Maquis Marquet

Maquis Marquet

Albert Marquet prêtant serment

4eme à droite.

Je m’engage sur l’honneur en tant que membre de l’Armée Belgique

1. de garder la discrétion la plus absolue sur les ordres transmis

2. d’obéir à mes chefs quels qu’ils soient

3. de donner ma vie s’il le faut pour exécuter les ordres reçus

4. Ce serment est fait volontairement à seule fin de lutter jusqu’à la libération de ma patrie

Le ……date

Signature

(serment écrit de la main du légionnaire)

En hommage à mon ami Marquet Albert, résistant et cousin de Marquet Victor. Lorsqu’il m’a raconté ce que fut sa vie pendant la guerre, je lui avais demandé : Comment se fait-il que tu es devenu résistant ? Sa réponse fut simple : normal Victor Marquet était mon cousin. De plus je suis un ancien des Chasseurs ardennais. Tout était dit. Il m’a fait jurer de ne rien dire de ses exploits. Je respecte ma parole donnée. Je laisse la parole à son cousin. Albert était officier de l’Ordre de Léopold II et titulaire de nombreuses décorations 40-45.

Le Maquis de Graide faisait partie du plus grand Maquis de Wallonie, le Maquis de la CROIX-SCAILLE, comptant près de 350 maquisards. Ce dernier s'était installé à la frontière française, dans les 9.000 hectares du plateau forestier de la Croix-Scaille, à 8 kilomètres de Gedinne, 19 kilomètres de Graide.

Voici son histoire, son organisation et ses actions.

Lorsque le premier juin 1944, jour où la Légion belge, devenue de Belgique fin 1942, prit son appellation définitive d'Armée Secrète, la BBC lança sur les ondes le message suivant : "Message pour la petite Berthe; la frondaison des arbres vous cache le vieux moulin", les auditeurs "au courant" bondirent de joie; le moment tant attendu de passer à l'action se profi1ait à l'horizon. En effet, ce message d'avertissement signifiait qu'un ordre d'action serait donné dans la quinzaine. Le lendemain, le lieutenant comte Harold d'Aspremont-Linden, commandant le secteur de la zone V transmettait à ses commandants de groupe l'ordre suivant :

"Pré-alerte - Postes de commandement (PC) en place pour minuit".

Avant d'aborder le sujet proprement dit, quelques mots de présentation des régions de l'Armée Secrète (AS) et de leurs commandants. L'Armée de Belgique, étendant ses ramifications à toute la Belgique était subdivisée en cinq zones. Fin 1943, elle subit une profonde restructuration territoriale ; la zone V, notamment, qui s'étirait auparavant sur les trois Provinces limitrophes de l'Allemagne, le Limbourg, Liège et le Luxembourg, se vit attribuer la partie du territoire national située sur la rive droite de la Meuse; cette zone était commandée par le major Bastin des Chasseurs Ardennais et comprenait sept secteurs. Le secteur 5 qui nous intéresse plus particulièrement englobait une partie du Condroz, de la Famenne et de l'Ardenne Occidentale; il était lui-même articulé en quatre groupes A, B, C et D commandés respectivement par les lieutenants Charles Bodart, baron Jacques de Villenfagne de Sorinnes, Louis Barthélerny et Daniel Ryelandt. Les membres de ce "club" de lieutenants étaient issus: le commandant de secteur et les commandants des groupes A et C, du 13 Bataillon de Ligne, le commandant du groupe B, du 6 Chasseurs Ardennais et enfin le commandant du groupe D, du 4 Grenadiers.

Quelle est la situation du secteur 5 début juin ? Le PC du secteur et celui du groupe B vont se mobiliser dans les premiers jours. Les commandants des trois autres groupes vivent dans la clandestinité depuis de nombreux mois. Charles Bodart installe son PC è la ferme de Mont à Braibant ; Louis Barthélemy a constitué, dès le 4 mai, un embryon de PC dans les bois au sud-ouest de Vencimont tandis que Daniel Ryelandt s'est installé depuis avril dans un des petits camps qui abritent l'effectif déjà mobilisé du groupe.

Nous allons maintenant nous attacher plus précisément aux basques du groupe C, fort de deux sections (compagnies); la section I dite de Gedinne, commandée, et oui, par le sous-lieutenant de réserve vétérinaire Marcel Vincent, et la section II de Beauraing, aux ordres du lieutenant Joseph Questiaux, issu lui aussi du 13 Bataillon de Ligne.

Au cours de quatre parachutages effectués sur les plaines "Buffle" et "Grenadier" le 3 mars, 11, 30 avril et enfin 6 juin, le groupe reçut 53 containers qui vont lui permettre d'armer un nombre important d'hommes. La mobilisation peut donc commercer dans ces conditions. Le 13 juin, le PC et les deux sections comprenant chacune deux sous-sections (pelotons) s'installent dans les bois au sud-est de Bourseigne-Vieille. Notons qu'une sous-section se compose de trois escouades, sous les ordres d'un sergent, articulées en deux escouades de cinq hommes chacune : une équipe "Ben Gun" et une équipe "UD" du modèle de la mitraillette américaine dont les membres de l'équipe sont armés. C'est dans ce premier camp que sera jugé, par un conseil de guerre en campagne, un agent belge de la Sipo-SD de Dinant qui s' était joint aux maquisards lors de leur concentration afin de les dénoncer ; condamné à mort, l'individu sera passé par les armes. Le groupe déménage une première fois le 17 juin, puis le 7 juillet pour s'installer à la Croix-Scaille à proximité du camp français du commandant "Prisme" futur général Paris de la Bollardière avec qui les Belges nouent d'étroites relations.

L'emplacement de ce camp étant jugé trop excentrique par rapport aux deux plaines de parachutage dont la garde devient mission prioritaire, le groupe va début août, éclater en huit camps de sous-sections (ou équivalents) de manière à mieux occuper le terrain. Notons les emplacements des PC : le PC du groupe s'installe avec la sous-section 3 au "Barbouillon" à l'est de Vencimont; le PC de la section I et sa sous-section 1 se trouvent dans les bois au sud-ouest de Gedinne-Station; on trouve enfin l'état-major de la section II et sa sous-section 4 le long de la Houille à environ deux kilomètres à l'ouest de Vencimont.

Ce dispositif sera maintenu jusqu'à la libération. A ce moment, le groupe comptera 360 hommes dont 155 ont rejoint après le 15 juin. Avant de passer aux opérations proprement dites, voyons comment Henri Bouillon, soldat de la sous-section 4, ressentait la vie de tous les jours : "Le sentiment du maquisard est d'abord la quasi certitude d'une insécurité totale; le maquisard ne "voit" jamais les choses que par les yeux des autres alors qu'il voudrait tant voir lui-même. En forêt, il n'y a pas de recul et on peut vous tomber dessus à l'improviste. Le climat est épouvantable, pluies presque continuelles, très rarement beau soleil, nuits épouvantables, parfois à même le sol détrempé, toujours trop courtes, entrecoupées de gardes fréquentes, réveil aux petites heures pour des tâches (marches, sabotages, parachutages, déménagement) très dures physiquement et très éprouvantes pour les nerfs". Il est vrai que cette vie était rude, éprouvante et que les conditions climatiques n'étaient pas de nature à la rendre plus agréable.

Le 8 juin, le message BBC "Le roi Salomon a mis ses gros sabots", déclenche la première phase de l'action : la dislocation du trafic ferroviaire et le sabotage des télécommunications. Le groupe va s'en prendre à la seule ligne de chemin de fer Dinant-Virton qui traverse son quartier. La nuit du 10 au 11 juin, trois équipes de la sous-section 3 coupent à l'explosif, en cinq endroits, les quatre voies, interrompant ainsi la circulation pendant quelques jours. On projette ensuite de rendre la ligne inutilisable pendant une plus longue période en obstruant le tunnel de Martouzin. Il faut savoir que, peu après Beauraing, la ligne se fraie un chemin dans le "mur de l'Ardenne" au travers de ce long tunnel en forme de U et continue ensuite, à grimper la forte pente menant vers Vonêche . Le plan est, dès lors, le suivant : après le passage d'un train de marchandises montant vers l'Ardenne, une équipe est chargée de déboulonner et d'enlever les rails et de stopper éventuellement, à l'entrée du tunnel, tout autre train qui se présenterait, un autre groupe arrête le convoi sur la voie montant vers Vonêche et lance celui-ci en marche arrière vers le tunnel où il va s'écraser et former un solide bouchon. Un premier essai, effectué le 1 juillet par la sous-section 3, échouera partiellement suite au mauvais déboulonnage des rails dans le tunnel. Nouvelle tentative, cette fois couronnée de succès, le 20 juillet, par les sous-section 4 et 5, le tunnel restera obstrué pendant une semaine et le trafic rétabli sur une seule voie. La sous-section 4 réitérera pendant la nuit du 19 au 20 août; succès complet également, le trafic sera interrompu pendant dix jours.

Le groupe prend aussi part à l'exécution d'un plan coordonné par le secteur visant à interrompre les communications téléphoniques; les actions se passent pendant les nuits du 4 au 5 juillet, du 8 au 9 août et du 17 au 18 du même mois. Le groupe aura trois accrochages avec l'ennemi. Le premier se passe le 2 août vers 4 heures du matin en plein village de Rienne où un petit détachement de la sous-section 1 monté sur deux véhicules se heurte à une colonne allemande se dirigeant vers la France. Au cours du bref engagement huit Allemands furent tués; les Belges eurent à déplorer un mort et un blessé.

Un mois plus tard, c'est la tragédie de Graide. Le camp de la sous-section 2 du sous-lieutenant des Chasseurs ardennais Robert Hustin est installé depuis la mi-août sur le versant d'une colline du bois de la "Virée des Houlines" à l'ouet de la route Craide - Gembes. Le 1er septembre à l'aube, les sentinelles signalent la présence d'un fort contingent allemand aux alentours de la ferme de "l'Avrinchenet". Le lieutenant Hustin fait prendre les dispositions pour abandonner le camp en application des directives prescrivant d'éviter, jusqu'à nouvel ordre, tout accrochage avec l'ennemi, mais il devra bientôt se rendre à l'évidence. Les Allemands, bien renseignés, occupent toutes les issues. Un combat violent s'engage alors qui durera deux heures. Quinze maquisards seront tués, les pertes allemandes ne sont pas connues. Les assaillants emmènent deux prisonniers, Maurice Denoncin et Jules Gérard vers Bièvre où ils seront battus à mort. Ainsi, après ses deux frères Jean et Henri, Maurice Denoncin est le troisième fils de cette malheureuse famille à perdre la vie ce jour là. C'est la Einheit No 59473 Feld Kriegsmarine (Fusiliers marins), stationnant à Bièvre, qui, renforcée par une unité d'infanterie mène l'attaque contre le camp et est responsable du crime de guerre que constitue la mise à mort des 2 maquisards; en effet, la sous-section 2 satisfaisait, suivant la Convention de la Haye de 1907, aux conditions pour se voir reconnaître la qualité de combattants : faire partie d'une organisation structurée sous ses chefs responsables, être revêtu d'un uniforme, porter les armes ouvertement et respecter les lois et coutumes de la guerre. (Les maquisards du groupe avaient reçu les badges et brassards début août et ensuite les uniformes en toile de jute le 26). Notons, à la décharge des Allemands, que ce n'est que le 3 septembre, jour où Bruxelles fut libéré, que le gouvernement belge de Londres fit part du statut des troupes secrètes à la radio de Londres. Ajoutons que le message d'avertissement et le premier ordre d'action avaient été lancés dès les 1er et 8 juin. Sans commentaire.

Le 5 septembre veille de la libération, une forte patrouille allemande surprit un poste de sentinelle double de la Sous-section 7 chargée d'assurer la garde d'un accès à la plaine de refuge "Buffle" tua un des hommes et blessa le deuxième.

A partir de la mi-août, la compagnie SAS belge du capitaine Blondeel effectuera diverses opérations sur le territoire de la zone V; une d'entre elles nous intéresse en partie; il s'agit de la mission "Noah" dont la partie avancée, commandée par le lieutenant Renkin, fut parachutée le 16 août dans le camp français du commandant Paris de la Bollardière. Après avoir pris contact avec le lieutenant Daniel Ryelandt commandant du groupe D, le détachement Renkin rejoignit le 25, le groupe C du lieutenant Louis Barthélerny et s'installa à proximité du PC qui va devenir à ce stade, l'opération "Noah". Le 29 août, le capitaine Blondeel, alias "Blunt" avec six hommes et huit containers est parachuté sur la plaine "Grenadier" ; le 1er septembre, c'est au tour du lieutenant De Befve "Bef" d'être largué avec quinze hommes et dix-neuf containers sur "Buffle". Ici se place une anecdote qui mérite d'être racontée. Le groupe "Bef" passe sa première nuit en territoire belge au camp de la sous-station 4; il faut savoir qu'une des couvertures des SAS était de se faire passer pour des Canadiens français, d'où les pseudonymes cités plus haut; cette "couverture" fut sérieusement déchirée. Un jour, au petit matin, alors que SAS et maquisards faisaient leurs ablutions dans la Houille toute proche, Edouard Gilson de la sous-section 4 reconnu parmi les parachutistes son frère Jacques dont il n'avait plus de nouvelles depuis quatre ans. Quelle coïncidence !

Enfin le dernier parachutage aussi le plus spectaculaire fut exécuté sur "Buffle" la nuit du 5 au 6 septembre; le premier avion "droppa" quatre hommes dont le docteur Limbosch et le "padre" Jourdain, ainsi que 22 containers; deux heures plus tard, deux autres avions larguent quatre hommes, deux Jeeps blindées et douze containers. Incroyable aux yeux éberlués des maquisards; quinze minutes après l'atterrissage, les Jeeps sont équipées, armées, moteurs tournants ! Le 3 septembre la zone V donne l'ordre N° 13 prescrivant d'entamer les opérations de harcèlement sans plus attendre le message BBC qui devait déclencher cette deuxième phase de l'action. Ce sont des groupes mixtes pour la plupart SAS-maquisards qui vont opérer principalement sur les routes Beauraing- Bouillon et Gedinne Wellin causant de sérieux dommages aux éléments des colonnes ennemies en retraite. Londres n'aura pas l'occasion de donner l'ordre d'exécuter la troisième phase de la mission ; la lutte ouverte par unités constituées, puisque, le 6 au matin, les maquisards feront leur jonction près de Vencimont avec les premières unités américaines.

Telle est donc, brièvement résumée, l'histoire de ce groupe du secteur 5 de la zone V de l'Armée Secrète. Mobilisé dès le début juin, il a mené à bien les missions qui lui ont été confiées : sabotage, aide aux unités alliées et enfin, harcèlement. On peut lire dans le carnet de campagne du commandant de groupe, le bilan de ses activités :

pertes ennemies : en hommes : 142 tués, 32 blessés et 25 prisonniers (les pertes allemandes du combat de Graide ne sont pas incluses)

en matériel : 5 camions, 2 voitures, 1 camionnette, 1 car, 2 chars , 2 chenillettes

pertes amies

en hommes 19 tués, 5 blessés et 1 prisonnier

en matériel 1 camion et 1 camionnette

En guise de conclusion, citons un extrait du paragraphe 6 du rapport septembre de fin de mission du capitaine Blondeel intitulé : "les lacunes générales sur la résistance locale", car nous croyons qu'il est valable pour beaucoup d'autres maquis.

"Attitude entièrement coopérative; troupe disciplinée, animée du désir d'action, mais insuffisamment entraînée, armée et équipée. Beaucoup n'avaient pas fait de service militaire; les conditions de vie au maquis n'étaient pas favorables à un entraînement adéquat; manque d'instructeurs; même ceux qui avaient fait leur service militaire n'étaient pas familiarisés avec les nouveaux types d'armes.

On constate la situation paradoxale d'hommes engagés dans les types d'opérations les plus dangereuses et n'ayant même pas la possibilité de recevoir la formation de base des combattants. En ce qui concerne l'esprit, à l'exception de quelques uns qui avaient pris le maquis uniquement pour échapper aux Allemands, la majorité était animée par un idéal élevé et a combattu avec grande détermination et audace quand le moment fut venu". Cette opinion d'un orfèvre en la matière se passe de commentaire !

Colonel e.r. MARQUET