Questions sur la science

Comment fait-on de la recherche scientifique  ?

Les sciences de la nature ont pour objectif de chercher les mécanismes des phénomènes.

Ces sciences ont une méthode qui consiste en :

1. observer un phénomène

2. le quantifier

3. réunir les données en lois synthétiques

4. chercher des mécanismes compatibles avec ces lois

5. chercher une conséquence testable de la théorie formée des mécanismes obtenus par induction

6. tester expérimentalement cette conséquence

Et répéter  le tout, en améliorant de plus en plus la précision de la description.

 Votre travail est-il sujet à la concurrence ?

La question est minée, parce que je sais qu'il y a une partie de l'humanité qui a peur (notamment de la concurrence), et l'autre pas. Je ne fais pas partie de la partie qui a peur, et, en conséquence, je vois la bouteille plus qu'à moitié pleine. J'ai des questions scientifiques par milliers, alors pourquoi craindrais-je que quelqu'un, dans le monde, en étudie une, ou deux, ou même dix ? Le pire (si l'on peut dire), c'est que plus je considère les phénomènes qui sont dans mon périmètre, plus je vois de questions. Pensez que la modélisation de la dynamique de l'eau, la simple eau liquide, par la chimie quantique, donne à ce jour de TRES mauvais résultats ! On peine à calculer les mouvements de quelques centaines de molécules par la mécanique classique, et les résultats sont encore pire quand on utilise l'équation de Schrödinger !

Pour en venir à la gastronomie moléculaire spécifiquement, il y a plusieurs types de recherches : de la très simple, et de la très compliquée. La très simple, c'est celle que nous faisons lors des séminaires de gastronomie moléculaire, où nous testons des "précisions culinaires". J'ai environ 25 000 précisions culinaires qui attendent d'être testées : je ne crains donc pas la concurrence, mais j'appelle de mes voeux la constitution d'une communauté active, qui m'aidera à tester toutes ces précisions !

A l'autre extrémité du spectre de la recherche scientifique, il y a le très fondamental, qui impose de calculer avec l'aisance d'un rossignol qui chante. Là, c'est très peu encombré. Bref, si je m'intéresse aux phénomènes pour lesquels la recherche impose (1) une bonne connaissance du monde moléculaire (2) une bonnne connaissance de la physique (3) une maîtrise du calcul, alors je sais que (hélas) mon terrain de jeu sera bien peu encombré ! Le général de Gaulle disait : "Je me place du point de vue le plus élevé, parce que c'est celui où l'on voit le mieux, et où il y a le moins de monde".

Mais je me reprends, la réponse est mauvaise : je me moque de la concurrence, parce que, en réalité, elle n'existe pas. C'est une option philosophique, tout comme la réponse à la vieille question "Quel bruit fait un arbre qui tombe dans un forêt où personne n'est là pour l'entendre ?". Pour moi, la réponse est : l'arbre ne fait pas de bruit !

Qui évalue la qualité de votre travail ?

Contrairement à ce que pense le public, trop souvent, et contrairement à ce qu'a dit très injustement un précédent président de la république, les chercheurs sont très rigoureusement évalué.

Personnellement, mon activité est évaluée... d'abord par moi-même : chaque soir, dans notre groupe de gastronomie moléculaire, chacun envoie un email à tous, afin de dire ce qu'il  ou elle a fait du point de vue de l'administration, de la communication, du travail ; ce qui a coincé (les "symptômes", ce qu'il ou elle a appris, ce qu'il ou elle a appris à faire. Tout cela dans un tableau du type suivant :

Chaque soir ! Et il s'agit d'être honnête... parce que c'est pour nous-mêmes que nous faisons cet email que nous partageons avec nos amis.

Puis, chaque semaine, chacun d'entre nous envoie un email de synthèse à son "patron".

Chaque trimestre, quand je pars en mission à l'étranger pour une série de conférences (jamais de "vacances", depuis... je ne sais même plus quand, et je déteste cela, parce que l'étymologie est la même que "vide" : je ne veux pas me vider la tête, mais me la remplir!!!!!!), je fais le point du trimestre.

Puis, chaque été, je fais le bilan, et je réoriente l'activité.

Cela étant, chaque jour, je me demande si la recherche que nous faisons est légitime, bien menée... Cela fait l'objet de billets de blogs, conformément à l'intitulé "Mer isch was mer mocht", phrase alsacienne qui signifie "nous sommes ce que nous faisons".

En plus, toutes les actions importantes que je fais sont signalées à mes "bonnes fées", à savoir le président de l'INRA, le directeur d'AgroParisTech, le directeur scientifique de l'INRA, le directeur du département AgroParisTech dont je dépend, le directeur de mon UFR et le directeur de mon UMR, plus des amis qui ont des positions administratives importantes. Par exemple, si je suis invité par Google à être jury de leur concours scientifique annuel international, j'en fais état ; si l'ambassadeur de France dans un pays étranger m'invite à y faire une série de conférences, je le signale... Et ainsi de suite.

Ce n'est pas tout : la loi impose des évaluations très  strictes des chercheurs individuels, des laboratoires, des institutions de recherche. Il y a cela très régulièrement : annuellement pour les chercheurs, moins souvent pour les laboratoires (par ce que l'on nomme l'AERES, par exemple).

Bref il y a beaucoup (trop ?) d'évaluations.

Et, insistons, il ne s'agit pas de sanctions, mais de chances à saisir pour se demander si ce que l'on fait est bien fait. La quantité, c'est bien (je fais 105 heures par semaine, 52 semaines par an), mais la qualité est la chose importante.

Et je répète que, pour un scientifique, ce qui compte, c'est de faire des découvertes !

Qui vous indique le travail que vous devez effectuer ?

Là, je suis politiquement incorrect, mais si l'on demande aux scientifiques de faire des découvertes, alors personne ne leur dit quel doit être leur travail. D'ailleurs, je tiens à votre disposition une discussion de la "stratégie scientifique" : comment faire des découvertes importantes ? Si quelqu'un me le dit, je le fais aussitôt... mais, hélas, personne ne me donne la recette, et j'ai fini par trouver moi-même une méthode que j'ai partagée en conférence : il s'agit de considérer tout fait expérimental particulier comme une "projection" de cas généraux que nous devons inventer.

OK, c'est trop succinct, mais il faudrait des pages et des pages pour expliquer, et je l'ai déjà fait ailleurs.

Bref, personne ne peut me dire, ni ne me dit, hélas, le travail que je dois effectuer.

Quels sont les bénéfices d'enseigner et d'être au contact d'élèves à Agroparistech ?

Votre travail a-t-il une influence sur votre vie personnelle ?