue des événements. Les baraques se vident et les prisonniers emboîtent le pas aux musiciens, en entonnant le fameux chant.
De l'autre côté des barbelés, le feldwebel est sorti de son bureau et les sentinelles apparaissent sur le seuil et aux fenêtres de leur baraque, amusés par cette manifestation burlesque dont ils ne comprennent pas le motif. La cérémonie s'achève et chacun rentre « chez soi », après avoir ainsi fêté, à la manière P. G., un événement dont la répercussion heureuse n'est pas douteuse.
Le lendemain, à la même heure, les sentinelles envahissaient les baraques et confisquaient les instruments de musique. Ils avaient compris... avec 24 heures de retard
Autre fait typique : En octobre 1943, dans un stalag où je me trouvais à cette époque, quelque 20.000 italiens, amenés comme prisonniers après 'la capitulation de leur pays, ont été immatriculés. Leurs baraques se trouvent séparées des nôtres par des fils barbelés et les sentinelles montent une garde vigilante pour empêcher tout contact avec ces nouveaux venus.
Un dimanche après-midi, environ 5.000 italiens ont été rassemblés sur le terre-plein. Devant eux, des officiers allemands et italiens ont déposé sur des tables plusieurs rames de papier imprimé. Il s'agit de recruter, parmi ces nouveaux prisonniers, des engagements pour la reprise des armes contre les Soviets. Et les discours se succèdent, en allemand d'abord, en italien ensuite.
De l'autre côté de l'enceinte, un attroupement d'environ 300 prisonniers s'est formé (les anciens) et ceux-ci suivent de tous leurs yeux les opérations de recrutement. Enfin, un officier italien invite les « purs » à sortir des rangs et à venir se ranger devant lui. Dix, vingt secondes passent, pas un seul ne quitte les rangs. Au bout de ce court laps de temps, les prisonniers spectateurs, avec une spontanéité parfaite, battent des mains en des applaudissements frénétiques.
Cela dure peu, il est vrai, car plusieurs officiers allemands ont sorti leur revolver et s'avancent menaçants, mais suffisamment pour faire comprendre aux italiens qu'ils recevaient toute notre approbation et que la mésestime dans laquelle on les tenait depuis leur arrivée au camp, disparaissait subitement devant leur résolution de ne plus combattre aux côtés des boches. Et, dès ce moment, ce fut la grande fraternisation entre eux et nous.
Des centaines de cas seraient à citer, notamment les effets de démoralisation parmi les civils, dont il a déjà été question précédemment et, surtout, les cas beaucoup plus concrets des actes de sabotage.
Par ces actes de résistance patriotique, le prisonnier de guerre peut franchement revendiquer la qualité de premier résistant. Soldat désarmé, il sut se servir des armes psychologiques qui se présentaient à lui et continuer à combattre l'ennemi par Devoir patriotique. Le mot « SERVIR » résume bien les qualités du prisonnier tout au long de ses 5 années de captivité.
LE SABOTAGE.
La main-d’œuvre étrangère, en Allemagne, apportait un appoint productif précieux par le nombre, à l'économie du pays et l'industrie se trouvait considérablement renforcée par cet accroissement impressionnant de travailleurs de toute nationalité, dont la grande majorité était composée de déportés.
Dans les usines de guerre, la main-d'œuvre « prisonniers de guerre » était plus rarement employée ou de façon moins apparente, afin de ne pas constituer ouvertement un déni à la Convention de Genève, tout au moins en ce qui concerne les prisonniers belges. Mais cette question était facilement détournée en incorporant des prisonniers de guerre dans des usines dont on ignorait l'usage des pièces mises en fabrication, mais qu'un secret trop absolu faisait supposer que la destination finale pouvait être attribuée au montage d'engins de guerre.
L'emploi de cette nombreuse main-d’œuvre devait nécessairement amener des « abus », soit par un rendement déficient de la production par une entente tacite entre les travailleurs, soit encore par des actes de sabotage et ce, malgré une surveillance intensive et une sévérité extrême.
Chez les prisonniers de guerre, rares sont ceux qui ne se sont pas livrés à des actes de sabotage lorsque l'occasion se présentait, chacun suivant ses possibilités et selon le travail auquel il était affecté.
Au début, les prisonniers agissaient avec prudence, craignant les représailles ; mais, par la suite complètement adaptés à leur situation, ils manœuvraient avec expérience et avec une sûreté parfaite d'exécution.
Au kommando de Stettin-Bredow, les prisonniers étaient affectés à la construction d'une seconde ligne de chemin de fer, avec tous ses à-côtés et notamment la construction de viaducs. Au travail, le bris de manches de pioches et de pelles ne se comptait plus et il me souvient d'un jeune camarade qui, en janvier 1941, nouvellement arrivé sur le chantier, cassa 5 manches de pioche en moins d'une heure, ce qui lui valut d'être accusé de sabotage, mais il prétexta son inexpérience pour sortir d'embarras.
En 1942, un talus qui avait été achevé quelques mois auparavant, dut être démoli. Au cours du déblaiement, on retrouva, enfouies dans la terre, 7 pioches, 12 pelles et 2 brouettes.
Au cours de bétonnage, lorsque la bétonneuse était confiée à des prisonniers, combien de fois ceux-ci reçurent-ils un rappel à l'ordre, parce que les proportions de mélange de gravier, sable et ciment n'étaient pas respectées.
Et mieux à la construction de la pile centrale du viaduc, alors que celle-ci s'élevait déjà à 40 cm. du sommet, une poche fut creusée et remplie d'une vingtaine de litres d'eau. Si on sait que, dans cette région, la température hivernale atteint 40 degrés sous zéro, on se rendra compte du désastre que pouvait provoquer cet acte de sabotage, sur une ligne sillonnée quotidiennement par de nombreux convois de charbon et d'essence synthétique.
Lorsqu'un convoi s'arrêtait à proximité d'une équipe de prisonniers au travail sur la voie ferrée, ce qui arrivait fréquemment, quelques prisonniers interpellaient chauffeur et mécanicien d'un côté de la locomotive pour retenir leur attention, pendant que, de l'autre côté, des P. G. tranchaient au couteau les tuyaux en caoutchouc du Westinghouse, ce qui privait le train de ses freins et donnait aux prisonniers la matière nécessaire au renforcement de leurs semelles.
Un jour, une équipe préposée à la pose des voies, profita de l'absence du contre-maître pour poser un aiguillage à l'envers. Ils s'ingéniaient à demander conseil à leur sentinelle qui n'y connaissait rien et approuvait toutes les explications qui lui étaient données. Le lendemain, le « dompteur » (c'était le surnom donné au contremaître) entra dans une rage folle en voyant que le travail avait été fait à rebours, mais les prisonniers jouèrent les innocents et le renvoyèrent auprès de leur gardien qui, selon eux, était la cause de tout le mal.
Un autre fait, très simple, démontrera aussi que l'idée de saboter prenait corps à toute occasion. Au kommando, au cours de l'appel, un dimanche, on nous interdit de jeter dans les latrines, les déchets de nourriture ou restants de soupe, mais de les déposer dans un tonneau que l'on venait de placer près des cuisines.
Au cours de la semaine qui suivit, on remarqua qu'un fermier des environs venait enlever le tonneau à demi-plein et le remplaçait par un autre, vide. Nous contribuions donc à l'engraissement de ses porcs. Mais il ne se passa pas 15 jours avant que le kommando fut menacé d'une punition collective, si on trouvait encore dans les déchets, des lames de rasoir de sûreté. Conclusion : le jeu continua, le kommando n'eut pas à subir la rigolade collective, les tonneaux ne furent plus remplacés et les déchets reprirent le chemin des latrines.
Dans une usine de construction d'autos, à Stettin, qui dira les milliers de kilos d’alésoirs et autres outils de précision mis à la ferraille par l'unique volonté des prisonniers de guerre ?
Dans l'immense dépôt de locomotives de Stargard, les prisonniers affectés aux réparations ont pratiqué le sabotage avec une assurance professionnelle et sur une telle échelle qu'ils en étaient arrivés à engager entre eux des paris sur la longévité probable des réparations. Prenant note du n° matricule de la locomotive et du jour de sa remise en marche, le prisonnier réparateur prévoyait un maximum de x... jours avant la prochaine panne, étant donné la malfaçon intentionnelle apportée à la réfection de la machine : de là, partaient les paris.
Les prisonniers avaient le talent de prolonger la durée des réparations, allant parfois jusqu'au triple du temps qu'il eût fallu normalement, en employant des procédés brevetés PG qui donnaient tout apaisement à leurs auteurs, au cas où cela eût pu paraître étrange aux chefs de service allemands.
Rappelons-nous aussi, en 1944, les nombreux obus de D. C. A. qui retombaient et n'éclataient qu'à leur arrivée au sol. Sabotage !
Il faut bien reconnaître que le sabotage était entré dans nos mœurs et que le prisonnier en accomplissait les actes en pleine conscience patriotique. Et c'est ainsi que, en 1945, lors de l’approche des armées alliées, là où la possibilité lui était offerte, le prisonnier redevint le soldat du front, en accomplissant certains actes héroïques qui n'en sont pas moins restés dans l'ombre.
Citons le cas de ce camarade, qui, aidé de ses amis de kommando, détruisait un barrage antichars, alors qu'ils se trouvaient entre les feux des américains et des allemands. Sous la violence du combat, ses camarades abandonnèrent la partie pour se mettre à l'abri ; lui, seul, continua jusqu'au moment où un malheureux accident dû à l'arrivée d'un char américain, l'étendit par terre. Il dut vraisemblablement la vie à un de ses camarades qui, sous les balles, revint vers lui, le chargea sur le dos et le ramena en un endroit plus sûr. Ce prisonnier écopait de 4 fractures du bassin et fut traité dans un hôpital de campagne américain où il reçut tous les soins que réclamait son état
Ce sabotage de dernière heure n'est-il pas l'accomplissement héroïque du Devoir ?
N'a-t-il pas été déclaré que, si le pont de Remagen n'avait pas sauté, on le devait à un prisonnier de guerre qui s'était enfermé volontairement dans la casemate bétonnée qui contenait le système électrique de déclenchement qui devait faire sauter le pont ! A l'arrivée des troupes américaines, le prisonnier fut libéré et se perdit anonymement dans la masse des soldats libérateurs et des soldats libérés.
Quel nom donner à cette initiative hardie et dangereuse ? Et combien son auteur était à féliciter et à citer à l'ordre du Jour de l'Armée !
Faits graves ou actes bénins, peu importe, ces sabotages n'en étaient pas moins la conséquence heureuse de la lutte continue que livraient les prisonniers à l'ennemi abhorré. Et, dans cette partie qui se jouait sournoisement, les mérites des prisonniers sont indiscutables.
tiré du livre de François Rouard
" Dans le ghetto des Barbelés"
Couvin
Lors de mes entretiens avec certains prisonniers de guerre couvinois, ils m'ont raconté comment ils sabotaient. Ceux qui étaient affectés dans des fermes avaient plus difficile.
Roger Chockier, menuisier, prisonnier de guerre en Bavière était affecté dans une usine qui confectionnait des pièces pour les chasseurs. Une pièce sur deux était sabotée.
Camille Dehaybe , boucher, prisonnier de guerre au Nord de l'Allemagne travaillait dans une fabrique de saucissons ... ils s'arrangeaient pour que les saucissons soient immangeables.
Roger comme Camille riaient encore des sabotages et des engueulades lorsque les Boches se rendaient compte sans pouvoir identifier quel était l'auteur. Ils étaient parfaitement conscients qu'ils risquaient gros s'ils avaient été identifiés.
Monsieur Nicolas, boulanger, volait de la farine pour les prisonniers de guerre qui avaient faim et confectionnait des galettes pour ceux qui envisageaient une évasion. Chacun à sa façon aidait ses camarades. Il estimait devoir aider les prisonniers de guerre en grande difficulté c'est à dire les prisonniers russes et polonais sous alimentés.
Pierre Uhlig