Martial - mémoires

Témoignage exceptionnel d'un homme exceptionnel

Le Dr Marcel Franckson est une des figures les plus emblématiques des nombreux médecins belges actifs dans la Résistance pendant la Deuxième Guerre mondiale. Fils de résistant, il est, dès 1938, dégoûté par la politique nazie en Allemagne, notamment le concept de la race des seigneurs et la politique anti-juive. C’est pourquoi, dès 1940, il fonde avec son père et quelques étudiants le comité de surveillance de l’ULB. Traqué par la Gestapo, il ne sera jamais appréhendé.

Le Dr Marcel Franckson est l’un des plus célèbres de ces médecins résistants. Alors âgé de 19 ans, il est en deuxième candidature en médecine lorsqu’il fonde, à la fin de 1940, avec un groupe d’étudiants, le comité de surveillance de l’ULB. L’objectif de ce comité est, à coups de tracts, de réveiller le moral des Belges occupés. Son père, déjà résistant lors de la Première guerre mondiale, dirige ce groupe. Ils publient un journal clandestin « Ça ira! »

Après la guerre, le Dr Franckson poursuivra ses études de médecine et officiera comme biologiste clinicien à l’hôpital Brugmann de Bruxelles. Il raconte ses hauts faits d’armes comme si c’était hier. «Déjà en 1939, au sortir de l’athénée, je faisais partie du Cercle des étudiants wallons», explique-t-il. « Ils étaient tout contents d’enrôler des étudiants de 5ème et 6ème humanités. Mon frère en était le trésorier. Je suis rapidement devenu le représentant du Cercle pour l’athénée de Bruxelles. Il faut savoir qu’à partir du moment où le nazisme est devenu quelque chose de dangereux, nous étions déjà largement antinazis. En réalité, on s’affirme antinazis à partir de 1938, donc avant l’invasion.»

Combat pour la liberté

A l’époque, c’est surtout la défense de la liberté qui anime ces jeunes gens. Ils savent que le régime hitlérien a supprimé toutes les libertés collectives et individuelles, qu’ils estiment à la base de la démocratie. « Hitler avait liquidé tous les partis politiques. Son régime poursuivait les anciens membres des partis socialiste, social-démocrate, communiste même lorsqu’ils avaient renoncé à toute activité politique. Ces personnes étaient emprisonnées dans des camps de concentration. Notons que les camps de concentration furent créé pour les Allemands.

Le caractère racial et raciste nous frappait aussi : le concept de la race supérieure autorisée à mettre en esclavage les ‘races inférieures’ et ce, au nom de l’Histoire, nous heurtait. » Le Dr Franckson est d’autant plus au courant qu’en 1936, il effectue avec quelques copains, un long voyage à vélo en Allemagne, de Bruxelles au Lac de Constance. Le petit groupe remonte la vallée du Rhin, traverse toute la forêt Noire.

«Nous allions dans des auberges de jeunesse. On y ressentait très fort le nationalisme exacerbé et un profond sentiment anti-juif. Un de mes coreligionnaires, de mère allemande, nous a servi d’interprète. Un jour, dans un café, il a engueulé un chef des Hitlerjugend (Jeunesses hitlériennes). Ce type a fini par s’excuser... Il avait en réalité dit à notre arrivée : « Ce n’est plus une auberge de jeunesse, c’est une auberge de Juifs (NDLR: en jouant sur les mots Jugendherbergen et Jüdenherbergen). On a donc bien compris que les Juifs n’étaient pas en odeur de sainteté. Ensuite, il semble nous avoir pris pour des nazillons car il nous a demandé quels étaient nos chants préférés (en l’occurrence, les nôtres étaient totalement pacifiques, ce qui semble l’avoir déçu !). L’emprise sur une jeunesse militarisée nous apparaissait comme dangereuse. Dès sept ans, les petits Allemands étaient enrôlés dans les Jeunesses hitlériennes avec des uniformes militaires, des poignards. Sur la lame était indiqué ‘Blut und Ehre’ (sang et honneur). Ils en étaient très fiers. » Le terrain est donc favorable à l’esprit de résistance chez le jeune homme. « Dans notre esprit, il s’agissait d’emblée d’une guerre philosophique, de civilisation contre le nazisme. » En mai 1940, Marcel Franckson et sa famille fuient vers la France, effondrés par la déroute de l’armée française, considérée comme la meilleure du monde à l’époque. Ils vont jusque dans les Landes où ils sont rattrapés par les Allemands. Retour en Belgique, vers la mi août 1940. Marcel a alors 18 ans.

En découdre avec les Boches

Il entre en résistance d’une façon toute simple, comme il dit. «Quand, en septembre 1940, on se retrouve à l’université, on en parle entre étudiants et tout ce qu’on demande, c’est d’en découdre avec les Boches! Donc, je me retrouve au milieu d’une dizaine d’étudiants, les uns du Cercle des étudiants wallons, les autres venant de l’athénée de Bruxelles. Nous nous connaissions... »

Toutefois, l’esprit de résistance, à savoir le besoin de faire ‘quelque chose’ contre les Allemands, cela n’existe pas avant septembre 1940. Le moral est au plus bas. Il faut attendre le moment où l’Allemagne perd la bataille d’Angleterre au-dessus de la Manche et ne parvient pas à s’assurer la maîtrise du ciel, pour qu’on se dise: ‘Tout n’est peut-être pas perdu. Les Anglais ne sont pas décidés à céder. C’est ça qui a véritablement déclenché la résistance. C’est ainsi qu’on a lancé un journal clandestin et diffusé des tracts anti allemands. D’abord dans le milieu universitaire, puis on s’est répandu dans toute l’agglomération bruxelloise. Les dix types de départ sont devenus cent, etc.

La figure tutélaire de son père, qui a travaillé en 14-18 pour le gouvernement belge en exil dit «du Havre», joue également. «On a demandé à mon père de nous aider à nous organiser car il avait une solide formation logistique. Mon père a accepté à condition que, je cite, ‘ce ne soit pas des enfantillages mais du sérieux’.» Le frère de Franckson, Renaud, est aussi de la partie. En 1ère licence en chimie, il assurera plus tard la fonction d’intendant du groupe Hotton.

Invasion de la Russie en 1941

« Je m’occupe de propagande jusqu’en 41. Cette année-là, il y a un événement majeur, c’est l’invasion de la Russie par l’Allemagne. Dans les milieux antiallemands, c’est le soulagement. On se dit : ‘Enfin, cet imbécile d’Hitler fait la même erreur que Napoléon. Il va se faire engloutir progressivement par l’immensité russe.’ Ce qui psychologiquement renforce aussi la résistance, c’est l’entrée en guerre des communistes. Or ces personnes ont une expérience de la guérilla acquise essentiellement dans le maquis espagnol face aux Franquistes. Ils créent l’Armée belge des partisans. » Les études de médecine, bien qu’en jury d’État, agissent comme couverture idéale pour les activités du jeune homme. Et lui évitent l’enrôlement dans le STO (Service du travail obligatoire). Cependant, un jour de 1942, la Gestapo fait une descente dans un auditoire de l’U.C.L (NDLR: le Dr Franckson est entre-temps passé de l’U.L.B à l’U.C.L), à la recherche de Franckson : « C’est la première fois qu’une porte s’ouvre et que des militaires, mitraillettes en sautoir et des civils, avec la traditionnelle gabardine en cuir noir, font irruption dans un auditoire universitaire en exigeant un nom... Non seulement, ils ne m’ont pas trouvé mais encore, nous avions fait disparaître toutes nos photos du domicile familial, si ce n’est deux photos de mon frère et moi à l’âge de six mois, tout nus sur une couverture! Et on s’en va chez des amis, où nous nous cachons. Deux ou trois jours plus tard, un des membres d’une des sections dont je m’occupais est arrêté. Questionné violemment, il lâche le morceau : ‘Mon chef est un étudiant en médecine à l’Université de Louvain’. » Finie la couverture. Mais le jeune homme continue ses opérations de sabotage avec sa section, baptisée par la Gestapo «Bande Franckson des Rosaies», rebaptisée à la fin 43 « groupe de sabotage et de résistance Franckson ». « Entre nous, on s’appelait le TUBE, pour ‘Terroristes Unifiés de Bruxelles et Extension’. Nous sommes en mars 42. C’est à cette date qu’on réalise les premiers sabotages et attentats à l’explosif. Nous avions dans notre groupe des militaires qui avaient eu une formation dans le maniement des armes, des grenades et autres, et des explosifs bien sûr. On avait suivi aussi des cours sur l’utilisation des explosifs à l’École militaire. Il n’y avait pas internet à l’époque !»

L’élimination physique de ses ennemis.

Ce qui ne coule évidemment pas de source pour un futur médecin. Il évoque en premier lieu la mansuétude des autorités, à la Libération, vis-à-vis des rexistes.

Marcel Franckson n’éprouve plus de haine ou de sentiment de vengeance envers les rexistes dès lors qu’aucun ou presque n’est plus en vie aujourd’hui. Toutefois, dit-il, « après la guerre, nous trouvions qu’on était bien trop bons avec les collaborateurs. Environ 70.000 personnes ont été poursuivies par l’Auditorat militaire pour port d’arme et collaboration avec l’occupant. Un bon tiers d’entre elles ont été condamnées à mort. On en a exécuté seulement 700. Cela fait réfléchir... »

Marcel pense bien sûr à son père et son frère Renaud, tous deux arrêtés à cause de collaborateurs, et au triste sort que connut le premier, à Buchenwald. Quant à lui, il signale en souriant que le major Holtz, chef du SicherheitsDienst - Service de Sécurité tristement célèbre - de Bruxelles, cherchera toute la guerre à en faire « de la chair à saucisse ». Et l’on sait que sans la collaboration, les nazis auraient été moins efficaces. La délation fut une véritable plaie pour la Résistance.

Strangulation

Mais Marcel Franckson évoque aussi - sans grand pathos, il faut le reconnaître -, la manière dont ils devaient, ses collaborateurs et lui, poursuivre leurs ennemis, parfois de l’intérieur.

« Nous avons eu le cas d’un homme qui s’était introduit dans un maquis de Chimay-Couvin. C’était un ancien résistant, arrêté, et qui avait été retourné par les Allemands et envoyé dans une école de contre-espionnage à Metz. Il se faisait passer pour un résistant cherchant à rejoindre une unité. Il se conduisait d’une façon presque normale mais le chef de groupe considérait qu’il posait trop de questions. Il a été démasqué et éliminé. » Dans ces cas-là, pas besoin de gaspiller une balle : la strangulation est aussi efficace et offre un meilleur rapport coût-efficacité. « Vous prenez une solide corde à linge », explique le vieil homme sans trembler. « Vous l’attachez aux deux bouts d’un bâton. Et vous torsadez autour du cou jusqu’à l’asphyxie. C’est facile. »

Mort atroce ?

« Non. Le garrot qu’on serre autour du cou, c’est la mort officielle en Espagne. Vous pensez bien qu’on n’allait pas construire un gibet et le pendre ! On avait autre chose à faire ! Même si la pendaison a un gros avantage : c’est le sentiment de contentement des gens qui voient qu’on pend le traître. Ça les défoule ! Il faut comprendre la haine des gens de la résistance envers leurs compatriotes qui essayaient de les infiltrer pour le compte des Allemands !» Lorsqu’il ordonnait l’exécution, Marcel se défilait pas : il assistait à l’exécution. Pourquoi ne pas le faire prisonnier ? « Que voulez-vous, vous ne pouvez pas garder un type en vie dans un maquis, le nourrir, risquer qu’il vous trahisse à tout moment ! Imaginez qu’il se sauve et raconte tout ce qu’il a vu !» Il y a en réalité trois façons de gérer les agents ennemis, explique en substance le résistant :

« Premièrement, il s’agit de personnes envoyées pour enquêter sur votre maquis et qui interrogent l’entourage. Ceux-là, ils viennent eux-mêmes se mettre dans le piège. Un de nos hommes est interrogé. Il explique que l’agent ennemi veut en savoir plus à tel endroit à telle date. Il accepte le rendez-vous. Et le type est capturé et éliminé.

Deuxièmement : des agents qui tournent autour de notre camp. Les sentinelles leur demandent : ‘Que faites-vous ici ?’ L’agent ennemi répond (exemple authentique) : ‘On m’a dit que vous vendiez du beurre’. ‘Vous avez de l’argent pour le payer ?’ ‘Non, pas sur moi.’ ‘Montrez un peu votre sacoche ! Tiens... Vous avez une carte de la région à 1/50.000e ? Une paire de jumelles ? Pour acheter du beurre ? Suivez-moi, on va vous parler plus longuement.’ Et on les emmène au camp. Trois : ceux que vous allez tuer chez eux ou dans des endroits extérieurs. Ainsi du bourgmestre de Chimay. On ne l’a pas exécuté. Mais il était dans un tel état après que nous nous en soyons occupés, qu’il a été transfusé et emmené en France dans sa famille. Il est ensuite passé en Espagne. Et il est mort... en Argentine. Ou alors, parfois, on arrivait au domicile de collaborateurs et on les abattait à coups de pistolet.’

«Pas de médecins rexistes»

En revanche, le Dr Franckson n’a quasiment pas croisé de médecins qui collaboraient avec l’occupant. Contrairement aux traîtres de petit calibre, surtout intéressés par l’argent (dénoncer un réfractaire au travail rapportait 500 francs, soit un peu plus qu’un kilo de beurre, et dénoncer un résistant rapportait 1.000 francs), ces médecins embrassaient plutôt l’utopie d’un Ordre nouveau.

A Bruxelles, une résistance s’organise autour de l’hôpital Brugmann qui ferme rapidement ses portes. Plusieurs équipes médicales se retrouvent alors dans la résistance. Mais contrairement à la résistance française relativement bien organisée et hiérarchisée, les résistants belges sont éparpillés. Il s’agit avant tout de gens de gauche, libertaires, déçus par la monarchie. La Belgique offre donc une situation clairsemée, sans contact entre les Flamands et les Wallons : « Le Belge a une espèce d’esprit de clocher !», analyse avec humour Marcel Franckson. .

« En Belgique, vous aviez 42 réseaux de résistance et 13 mouvements armés!».

Extraits de l'interview publiée dans "Le JOURNAL DU MÉDECIN" 2014.

Les principaux agents de la section de combat :

    • Sylvain Anglicus alias Sylvain.

    • Joseph Druez alias Tarras (1923 - Fusillé à Flawinne le 8 juin 1944).

    • Célestin Evrard alias Strangler (1923-2012) - Chef de la section Chimay/Mariembourg - Arrêté le 10 mai 1944 et déporté.

  • Marcel Franckson Jr alias Martial - Chef du Groupe.

    • Anatole Kouchnirenko alias Andreï (Officier de la marine soviétique), ami de Henri Jacquet.

    • Jean Lejour alias Mickey.

    • Jacques Loriaux alias André - Mortellement blessé en mission à Chimay le 18 février 1944.

    • Robert Majois alias Bébert - Grièvement blessé en mission à Chimay le 22 avril 1944.

    • Christian Mannie alias Kid.

    • Louis Salmon alias Louis (1919 - Fusillé à Flawinne le 8 juin 1944).

    • André Van Glabeke

    • alias Stan.- http://www.rtl.be/info/video/394503.aspx - son témoignage en vidéo

    • Robert Van Gremberghe alias Spada (1921 - Fusillé à Flawinne le 1 juillet 1944) - Sous-chef du Groupe.