Mon invention des sauces confortables

Un grand confort



Ce mois-ci, c’est une merveilleuse histoire que je vous propose. Et, puisque c’est une histoire vraie, je vous propose de vous la raconter telle qu’elle s’est passée, sans modification.

Tout a commencé au restaurant de Pierre Gagnaire, il y a plusieurs mois, quand j’ai entendu un chroniqueur gastronomique dire que la cuisine de Pierre était devenue plus « lisible », plus confortable. Des mots ? Pas seulement. Lisible signifie que l’on y trouve du familier, que les plats ne sont pas des objets extraterrestres, où nous sommes au bord de nos références culturelles. Confortable ? Certains plats ne sont pas un choc de goût nouveaux, mais, là encore, des valeurs d’enfance, peut-être…

D’où la question : comment, à volonté, faire des plats confortables ? Question difficile, car il n’est pas question de retomber dans la béarnaise, la béchamel et toutes ces sauces si classiques qu’elles ne peuvent tenir qu’une partie mesurée dans une cuisine vraiment moderne.



Le déclic est venu de la cuisine de Pierre, mais quelques mois plus tard. Plus exactement, un groupe de plat nommé « le cochon », au milieu de son histoire à la carte (j’explique : presque chaque semaine, des modifications sont faites, parce que, apparemment, Pierre Gagnaire cherche à s’approcher de l’idée quasi platonicienne qu’il a de ses créations), comportant une raviole au centre de laquelle figurait une tranche de sabodet, dans une sauce… extrèmement confortable ! Pourquoi l’était-elle ?



A l’analyse, cette sauce contenait du beurre, un jus de viande, aussi. Pour la physico-chimie, le jus de viande et la sauce évoquent aussitôt l’opération d’émulsification, les gouttelettes de matière grasse fondue venant se disperser dans l’eau de la sauce, grâce à des molécules dites « tensioactives ». Par exemple, ce sont les protéines du jaune d’œuf qui permettent de confectionner les émulsions froides que sont les sauces mayonnaises, et ce sont les lécithines du chocolat qui permettent de mêler le chocolat fondu à de l’eau, pour faire une sauce au chocolat chaude qui est une émulsion.

Dans la sauce de la raviole ? Le fond utilisé s’approchait de la demi glace. Or cette dernière est une sauce obtenue par cuisson longue dans l’eau, la viande libérant de la gélatine, qui se dissout progressivement. Oui, de la gélatine : c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les bouillons où cuisent les viande gélifient quand ils refroidissent.

Cette analyse m’a alors remémoré des expériences anciennes, où j’avais testé l’ajout de gélatine dans les sauces, quand je croyais que ce composé était responsable de la viscosité des sauces, avant de découvrir que c’était en fait le beurre émulsionné grâce à la gélatine qui venait de donner de la consistance.



Ah ! mais alors, pour faire une sauce émulsionnée, il fallait de l’eau, de la gélatine, et de la matière grasse. Le voilà, le dénominateur commun ! De surcroît, il semblait conduire à des sauces confortables, le beurre émulsionné donnant ce sentiment d’enrobage prolongé de la bouche, la gélatine venant asseoir la durée. Hypothèse : pour faire une sauce confortable, il faut de l’eau, de la gélatine et du beurre.



L’hypothèse fut transmise à Pierre… qui vérifia qu’elle était exacte. Chacun peut facilement faire le test, même avec de l’eau pure. Du coup, l’hypothèse testée permet de créer de nouvelles sauces confortables… peu classiques, car si l’eau des sauces classiques est celle du jus de viande, pourquoi ne pas la changer pour un bouillon de légume, de fruits, que sais-je ?



Pierre, à toi !