La tragédie de Graide
Trois accrochages : Rienne, Graide et Bourseigne.
31 AOUT 1944.
La section (sous section 2) est forte de 37 hommes. Une voiture, pilotée par des officiers allemands, est venue dans les environs et même jusqu'à la ferme se trouvant à la lisière du bois dans lequel le camp est retranché. Il semble que les Boches repèrent quelque chose ; sans doute projettent-ils une partie de chasse dans les environs, une battue, comme c'est leur habitude, pensent les maquisards alors qu’en fait, ils ont été dénoncés. Prudents les maquisards redoublent de surveillance !
La journée se passe calmement, rien de suspect à signaler. A la nuit tombante, les ouvriers et estafettes partent vers le but qui leur est assigné et tout est calme dans les environs. Le camp s'endort, gardé par les sentinelles en éveil pour toute la nuit.
1 septembre 1944 .
Dès 7 h. du matin, c'est le réveil habituel. Tout va bien et sur le «Forum» du camp, la place de la cuisine, les nouvelles sont bonnes. L'estafette est rentrée du PC du Groupe qui se trouve à une dizaine de kilomètres, et n'a rien remarqué d'anormal aux abords du camp, ceux qui sont allés au camp matériel sont rentrés également avec les munitions prévues, les sentinelles n'ont rien enregistré d'anormal ni même de suspect. Tout va très bien !
Pendant le déjeuner, assez spécial ce jour, car c'est une petite fête au camp et à cette occasion, chaque homme reçoit une demi tarte ardennaise et du café au lait sucré…
Les ordres principaux pour la journée sont données par le Lieutenant Hustin, commandant la sous-section. Une liaison doit avoir lieu avec le camp de Gedinne,: une équipe ira avec le docteur Jean, chercher le ravitaillement à la sous-section de Haut-Fays. Les hommes de corvée sont désignés. Les sentinelles, relevées, les cuisiniers s'affairent déjà autour de leur foyer, afin de faire du feu sans fumée et de préparer un petit extra pour le dîner. Le Lieutenant reste inquiet au sujet de cette visite d’hier, pour le moins bizarre de cette voiture dans les prairies avoisinant le camp.
L'optimisme règne quand même, car le camp est tellement bien situé, loin de tout village, sur la pente d'une petite vallée isolée, loin de tout sentier frayé dans les bois, qu'il faudrait une dénonciation, pour être pris. Il y a bien des traîtres dans les villages voisins, mais voudraient-ils livrer aux Nazis, des compatriotes … ?
Alerte ! Voici les boches !
8h.30. La sentinelle remonte le sentier en courant, mitraillette à la main, fait irruption au P.C. et fait bondir les maquisards en criant : les boches ! « Où, demande le Lieutenant ? » « Dans la vallée, ils débouchent des bois en avançant dans les prés en direction du camp. Leurs armes sont braquées vers le camp » « Combien sont-ils ? »
« Il en vient de partout, par petits groupes de 5 ou 6. »
Au même moment, la corvée eau remonte en silence et rapidement, ayant dû abandonner les récipients au bord de la source. En hâte, les hommes sont avertis. Le Lieutenant court au point d'eau et la vue des allemands progressant méthodiquement et lentement enlève toute incertitude quant à leurs intentions. C’est une attaque par un ennemi décidé et audacieux. Les maquisards sont réunis en silence et, dans le calme, et sont mis au courant de la situation. Tous sont là, sauf trois hommes partis en corvée à la ferme. Très rapidement, mais dans un calme absolu les baluchons sont ficelés, les armes sont vérifiées et les munitions réparties pour un mieux. Les explosifs sont enterrés pour être soustraits à l'ennemi. Le tout a pris quelques minutes. Les hommes sont réunis au centre du camp.
La consigne ? Celle de toujours : silence absolu. Ne tirer qu'à la dernière minute, suivre le guide à la file indienne, afin d'essayer de décrocher car le combat est inégal. Un ordre … on part. Sur le camp, si animé il y a quelques minutes règne maintenant un silence de mort. En tête, marchent le guide, le Lieutenant Hustin, Romain Brion, adjoint au chef de sous-section et les vétérans de Patignies, maquisards de la première heure. Le chemin de la ferme est libre et, un à un, les hommes s'y engagent. Arrêt, on se compte … Trente quatre. C'est juste : trois hommes en effet sont en mission. Deux éclaireurs envoyés en arrière reviennent presque aussitôt : les Allemands montent dans le camp et sont arrivés presque au P.C. ; ils suivent le sentier de la source. Les trois hommes partis en mission dès le matin, reviennent à ce moment et annoncent que les Allemands occupent la ferme et que d'autres montent vers le bois à travers champs.
Cernés de toute part.
Décision, le camp d'Haut-Fays est rejoint et, pour ce faire, les maquisards dévalent en courant calmement dans un coupe-feu. Afin d'éviter de traverser à découvert les prés et champs de la commune de Gembes, ils suivent la lisière du bois ; sous le couvert et ils remontent la vallée qui sépare d'Haut-Fays. Après quelques centaines de mètres, voici l'endroit idéal pour traverser. Cent mètres à faire en pleine prairie et ils sont dans le versant boisé où se trouve le camp ami. Halte ! A 50 mètres environ, en plein soleil, un détachement de nazi, leur tourne le dos. Il est évident qu’ils sont cernés de toutes parts, que leurs ennemis sont décidés à les exterminer. Ils poussent l'audace jusqu'à s'aventurer en plein bois, loin de tout chemin frayé, chose qui ne s'est pas souvent vue dans la lutte contre les terroristes, et qui prouve encore qu’ils ont été vendus.
Une fusillade infernale.
Regagner le camp d'Haut-Fays est devenu impossible. Deux routes sont peut-être encore praticables, l'Est ou l'Ouest, car le Sud et le Nord sont occupés par l'ennemi. Le Lieutenant décide de partir en reconnaissance avec un homme, afin de se rendre compte de la possibilité de passer. Ordre : attendre sur place et surtout ne pas se séparer. Il part et, avançant avec précautions, se rend vite compte qu'il est impossible de passer. Alors, se retournant, il se trouve nez à nez avec un Allemand embusqué qui ne l'a point vu, car il est arrivé par derrière. Une rafale de mitraillette et le passage est libre. Aussitôt, c'est la bataille et en zig-zag, il parvient à se faufiler et à éviter de justesse le gros de la troupe ennemie.
Pendant son absence, le contact s'est établi avec l'ennemi ; un peloton d'éclaireurs allemands est arrivé à hauteur du groupe et un coup de carabine tiré en l'air signale à l'ennemi où ils se trouvent. A ce signal, le combat commence. La colonne de maquisards continue à avancer cependant dans le bois et, quittant le sentier Il est 10 h. environ. Peut-être pourrait-on passer par le petit défilé rocheux ? On se compte. Trente-cinq. Parfait ! Bientôt des bruits suspects de brindilles cassées et de pas sur le feuillage se font entendre. De plus en plus distincts, ces bruits se rapprochent : secondes anxieuses. Les voici ! Dix, quinze mètres à peine séparent les uns des autres. Soudain, un ordre bref. Avant d’être remarqués, ils foncent en tiraillant au milieu de leur groupe afin de passer. Les coups de feu éclatent, mais ils tirent dans leur dos. Hélas, à la lisière du bois, un feu nourri les attend et, une fusillade infernale fait pleuvoir la mitraille sur les hommes. Un fusil-mitrailleur allemand bien placé, commande l'entrée du passage et le balaie sans arrêt. Personne ne pourra franchir les quelques mètres qui les séparent des bois de Gembes. Leurs positions sont arrosées d'une nuée de balles.
Écrasés par le nombre.
Le Docteur Jean se trouve dans un étroit renfoncement, en compagnie de Brion R., des quatre autres maquisards qui l'ont suivi. En face d'eux, deux têtes casquées mettent un nouveau fusil-mitrailleur en batterie. C'est le vacarme infernal des grandes batailles auquel s'ajoute les cris gutturaux et aigus de la bande déchaînée voulant effrayer sa proie et donner du courage à ses membres. Deux boches sont descendus et paient leur audace de leur vie. Les Boches se décident à monter à l'assaut des roches, mais ils sont décimés une première fois par le fusil-mitrailleur bien placé et bien manié par Camille. Ils se lancent à nouveau en poussant des cris plus perçants et les rafales ininterrompues du fusil-mitrailleur, des mitraillettes et de l' U.D. (pistolet-mitrailleur) les forcent à reculer encore et à se recompter. Le servant de l'U.D. est tué net par une balle perdue qui lui traverse le crâne de part en part. Les armes sont nombreuses et bonnes ; elles ont été parachutées et sont donc modernes. Elles peuvent tenir le coup contre les armes allemandes. Quant aux munitions, elles sont pratiquement inépuisables, mais les maquisards sont très inférieurs en nombre.
La situation devient vite intenable, impossible à contenir cette marée qui, vague après vague, se rue à l'assaut des maquisards. Les grenades éclatent tout près des valeureux maquisards, mais les rochers nous protègent très bien contre les éclats. Les mortiers se mettent aussi de la partie, le vacarme est assourdissant et c'est une pluie de pierres et de mitraille qui les arrose pendant tout un temps. Une légère accalmie se produit, avec l'invitation classique : « Rendez-vous ! Rendez-vous ! »
Personne ne répond et ne songe à répondre. Ils vendront chèrement leur peau. Ils savent que se rendre signifie la mort et souvent dans des conditions bestiales. Deux camarades décrochent avec le docteur Jean et, de roche en roche, par bonds successifs , parviennent à gagner le couvert plus touffu d'une petite sapinière. Le barrage est très serré, les balles isolées sifflent à leurs oreilles, les Allemands tiennent bien leur proie.
Deux hommes sont tués en voulant sortir à tout prix de cet enfer, la sapinière est fouillée de fond en comble pendant une heure par une cinquantaine de nazis. Ce n'est que par miracle que le Docteur Jean échappe à leurs recherches. Il est caché dans un tas de branches de sapin, coupées depuis peu. Il reste dans une immobilité cadavérique pendant plus d'une heure. Et quand dépités de ne rien avoir trouvé, alors qu'ils avaient vu entrer le Docteur dans la sapinière, les Allemands se retirent, quelle n'est pas la surprise de celui-ci, d'apercevoir non loin de lui, deux autres maquisards échappés comme lui et de façon semblable.
Treize morts … vingt survivants.
Ailleurs, la bataille fait rage également. Peu à peu, la fusillade s'éteint, la bataille est presque finie faute de combattants, du côté du maquis. Les nazis, massés en grand nombre dans les prés, disparaissent rapidement, comme si un ordre avait été donné. Il est trois heures et demie. Les Allemands sont partis précipitamment après avoir visité le camp et y avoir mis le feu. Le silence est tout à coup sinistre. Nos appels encore discrets restent sans réponse. Le Docteur revient sur les lieux avec l'un ou l'autre rescapé qu'il a retrouvé déjà et s'affaire à la recherche des blessés. Ils arrivent sur les roches, là où la lutte a été la plus dure et leurs appels restent sans écho. Aucune voix amie ne répond. Is descendent dans la prairie, et là, ils découvrent étendus, sans vie, mutilés, treize corps immobiles.
La bataille de Graide est finie. Les Allemands ont emporté avec eux leur butin, leurs blessés et leurs morts. On dira plus tard (les habitants de Graide où ils sont repassés) que quatre chariots étaient chargés de cadavres ! Chez les maquisards, 20 survivants. On retrouvera plus tard dans la soirée et le lendemain deux cadavres dans les champs de blé. Deux maquisards ont été emmenés vivants à Bièvre où cantonnent les Boches ; Ils se sont faits prendre par surprise pendant la bataille et leur courageux silence leur vaudra la mort. Les Boches ne respectent pas les conventions de Genève, comme en 14-18 d’ailleurs !
Sont tombés au combat :
Romain BRION, de Graide, adjoint au chef de section ;
BERTRUME Paul, de Graide;
BRION Jean, de Graide ;
HALLET Léon, de Graide ;
JACQUES Albert, de Graide ;
DENONCIN Jean, de Naômé ;
DENONCIN Maurice, de Naômé ;
DENONCIN Henri, de Naômé ;
BOURGUIGNON Marcel, de Naômé ;
JANSSENS Franz, d'Anvers ;
COLAUX Albert, de Malvoisin ;
COLAUX Camille, de Patignies ;
COLAUX Simon, de Malvoisin ;
GERARD Jules, de Patignies ;
LEGRAIN Noël, d'Auvelais ;
PISVIN Edouard, de Bruxelles ;
STEVENIN André, de Patignies.
Un du maquis Groupe C
(relation confirmée par plusieurs témoignages dont pages 170 et 171 de Victor Marquet)
Mise en terre par les survivants