Radio Tamines

En mémoire de Pierre, professeur de religion à l'Athénée de Tamines, membre actif de ce réseau

La RÉSISTANCE VIA LES ONDES

En même temps que la libération, la Belgique retrouve aussi «sa» radio. Ce fut possible grâce à la mission Samoyède... et au sacrifice des résistants de la presse clandestine

Un jour de juillet 1943, sur les ondes moyennes 295 mètres dans la région de Namur, les auditeurs de la région de Namur peuvent entendre de manière aussi impromptue que surprenante l'«Ave Maria» de Gounod.

Les services d'écoute nazis ne réagissent pas. S’ils l’avaient fait, ils auraient découvert à travers cet essai d'antenne la mise en place d'un extraordinaire réseau radiophonique qui devait participer à sa manière à la libération.

Début septembre 44, en même temps que la progression alliée, les Belges redécouvrent la liberté des ondes même si pour d'évidentes raisons stratégiques et politiques, un contrôle très strict de l'information était toujours de rigueur...

ÉMETTEURS MOBILES NAZIS

Cette autre libération n'aurait pas été possible sans la mission Samoyède qui pendant de nombreux mois de l'occupation prépara, souvent au péril de la vie de ses membres, ce redémarrage de la Radio nationale. Son héritage est arrivé jusqu'à nous puisque la plupart des stations régionales de la RTBF et de la BRTN sont les rejetons des radios d'alors.

Ce ne fut pas une mince affaire car, en fait, il fallait tout reconstruire: contrairement à d'autres pays qui avaient connu l'occupation, le nôtre avait pratiqué la politique de la terre brûlée en matière radiophonique.

Ainsi, les émetteurs avaient été tantôt sabordés, tantôt démontés et mis en sécurité, loin des nazis. Ces derniers durent donc faire importer des émetteurs mobiles d’Allemagne.

C'est ainsi que Radio-Bruxelles, la radio de l'occupant fonctionnait, à partir d'un émetteur importé de Berlin. Et à l'instar de leurs collègues de la presse écrite qui avaient cassé leur plume, tous les journalistes de l'INR dignes de ce nom s'étaient imposé le silence et s'engagèrent dans la Résistance.

Ce fut d'ailleurs l'un d'entre eux, Paul M.G. Levy, qui fut à la base de «Samoyède» avec un homme venu du monde privé des ondes, le technicien François Landrain de Radio-Schaerbeek.

Les deux hommes avaient appris à se connaître à l'Hôtel des postes à Ostende, le 15 mai. La radio nationale s'était repliée sur le littoral après avoir déjà abandonné la place Flagey, jugée trop dangereuse (à tous points de vue) pour une villa de Boitsfort. Landrain qui avait démonté son émetteur avait proposé ses services et son matériel aux hommes de l'INR. Il avait dit à Paul Levy qu'il était prêt à l'aider si d'aventure il envisageait quelque chose pour rendre aux Belges leur liberté radiophonique...

L'INR et le NIR quittèrent bientôt aussi la côte belge pour Paris et pour Poitiers mais allaient finir par être réduites au silence à cause du climat anti-belge et anti-léopoldien qui régnait dans l'Hexagone.

Les journalistes décidèrent de rentrer en Belgique mais en prenant l'engagement de ne pas franchir «les portes de Flagey» tant que la démocratie ne serait pas de retour. Mais déjà germait l'idée de continuer la bataille des ondes depuis Londres...

Paul Levy qui voulait retrouver les siens allait être arrêté et emprisonné à Breendonk. Il en sortit miraculeusement, fin 41, parce que les Allemands pensaient avoir trouvé un merveilleux exemple de la désinformation de la Résistance.

La «Libre Belgique» clandestine puis la radio de Londres avaient annoncé que le grand reporter était mort sur foi du témoignage d'un libéré. L'information avait en fait été déformée dans sa transmission , pain bénit pour l'occupant qui en le libérant déclara que la Radio Londres mentait !

C'était compter sans l'intéressé qui, à peine libéré, mit tout en œuvre pour gagner Londres. Là-bas, il dut affronter moult réticences et résistances avant d'enfin recevoir l'accord des Belges mais aussi des Anglais pour préparer la libération des ondes tout en s'attachant aussi à déterminer les conditions de relance des autres moyens de communication comme la presse ou le cinéma.

La «mission Samoyède» pouvait commencer «sur le terrain». Tout était à faire: trouver les hommes et le matériel puis encore les lieux les plus propices à l'accueil des émetteurs.

Le premier à démêler cet écheveau fut Freddy Veldekens qui rappelé de Sumatra se mua en espion-parachutiste d'élite. Le nom de code Samoyède, c'est-à-dire une population mongole de l'Arctique sibérien, fut donné par les services secrets anglais parce que Veldekens avait les yeux légèrement bridés...

Frans Mertens lui succéda puis son frère Jacques Veldekens. En étroite coopération avec les résistants en Belgique, ils réussirent à installer huit «stations» après beaucoup de difficultés. La mission Samoyède paya un lourd tribut à cette liberté d'expression: cent trente de ses membres furent arrêtés et onze d'entre eux y laissèrent leur vie... Mais dès les premiers jours de septembre 1944, la liberté d'expression retrouva tous ses droits à la radio.

Le colonel C.D. Jackson, chef du Psychological Warfare Division, et de tous les services d'information du SHAEFF, déclara que dès le 3 septembre 44 la Belgique était le seul pays d'Europe où nous allons disposer d'un réseau d'émetteurs en ordre de marche.

Sources: La mission Samoyède, Les maquisards de la Radio nationale Belge 1940-1944, Didier Hatier; interviews «Jours de libération»-RTBF.

Des disques étaient parachutés

La mission Samoyède fut donc une réussite puisque dès le 4 ou le 5 septembre plusieurs émetteurs furent en parfait ordre de marche pour répercuter la bonne nouvelle de la libération. Outre Tamines, la radio nationale retrouva aussi sa ou plutôt ses voix, selon l'ordre de remise en ondes, à Ruiselede, Bruxelles, Houdeng-Aimeries, Liège, Courtrai et, enfin, Gand.

Mais pourquoi Tamines et pas (plus logiquement!) Namur?

A l'heure de concrétiser le projet d’émettre à partir de Namurl apparut clairement comme une mauvaise solution

C'était l'avis de François Landrain, le chef-techicien de l'opération mais aussi de Pierre Clerdent, qui allait devenir président national du Conseil de la résistance et qui appartenait alors à l'Armée de libération ainsi que du responsable namurois de cette même A.L., Edmond Gravier. Et voilà pourquoi Tamines entra dans l'histoire grande et petite de la radio en Belgique!

UNE POSITION DE CHOIX

Parmi les chevilles ouvrières du réseau namurois figurait un journaliste, Edgard Maréchal, qui avait travaillé avant la guerre à «La Cité nouvelle» et Georges Hubert qui «dans le civil» était chef de service de la Corporation nationale de l'agriculture et de l'alimentation pour les 26 communes du canton de Fosses. Un emploi stratégique, s'il en fut, pour dominer la situation de la région puisqu'elle lui permit de se trouver à n'importe quel moment n'importe où avec une carte de légitimation en poche!

UN ÉMETTEUR BIEN DISSIMULÉ

Le site de l'émetteur, par exemple! Gaston Bruyère (NDLR: un autre personnage-clé de Tamines) qui cachait l'émetteur chez lui avait imaginé de raccourcir une buanderie. Il avait construit un mur assez épais et pour accéder à l'intérieur de cette nouvelle «pièce», il fallait d'abord entrer dans la cave. Il y avait une petite armoire avec des pots de confitures et des petites bouteilles. Tout ça était enlevé et pour faire fonctionner l'émetteur, il fallait s'appuyer sur les marches de la cave avec ses deux mains en arrière et par la force des bras entrer à l'intérieur de la pièce. Georges Hubert devait accomplir sa tâche jusqu'au bout, c'est-à-dire même après le coup d'envoi officiel sur les ondes de la station taminoise, le 5 septembre sur le coup de 18 heures. Ce jour-là, Tamines fut libérée voire quasi libérée. On avait imaginé commencer les émissions à 13 heures mais l'humidité de notre cagibi-studio nous avait joué un tour imprévu!

Il y eut d'autres contretemps imprévus: des disques avaient bien été promis et même parachutés mais ils avaient tous été brisés par le choc de l'atterrissage alors qu'ils se trouvaient pourtant dans un conteneur. - Finalement, on a quand même eu 120 autres disques. C'était des disques de «la Voix de son maître», des succès anglais et américains...

Pas d'indicatif spécial en début et fin d'émission sinon «La Brabançonne»... mais il fallait encore résoudre la question de la récolte de l'information.

Là aussi, ce fut l'artisanat du moins au début: un dévoué écoutait attentivement les émissions de la BBC et traduisait les nouvelles alors que d'autres membres de l'équipe étaient «branchés» sur Paris, libéré, faut-il le rappeler, depuis la fin du mois d'août.

Après quelques jours, l’équipe recevait quotidiennement des plis de l'Agence Belga apportéet une estafette anglaise depuis Bruxelles. Parmi les informations du jour figuraient toujours nombre de mercuriales sur le prix du chou-fleur, du radis, etc, mais il ne faut pas oublier que le ravitaillement était essentiel. Il ne faudrait toutefois pas croire que Radio-Tamines se limitait à l'info «people»: comme les autres stations, elle allait également diffuser les déclarations gouvernementales et faire état des grandes préoccupations de l'heure.