Parachutages
Deux plaines de parachutage ont été acceptées par Londres.
Plaine « Grenadier » à 1200 mètres du clocher de Rienne.
Plaine de « Buffle » à 1300 mètres de Bourseigne-Neuve.
Au total, 8 parachutages permettront au maquis de recevoir du matériel radio, des émetteurs-récepteurs, des armes et munitions.
Le maquis de GEDINNE comprend 350 maquisards en 1944, sous les ordres du lieutenant de réserve Louis BARTHELEMY (ancien du 13e Régiment de Ligne). Ils forment le Groupe C du Secteur 5 de la Zone 5 de l'A.S. (Armée Secrète). Cet important groupe de résistants est réparti en plusieurs cantonnements en plein bois : E.M. - Liaison - Sabotage – Prévôté - la compagnie de GEDINNE sous les ordres de M. VINCENT - la compagnie de BEAURAING sous les ordres du lieutenant de réserve J. QUESTIAUX, également ancien du 13e Régiment de Ligne.
Le sous-lieutenant VERBOIS avait été chargé, sans se laisser distraire de cette mission, de la Section Matériel.
Sa mission : les parachutages (préparation - organisation - mise en place - réception), le camouflage des armes et explosifs, ultérieurement le décamouflage, le déprocessing, la distribution et l'initiation à l'utilisation. En effet, beaucoup de maquisards n'avaient jamais vu d'armes ou d'explosifs et la documentation jointe était le plus souvent rédigée en anglais.
Après une longue attente, pendant des mois et des mois, le premier parachutage sur la plaine "BUFFLE" nous procure entre autres, le 3 mars 1944, des postes récepteurs à piles sèches, qui nous permettent d'écouter aisément les messages de la BBC, et cela, en plein bois.
Le 11 avril 1944, lors d'un second parachutage, sur la plaine "GRENADIER" cette fois, nous avons une surprise agréable en découvrant dans les colis expédiés un "S"phone, nous permettant de communiquer avec l'opérateur d'un avion et, comble du raffinement, un vélo nous permettant de recharger éventuellement ses batteries, ainsi qu'une instruction nous décrivant la procédure d'utilisation.
Bien entendu, dans les jours suivants, on étude sérieusement cette procédure.
Chaque soir, à 19.15 h, nous attendons avec impatience que la BBC nous transmette un message commençant par la lettre "G". C'est ainsi que passa sur les ondes "Le Géranium est à la base de tous les parfums". C'était le soir du lundi 5 juin.
Tout 1e monde doit se tenir prêt à réceptionner pendant la nuit. Dans le plus grand secret, l'équipe réceptionnaire, aussitôt prévenue, à l'endroit indiqué. Un autre groupe surveille et défend les abords.
Trois jalonneurs, porteurs de lampes torches donnant une lumière rouge (plus tard, des phares d'auto reliés à une batterie) se placent à 100 mètres de distance sur un alignement parallèle à la direction du vent, tandis que je me place, en tant que chef de plaine, porteur d'une lampe à lumière blanche, en A, perpendiculairement à la ligne des jalonneurs, à environ 50 mètres.
Il est 23 h et j'ai le temps de relire ce qui devrait être la procédure normale:
- L'opérateur de l'avion appelle : "Hello TONY" (c'est le mot de passe convenu).
- Je fais allumer les feux de balisage et j'envoie la lettre "G" de reconnaissance (en morse), à l'aide du feu blanc et je donne la réponse convenue : "Hello JACK, TONY answering, can you hear me ?"
- Et, quand tout va bien : "Hello JACK, can you see my lights ?"
- ... et puis tout un tas de recommandations pour les "imprévus ...
Je jette un dernier coup d'œil au "S"phone. Cet appareil émetteur-récepteur comporte un casque muni d'écouteurs et d'un micro, une petite antenne et une série de petits accumulateurs qui se portent à la ceinture.
L'attente est longue ... Combien nous la vivons dans l'impatience ...
Et subitement, le 6 juin à 02.30 h, nous percevons le ronronnement d'un avion. Il tourne autour de notre plaine ... Il nous semble reconnaître un britannique ... Les lampes s'allument ... L'aviateur ne me répond pas ... mais quelques instants plus tard, l'avion suit l'alignement de nos lampes ...
Entre B et C, à une altitude de 300 mètres, il lâche sa cargaison, qui s'éparpille entre C et D. Les corolles peuvent alors s'ouvrir les unes après les autres dans le ciel encore obscur (les parachutages se font souvent pendant les nuits de pleine lune). Quel magnifique spectacle dans le ciel de cette vaillante Ardenne ... !
L'avion a ordre de quitter le terrain aussitôt l'opération terminée, car le risque de détection (par gonio) est grand pour l'avion en vol. Nous ne devons donc pas le pousser à parler trop longtemps, malgré le faible risque pour nous de repérage au sol. A-t-il lancé : "Opération completed" ? Nous n'en savons rien, car aussitôt le largage terminé, c'est la ruée de l'équipe pour récupérer les colis et les containers, détacher les parachutes, les rouler et les camoufler.
Quand le soleil se lèvera, tout sera remis en ordre ... Les villageois, parfois trop bavards, auront entendu un avion volant bas et se seront doutés qu'il se passait un petit évènement.
Les Allemands eux aussi ont eu vent de quelque chose et, le lendemain matin, enverront un avion de reconnaissance, mais ils ne découvriront pas notre repaire.
La nuit suivante, les parachutes sont acheminés jusqu'à l'église de Rienne où ils sont entreposés dans la partie inaccessible du canal à air chaud de la chaufferie. (Merci, Monsieur l'abbé ARNOULD).
Les containers sont enterrés dans une sapinière et, comme ce sera le cas pour les opérations suivantes, de jeunes arbustes reprendront goût à la vie sur la terre recouvrant les fûts. Le plus rapidement possible, armes, munitions, explosifs seront dénombrés et l'inventaire est transmis à Londres, par la voie hiérarchique.
Les fûts métalliques pèsent entre 150 et 175 Kg; ils ont un diamètre de 38 cm et une longueur de 1,40 m (voir photo). Ils sont munis de poignées pour faciliter le transport à l'endroit désigné. Ils sont d'une seule pièce (type C) ou composés de cinq éléments assemblés (L. 28 cm – type H).
Les armes seront décamouflées et dégraissées pour être remises aux maquisards des deux compagnies mobilisées les 11 et 13 juin. 350 hommes seront largement pourvus.
Les saboteurs utiliseront efficacement les explosifs. 300 kg d'explosifs et 19 Stens seront d'ailleurs livrées au Commandant de Secteur.
Le 7 septembre 1944, Brens, carabines américaines, Stens et des munitions seront livrés aux héroïques maquisards d'Anvers.
Le 2 août, j'attendrai un parachutage mais l'avion ne viendra pas.
D'autres parachutages suivront et notre plus beau souvenir sera, certes, celui du parachutage du capitaine BLUNT, l'actuel colonel BLONDEEL, et de 7 S.A.S. (Spécial Air Service), le 29 août à 02.25 h, et leur première nuit dans le petit village de Rienne. Le grand capitaine tombe vraiment à mes pieds, se débarrasse de son parachute et est prêt au combat. Je le rassure en lui disant qu'il est entouré de 350 maquisards. Et mes hommes le conduisent dans la hutte qu'ils m'ont fabriquée (cloisons en sapin et toit en carton bitumé). Après avoir dégusté une tasse de café bien chaud, le capitaine s'étend sur mon petit lit de fer, et je le retrouve, dormant du sommeil du juste, ses grandes jambes passant à travers les barreaux. Le matériel reçu avait été rangé entre-temps (3 containers pour les S.A.S. et cinq pour nous).
Il était frappé par l'efficacité déployée par l'organisation.
Le lendemain, nous le conduirons au P.C. du commandant BARTHELEMY.
J'apprendrai plus tard qu'il y fut accueilli ... au Bourgogne, avant de continuer à remplir sa mission de harcèlement.
Le 1er septembre, nous recevons le capitaine DEBEFVE et 15 S.A.S., ainsi que 19 containers et 3 paniers. Un homme, accroché dans un sapin, est blessé.
Mais, de cette date, nous gardons un souvenir amer, car, ce jour-là, la sous-section 2 commandée par le sous-lieutenant de réserve R. HUSTIN, des Chasseurs Ardennais, est encerclée dans les bois de Graide, et ... 17 jeunes gens y seront massacrés. – voir notre page sur Graive -
Notre plus beau spectacle eut lieu dans la nuit du 5 au 6 septembre 1944. Je ne me souviens plus du message : "Gordits est un laboureur qui devient roi", ou bien "Le grenadier est un soldat, il recevra 2 x 12 fusils". Toujours est-il que nos 350 hommes gardent la plaine de Bourseigne-Neuve. A minuit, un premier avion "Stirling" nous largue 4 hommes, dont 1 Lt-médecin LIMBOSCH et 1er "padre" JOURDAIN, ainsi que 22 containers et 3 paniers, dont malheureusement quelques-uns s'écraseront au sol.
Mais notre ébahissement n'est pas terminé : à 02.30 h, deux avions tournoient et on ne sait plus où récolter ... 2 jeeps, 12 containers, 4 paniers et 4 hommes dont deux chauffeurs. Incroyable ... ! A nos yeux éberlués, les dispositifs amortisseurs des jeeps, pesant 300 kg environ, sont démontés, les mitrailleuses parachutées par containers sont récupérées et montées sur jeeps et les moteurs tournent ... Cela a duré 15 minutes ... et les S.A.S. voguent vers de nouvelles reconnaissances.
Quelle apothéose ...! Quel boulot ...! Mais quel immense plaisir et quel merveilleux souvenir ...!
Léon VERBOIS