Gastronomie moléculaire

1. Peut-on considéré la gastronomie moléculaire comme une révolution scientifique, médicale et alimentaire ? 

On verra plus loin que nos amis confondent gastronomie moléculaire et cuisine moléculaire, science de la nature et technique+art (culinaire.

Il faut donc commencer par leur expliquer la gastronomie moléculaire, c'est une discipline scientifique (comme la physique, la chimie, la biologie, l'astronomie...), qui, tout particulièrement, cherche les mécanismes des phénomènes qui surviennent en cuisine.

Par exemple, quand un cuisinier fait de la cuisine, et qu'il fait par exemple griller une viande, la viande brunit : c'est un phénomène.

La question de savoir pourquoi la viande brunit n'est pas de la cuisine, mais si l'on s'interroge scientifiquement sur cette question, on fait de la science (de la nature; rien à voir avec les sciences de l'humain et de la société).

 J'insiste un peu : s'interroger scientifiquement, c'est mettre en oeuvre la méthode des sciences de la nature.

Finalement, il y a la question de "révolution", mot souvent galvaudé. Que signifie-t-il ? Je montre pédagogiquement l'exemple en allant chercher son sens sur le TLFi, le seul dictionnaire qui vaille  :

http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?12;s=3944010540;r=1;nat=;sol=1;

Je trouve :

# Mouvement en courbe fermée autour d'un axe ou d'un point, réel ou fictif, dont le point de retour coïncide avec le point de départ : cela n'est pas le cas.

#  Trajectoire effectuée par un satellite artificiel : ce n'est pas le cas non plus.

# Retour périodique; durée déterminée par un cycle : ça ne va pas.

# État, forme de ce qui est enroulé sur soi-même : non plus.

# Changement brusque et profond : ah, oui, l'introduction de cette discipline scientifique a été un changement brusque et profond, en 1988.

Quelle est l'influence qu'a eue la gastronomie moléculaire sur la nouvelle cuisine et la gastronomie en général?

La gastronomie moléculaire a engendré la cuisine moléculaire. L’influence ? Il suffit de lire les journaux et de voir les classements de chefs. Le plus important, c’est que les nouveaux matériels, ingrédients, méthodes, soient maintenant utilisés couramment.

A noter que la cuisine moléculaire a sans doute tué la nouvelle cuisine. Ou, disons, s’est ajoutée à elle.

Quel regard portez-vous sur cette science qu’est la gastronomie moléculaire, après 20 ans de recherche ?

D’abord, cela ne fait pas 20 ans que je fais ces études, mais environ 30, puisque j’ai commencé le 23 mars 1980. Ensuite, je vois que la gastronomie moléculaire se développe dans le monde entier, pas assez vite à mon goût, mais c’est un fait qu’il y a maintenant des groupes de recherches, des étudiants en science, des séminaires, des projets universitaires, des chaires…

En réalité, je cherche peu à mesurer le chemin parcouru, parce que cela risque d’être désespérant, et je me contente de chaque pas que je fais. D’autre part, je suis désolé d’être un peu « autiste » : je me contente de faire des choses qui m’ « amusent » (utilement !), le mieux que je peux.

 Loin de mettre en doute les connaissances et les compétences de ce valeureux chercheur de l’INRA, Monsieur Hervé This, suite aux deux dernières visites sur Nantes pour expliquer « La Cuisine Moléculaire », nouvelle philosophie culinaire qui va  bien au delà de la nouvelle cuisine des années 50 présentée par deux grands chroniqueurs gastronomiques Messieurs Gault et Millaut.

En réalité je ne suis pas devenu venu à Nantes pour présenter la cuisine moléculaire, mais plutôt pour présenter la gastronomie moléculaire. Plus précisément, la conférence à Nantes avait été organisée par l’ENITIAA, école d'ingénieurs. Les ingénieurs doivent apprendre les résultats des sciences, en vue de les appliquer, et de perfectionner les techniques. La gastronomie moléculaire, science qui se préoccupe des transformations culinaires, a évidemment sa place dans une telle école.

Remercions Monsieur This qui a eu pour mérite absolu de faire comprendre à tous les cuisiniers la succession de phénomènes qui s’opère lors de la transformation en cuisson des aliments que nous consommons chaque jour.

Où je pense qu’il y a dérive, c’est dans cette nouvelle conception d’envisager la cuisine sous son aspect vraiment scientifique.

Je ne pense pas qu'il y ait dérive à analyser scientifiquement les phénomènes qui se produisent lors des opérations culinaires. La science explore les phénomènes, c'est son objet. De même, la science explore tous les phénomènes du monde, le bleu du ciel, le vert des plantes, la surrection des montagnes... Pourquoi y aurait-il dérive ? Pourquoi la cuisine, ou plutôt si, les phénomènes qui surviennent lors des opérations culinaires, devraient-ils échapper à l'analyse scientifique ?

Plusieurs questions me viennent à l’esprit sur cette dérive, si dérive il y a ?

La première, pleine de bon sens « à quoi cela va servir d’utiliser ces concepts nouveaux » ? (Utilisation de l’azote, burettes et matériel de labo, etc.)

Attention à la différence entre concepts et matériels. Ce qui est listé entre parenthèses, ce sont des matériels. Pourquoi les utiliser ? Parce qu'ils rendent service. Tout comme les couteaux, casserole, four... Pourquoi la crue de la cuisine se priverait-elle de matériel de son époque ? N'oublions pas, en lisant les livres de cuisine anciens, la guerre qui cirage quand le gaz s'introduisit en cuisine. Le combat était perdu : le gaz rendait service. Aujourd'hui, ne perdons pas de temps dans des combats perdus. En revanche, apprenons à utiliser les meilleures des outils modernes pour ceux qui le donnent de mieux, essayons de capter le bon, qui de rejeter le mauvais.

La deuxième, qui dans le monde difficile que nous traversons est capable en terme de moyens de mettre en pratique toutes ces nouvelles techniques ?

Qui peut utiliser ces nouvelles techniques ? Les enfants. Ici les enfants peuvent le faire je crois qu'il ne faut pas faire injure aux cuisiniers : ils peuvent également le faire. Au Futuroscope, de petites boîtes sont vendues : elles contiennent alginates, seringues, tubes en plastique, sel de calcium... Elles sont vendues à des enfants, pour que ceux-ci apprennent à faire des perles à coeur liquide, tel les est les oeufs de saumon et où le liquide intérieur serait du jus d'orange, du sirop... Pourquoi les cuisiniers se priverait-il des mêmes objets ? Oui l'azote liquide présente des dangers, mais un couteau aussi ! Si l'on enseigne l'usage du couteau, pour quelles raisons enseignerait-on pas l'usage de l'azote liquide ? Le siphon  ? il évite de battre les blancs en neige, il évite de fouetter la crème, il évite... Pourquoi s'en priver ? D'ailleurs, je me souviens qu'au dernier salon serbe tel, alors qu'un journal professionnel venait de publier un article terrible écrit par un cuisinier traditionnel qu'il revendiquait un CAP cuisine traditionnelle, un collègue de la même association que l'auteur de l'article cuisinait dans le salon : au beau milieu de sa cuisine trônait à siphon ! Quelle hypocrisie !

La troisième, l’intérêt de la cuisine quel qu’elle soit est de faire profiter le maximum de personnes. S’il est vrai qu’au 18ième siècle, ces éducations du goût et des savoir culinaires étaient réservées aux nantis de l’époque. Il n’en est rien aujourd’hui. Combien de personnes auront financièrement parlant accès à ces « Trouvailles » et utiliseront ces concepts nouveaux ?

Les matériels nouveaux, les ingrédients nouveaux, ne sont pas indispensables pour cuisiner de façon nouvelle. Celui ou celle qui achète son four dans une grande surface et paye le premier prix a le choix : il peut prendre un appareil gradué de un à 10, ou un appareil gradué de 5° en 5°. Le prix est le même, mais s'il choisit l'appareil gradué de cinq en cinq, alors il pourra produire des oeufs à la consistance nouvelle. Ce n'est pas une question d'argent, mais de savoir. Or ce savoir est précisément l'objet de débats de l'éducation nationale, l'éducation nationale qui oeuvre tous pour tous et non pas seulement pour les nantis. De même, le chocolat chantilly est une façon plus rationnelle de faire des mousses au chocolat, puisqu'il évite l'usage des blancs d'oeufs, inutile, qui seront donc utilisés pour tout autre préparation : un de poisson, macaron, les meringues... Là encore, tout le monde peut en profiter : il suffit d'ouvrir l'armoire à dessert de n'importe quel restaurant pour se convaincre que l'innovation est pour tous et non pas seulement pour certains. J'arrête ici la liste, mais c'est pour ne pas lasser.

La quatrième, toutes applications de méthodes nouvelles nécessitent une formation.

Ce qui parait évident, surtout dans ce cas présent qui fait appel aux principes de la physique et de la chimie. Seul un nombre restreint pourra se permettre cette éducation et cette formation.

Franchement, je ne crois pas qu'il y ait besoin de plus de formation pour la cuisine plus classique. Faire un roux, aussi, demande une formation ; cuire un poulet, cela s'apprend. Je ne vois pas la difficulté qu'il y aurait à mettre un blanc d'oeuf dans un siphon et à appuyer pour en faire sortir un blanc en neige. En revanche, je vois du temps gagné. Toutefois, ce qui me préoccupe, aujourd'hui, c'est la pénibilité du métier de cuisinier : debout toute la journée, dans une chaleur excessive, au milieu du bruit, manipulant de lourdes charges. Je crois qu'il est de notre devoir de transformer la pratique professionnelle à sa d'asseoir enfin les cuisiniers, d'éviter les chaleurs excessives, le bruit, les efforts physiques. À cette fin, une transformation des pratiques s'impose, en termes de matériel, l'ingrédient et de méthodes.

La cinquième,  alors que les médias nous bombardent de slogans vantant les mérites du terroir, du bio, du vrai, dans nos assiettes ces concepts auraient tendances d’être parfaitement à contre courant.

Qui a tort, qui a raison ? Il est évident que nous ne pouvons être contre le progrès de la science en terme de transformation des aliments, mais nous nous écartons largement de cette « Maxime » pleine de sagesse :

Une remarque : ne confondons pas science et technologie. La science analyse, étudie, explore. Il n'y aura jamais donc de cuisine scientifique, ce n'est pas possible. Il y a cuisine, d'un côté, et de la science, de l'autre. Ce qui est en jeu, c'est la technologie, qui fait ou ne fait pas entrer en cuisine des applications nouvelles de la science. De toute façon, nous avons notre liberté de choisir : nous pouvons utiliser les nouveaux ingrédients, les nouveaux ustensiles, une bonne méthode, mais nous pouvons aussi ne pas les utiliser. Personne n'est forcé, chacun peut choisir. N'est-ce pas cela, la liberté ?

« Laisser aux choses le goût de ce qu’elles sont »

Je ne crois pas que cette maxime soit pleine de sagesse. La cuisine ne cesse d'assaisonner, de transformer le goût. Par exemple, le tout le goût d'un poulet rôti n'est pas le goût du poulet cru. Le haricot vert prend un goût différent quand il écrit, tout comme la carotte, le poireau. Le goût de bouillon de boeuf ? Ce n'est mieux goût du boeuf, ni le goût de la dernière garniture aromatique, car il s'en est produit des réactions moléculaires au cours de la cuisson ! Non, je crois plutôt que la cuisine construit les goûts. À nous de choisir, à nouveau.

Qu’est ce que la gastronomie moléculaire?

La science qui étudie les phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires (et un peu plus). A noter que ce n’est pas de la cuisine !

Est-ce que la gastronomie moléculaire a des applications industrielles :

Oui ! Toute science peut en avoir, si on les cherche.

 

Quel est l’avenir de la gastronomie moléculaire?

La gastronomie moléculaire se développe dans le monde entier. Elle ne peux que se développer.

 

Pourquoi est-ce que vous pensez que la science aide à cuisiner?

Je crois que la connaissance n’est jamais mauvaise. D’une part, si la science révèle que des dictons culinaires (« précisions ») sont justes, elle aide parce qu’elle affermit les connaissances que la technique utilise. Si elle réfute des idées fausses, elle supprime des « boulets » que nous traînions, par exemple.

En outre, la science produit des connaissances nouvelles. De ces idées nouvelles, on peut chercher des applications, donc obtenir des nouvelles idées culinaires.

 

Vous êtes à l'origine de la création de la cuisine moléculaire et contribuez à son développement grâce à vos nombreuses activités dans ce domaine, en quoi consistent vos recherches actuelles ?

Mes recherches concernent tout d'abord des études ponctuelles que je confie à des étudiants dont je dirige les travaux. Il y a ensuite les études dites " conceptuelles " que je mène seul. Une mayonnaise très battue, par exemple, n'a pas le même goût qu'une autre. Il y a donc une relation entre le goût de l'aliment et sa structure microscopique. C'est ce que j'étudie.

Qu'est-ce que la "gastronomie moléculaire" ?

Il y a des gens qui regardent une montagne et qui se demandent comment elle s'est formée, ce sont des géophysiciens, il y en a d'autres qui regardent les étoiles et qui se demandent pourquoi elles brillent, ce sont des astrophysiciens… Moi, ma montagne, c'est la cuisine. Et la gastronomie moléculaire est la science qui s'intéresse à la cuisine. Comme toutes les sciences, elle vise à produire des connaissances dans un domaine précis. Il y a 10 millions de Français qui cuisinent chaque jour, et ils font des recettes et utilisent des instruments qui existaient déjà au Moyen Âge ! J'étudie ce qu'on peut faire en cuisine de plus efficace : par exemple le souffleur réfrigéré utilisé dans les industries est bien plus efficace que le batteur électrique, les plaques à induction sont bien meilleures que les plaques électriques ou à gaz qui chauffent surtout la cuisine… Enfin, mon but est de produire de la connaissance et de la transmettre ! C'est pour cela que je publie des articles dans des revues, que je donne des cours dans les écoles ou propose des recettes sur le site de Pierre Gagnaire.

Quand est apparue cette science ?

Au début des années 80, j'ai commencé à noter les vieilles croyances culinaires (la mayonnaise ne prend pas quand la femme a ses règles, les œufs en neige montent mieux si on les bat toujours dans le même sens, les haricots sont plus verts si on les cuit avec un couvercle…) et j'en ai aujourd'hui plus de 25 000 ! Avec mon ami Nicholas Kurti, qui était alors président de la Royal Society (l'équivalent de notre Académie des Sciences en Angleterre), nous nous sommes amusés à vérifier ces dictons, autrement dit à comprendre comment la cuisine marchait. Puis nous avons voulu donner un nom à cette activité et c'est devenu la "gastronomie moléculaire". En 1992, nous avons organisé le premier colloque international sur la gastronomie moléculaire en Sicile, où se trouve un grand centre sur la physique des particules. Maintenant, ce colloque a lieu tous les deux ans. Et cette nouvelle science ne cesse de se développer dans tous les pays.

Tout d'abord, qu'est-ce que la gastronomie moléculaire ?

Soyons clairs, car il y a beaucoup de confusion et de fantasme. La gastronomie moléculaire, c’est de la science. Pus précisément, c’est la science qui étudie les phénomènes qui ont lieu lors des transformations culinaires. Ce n'est pas de la technologie (le transfert des connaissances scientifiques), ni de la technique, comme l’est la cuisine (qui peut s’enrichir d’une dimension artistique et sociale). Dans notre laboratoire, pas de casserole, ni de couverts… En revanche, nous utilisons des appareils d’analyse (surtout la résonance magnétique nucléaire, que j’aime beaucoup)… et nous faisons beaucoup de  calculs, puisque la science, c’est cela.

Cuisine moléculaire et gastronomie moléculaire ne sont donc pas la même chose?

Non. La confusion résulte de l’idée fausse que l’on a souvent de la « gastronomie » : ce n’est pas de la cuisine supérieure, mais de la connaissance, ainsi que cela fut défini par le gastronome Brillat-Savarin. « Cuisine moléculaire » est une expression qui ne dit pas que l’on utilise des molécules (ce serait idiot), mais qui indique plutôt que l’on fait usage de « nouveaux » ingrédients, ustensiles ou méthodes. C’est une des applications de la gastronomie moléculaire. Récemment lors, d'un congrès, le cuisinier espagnol Ferran Adria m’a invité à me lever, et devant 5000 cuisiniers, il a dit : "Nous sommes tes enfants!". C’était évidemment émouvant. Mais je préfère considérer que la cuisine moléculaire est une mode… et préparer la suite, en continuant à faire un travail scientifique de belle facture.

Vous êtes l'un des créateurs de cette science. Comment est-elle née ?

Pour moi, tout a commencé le 16 mars 1980, alors que je faisais un soufflé au roquefort. La recette indiquait d’ajouter les jaunes d’œufs deux par deux à la béchamel au fromage. J’ai pensé que c’était sans intérêt, et le soufflé a été médiocre. Puis, le 23 mars 1980, alors que j’avais encore des amis à dîner, j’ai voulu refaire la même recette… et je suis retombé sur cette phrase. J’ai alors mis les jaunes un à un en pensant que ce serait mieux, et cela a été mieux. Le lendemain, j’ai compris qu’il y avait un beau travail à faire, à collectionner et de tester ce que je nommais alors des dictons culinaires. Mon travail a été progressivement connu, notamment par Nicholas Kurti, qui était professeur de physique à Oxford et qui voulait appliquer les résultats de la physique en cuisine. Nous sommes instantanément devenus amis, inséparables. Deux ans plus tard, en 1988, nous avons défini la gastronomie moléculaire.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples de travaux que vous menez en gastronomie moléculaire ?

Nous avons un programme très clair : nous faisons ce qui est le plus important en premier. Par exemple, nous étudions beaucoup les traitements thermiques des végétaux, seuls ou en solution (bouillons). Pour ces questions, nous examinons la « bioactivité », qui dépend de la nature chimique des composés présents ou formés, mais aussi les modifications de structure, qui font que ces molécules sont « accessibles », qu’elles peuvent agir sur des récepteurs biologiques. D’où des études des pigments, par exemple, ou encore des études de composés comme ceux qui sont formés lors de l’autoxydation (le « rancissement ») des matières grasses chauffés… Nous avons beaucoup d’ « envies » de science… mais comment résister à cette envie de comprendre ?

Tout d’abord, pourriez-vous nous rappeler ce qu’est la définition de la gastronomie moléculaire ?

La gastronomie moléculaire est la discipline scientifique qui recherche les mécanismes des phénomènes qui apparaissent lors des opérations culinaires : pourquoi un soufflé gonfle-t-il ?

comment un steak brunit-il ? pourquoi une mayonnaise prend-elle  (ou pas !) ?

La gastronomie moléculaire est à bien distinguer de la cuisine moléculaire,  qui est –écoutons les mots- de la cuisine. Plus précisément, la cuisine moléculaire, c’est  cette cuisine  qui fait usage  de nouveaux ingrédients, de nouveaux ustensiles et de nouvelles méthodes.

Je précise que la confusion entre cuisine moléculaire et gastronomie moléculaire vient de ce que nous ne savons pas assez que la gastronomie n’est pas de la cuisine d’apparat ; la vraie définition veut que  la gastronomie soit une connaissance. C’est une erreur de parler de restaurant gastronomique. Parlons plutôt de restaurant de cuisine bourgeoise, de cuisine d’apparat, de cuisine de luxe...

A partir de vos travaux, vous donnez un certain nombre d’explication sur les textures, les changements d’état : à votre avis dans quelle mesure ces composantes de l’aspect ont une influence sur notre perception des goûts ?

Le goût, c’est la sensation synthétique que chacun d’entre nous perçoit quand il mange ou quand il boit.

Pourquoi synthétique ? Prenons l’exemple de la banane : tout d’abord il y a la perception de la consistance qui s’appelle la texture ; puis des molécules vont activer des récepteurs des papilles, dans la bouche,  et là ce sera la saveur ; d’autres molécules qui remontent vers le nez permettent de sentir l’odeur ; et d’autres encore stimulent le nerf trijumeau pour créer une sensation de piquant ou de fraîcheur. En conclusion, le goût est indissociable de la texture, et il est évident que l’environnement influe sur notre perception des goûts.

Il en est de même sur vos travaux sur la couleur, avec le vin entre autres. En quoi la couleur influence-t-elle nos perceptions organoleptiques ?

La couleur est essentielle. Prenons l’exemple des travaux de mon collègue Gil Morrot, de l’INRA de Montpellier :  il introduit une goutte de colorant vert dans du vin blanc, et les dégustateurs le trouvent plus acide.

Il y a quelques temps nous avions fait une expérience dans l’obscurité complète, avec les 20 meilleurs barmans du monde. Nous avions distribué des verres noirs, contenant du Cahors pour 9 d’entre eux, un vin blanc sec pour 9 d’entre eux, et un mélange d’eau et d’éthanol à hauteur de 10 % dans les deux derniers. Aucun d’entre nous n’a pu déceler une différence ni à l’odeur ni au goût ; c’est seulement quand nous avons pu comparer que nous avons reconnu (mais pas les deux personnes qui avaient l’éthanol et l’eau). Comme quoi on supprime un des composant du goût et on ne sent plus rien.

La gastronomie a-t-elle une influence sur la cuisine moléculaire et ses moyens d’expression ?

La cuisine moléculaire a été la première application de la gastronomie moléculaire, mais en fait il y a trois tendances qui se dégagent de la gastronomie moléculaire.

En plus de la cuisine moléculaire, je travaille sur le « constructivisme culinaire », avec mon ami le chef étoilé Pierre Gagnaire : il s’agit de chercher des constructions qui engendrent des effets gustatifs « sur mesure ». D’autre part,  la cuisine « note à note » est une de mes vieilles lubies : il s’agit de construire les plats à partir de composés purs : eau, glucose, éthanol, etc. Cela revient à  faire des mélanges de couleurs élémentaires, en peinture, ou à jouer avec les produits un à un, tel un arpège en musique.



A propos du Handbook of molecular gastronomy, CRC Press, Boca Raton (FL), 2021.

Handbook of molecular gastronomy. Scientific Foundations, Educational Practices, and Culinary Applications

Edited by: Róisín M. Burke , Alan L. Kelly , Christophe Lavelle , Hervé This vo Kientza

Print publication date:  June  2021

Online publication date:  June  2021

Print ISBN: 9781466594784

eBook ISBN: 9780429168703

Adobe ISBN:

10.1201/9780429168703


https://routledgehandbooks.com/doi/10.1201/9780429168703





Dès son début, la gastronomie moléculaire était étroitement liée aux chefs professionnels. Est-ce toujours le cas ou des chefs célèbres (bien plus que des scientifiques !!) ont-ils suivi une voie indépendante en cessant d’entrer en relation avec les scientifiques et, surtout, en ne reconnaissant pas le rôle des premiers à travailler sur la gastronomie moléculaire (GM) ?

On aura l’occasion de le revoir, mais il faut absolument alerter sur une confusion : la gastronomie moléculaire n’est pas la cuisine moléculaire, et la cuisine moléculaire. La gastronomie moléculaire, c’est de la science ; la cuisine moléculaire, c’est de la cuisine.

J’explique, parce que la confusion date de longtemps, et qu’elle est fondée sur une autre confusion, entre gastronomie et cuisine. La cuisine, c’est la production d’aliments. La gastronomie, c’est « la connaissance raisonnée de ce qui se rapporte à l’alimentation ».

Et voici pourquoi le terme « gastronomie moléculaire » s’applique bien à de la science, et pas à de la cuisine ! Plus exactement, la gastronomie moléculaire et physique, en abrégé gastronomie moléculaire, est et a toujours été une activité scientifique ; c’est une discipline scientifique qui a été (et reste) définie par : la recherche des mécanismes des phénomènes qui sont observés lors des préparations culinaires.

Rien à voir, donc, avec ce que j’avais nommé (en 1999) la « cuisine moléculaire », qui, elle, est une forme de cuisine moderne, définie ainsi : cuisiner en rénovant les ustensiles, par transferts de techniques des laboratoires vers les cuisine.

Et rien à voir non plus avec la « cuisine de synthèse », encore nommée « cuisine note à note », dont nous pourrons reparler plus tard.

Oui, des chefs ont été « associés » initialement, parce que, lorsque moi-même et Nicholas Kurti avons organisé les International Workshops on Molecular and Physical Gastronomy, dès 1992 (nous en avons déjà eu 10, et il y en a maintenant tous les ans), nous avons voulu être bien certains d’explorer des phénomènes qui avaient lieu véritablement, dans la pratique culinaire.

Et c’est ainsi que la confusion entre science et cuisine est apparue. Il faut insister : aucune relation entre la production de connaissances par la méthode scientifique (la gastronomie moléculaire) et la production d’aliments (la cuisine, notamment la cuisine moléculaire).

Et il a fallu lutter beaucoup, internationalement, pour que la presse, les milieux professionnels, le public ne confondent pas la gastronomie moléculaire, et la « cuisine moléculaire », qui, je le répète, était l’utilisation de matériels transférés des laboratoires (de chimie, physique, biologie) vers les cuisine.

Cela étant, les collaborations ont été et restent innombrables, même si aujourd’hui, la cuisine moléculaire ne nécessite plus l’aide de scientifiques ou de technologues : les techniques ont été acclimatées.

Mais, depuis 1994, il y a une autre application, nommée « cuisine note à note », et, là, beaucoup de chefs ont besoin d’aide, tout comme aux débuts de la cuisine moléculaire. Cette aide est apportée par des scientifiques ou par des technologues.

Et, par ailleurs, la gastronomie moléculaire et physique (en bref, gastronomie moléculaire) se développe dans un nombre croissant de laboratoires, dans le monde  (environ 34 groupes de gastronomie moléculaire à ce jour).



Pour une bonne partie du public, et pour de nombreux jeunes dans les écoles de cuisine, la gastronomie moléculaire a une composante de spectacle, de show, de magie… Quelle est votre opinion à ce sujet? pensez-vous que cela puisse être compris comme une banalisation?

Là, vous confondez gastronomie moléculaire. Vous voulez dire que la « cuisine moléculaire » a une composante de spectacle, et c’est vrai que l’utilisation d’azote liquide, en plus de conduire à des produits améliorés, fascine les petits et les grands. D’ailleurs, pourquoi se priver de l’émerveillement des phénomènes avec l’azote liquide ? Pourquoi ne pas admirer les résultats de la technologie, quand ils sont intéressants, pertinents, qu’ils conduisent à des plats vraiment bons ?

La gastronomie moléculaire, elle, se fait dans le silence des laboratoires, des publications. Et cela vaut toujours la peine de rappeler que cette discipline scientifique, comme toutes les sciences de la nature, procède par :

1. identification de phénomènes

2. caractérisation quantitative des phénomènes identifiés

3. réunion des résultats de mesure en équations

4. induction d’une théorie

5. recherche de conséquences testables de la théorie

6. tests expérimentaux des conséquences tirées de la théorie

7. et ainsi de suite à l’infini, en remplaçant sans cesse des théories insuffisantes par des théories moins insuffisantes.

Le point 1 impose de cuisiner, comme nous le faisons chaque mois depuis 21 ans dans les séminaires de gastronomie moléculaire : nous testons publiquement, en présence de professionnels, des « précisions culinaires » (trucs, astuces, tours de main, proverbes…) en vue de trouver de nouveaux phénomènes… et c’est souvent « spectaculaire », mais dans un autre sens : par exemple, il y a quelques années, nous avons fait gonfler un soufflé sans que les blancs en neige aient été battus ; les professionnels présents ont été bluffés.



Aujourd’hui, la gastronomie moléculaire dans un restaurant signifie sans aucun doute un prix élevé. Est-ce obligatoire ? En ce sens, vaudrait-il la peine de diffuser la gastronomie moléculaire parmi les chefs amateurs, à la maison?

Là, à nouveau la confusion gastronomie moléculaire/cuisine moléculaire. Et manifestement vous voulez encore dire « cuisine moléculaire ».

Et il y a lieu de bien comprendre la chose : ce que l’on paie, dans une peinture de Picasso, ce n’est pas la matière première, la toile ou le carré de bois, ni la peinture, mais l’art de l’artiste ! Et ça vaut des fortunes. De même, pour les restaurants de cuisine moléculaire, il se trouve qu’ils étaient conduits par les plus grands artistes, les plus innovants.

D’autre part, il a été initialement très important que la cuisine moléculaire coûte cher : j’avais utilisé la technique avec laquelle le chimiste Antoine Augustin Parmentier a réussi à introduire la pomme de terre en France, au 18e siècle  : il l’a d’abord donnée au roi… afin que le peuple en veuille. Et c’était bien la question dans les années 1980 : les cuisiniers refusaient les techniques modernes ! Et il a donc fallu positionner cela pour les cuisiniers les plus créatifs… et les plus chers.

Mais aujourd’hui, la cuisine moléculaire est partout, au point même qu’on ne l’y voit plus ! Et c’était cela l’objectif.

Partout dans le monde, je vois mes œufs « parfaits » ; mon « chocolat chantilly » est en ligne, mis en œuvre par des enfants, et l’on vend des siphons dans les supermarchés, tandis que de nombreux fours domestiques ont des fonctions « cuisson à basse température ». Le problème de la rénovation technique est donc presque réglé… et l’on peut passer à la suite : la cuisine note à note… que, pour les mêmes raisons, je n’explique qu’aux chefs les plus avancés (même si mon ambition est qu’elle atteigne tout le public).



Y a-t-il une place pour la GM dans la restauration de collectivités tels que les hôpitaux, les maisons de retraite, les écoles, etc.?

Vous voulez encore parler de cuisine moléculaire plutôt que de gastronomie moléculaire.

Et pour la cuisine moléculaire, bien sûr, il y a de la place, pour faire meilleur, et plus facilement. D’ailleurs cette place est en partie occupée: la cuisson basse température est partout, même s’il reste beaucoup à faire pour moderniser les ustensiles. Car je vous rappelle que c’est cela l’enjeu de la cuisine moléculaire : utiliser des ustensiles modernes.



Dans le même sens, est-il possible de produire une GM qui n’est pas de « luxe » ou si cher?

Vous voulez dire : cuisine moléculaire. Mais bien sûr, oui ! Un œuf à 65 °C ne coûte qu’un œuf. Le chocolat chantilly est une mousse de chocolat qui n’emploie pas d’oeuf, donc coûte moins cher qu’une mousse au chocolat classique, et ainsi de suite. Cuisiner rationnellement, c’est évidemment moins cher et meilleur que cuisiner de manière classique, en faisant un peu n’importe quoi, en passant beaucoup de temps (qui coûte cher) à faire des opérations qu’on peut faire mieux et plus vite : pensez, par exemple, au dégraissage et à la clarification des bouillons de viande (une ampoule à décanter et un filtre de laboratoire)...



Quels sont les principaux axes de recherche en cours dans votre centre de recherche à Paris ?

 Dans notre groupe de recherche en gastronomie moléculaire, nous sommes surtout lancés dans l'exploration des « échanges », car j'ai identifié que c’est le principal phénomène qui a lieu quand on cuisine. Par exemple quand on fait un bouillon de viande, on met de la viande dans l'eau et il y a des échanges entre l'eau et la viande. De même pour un bouillon de carottes, mais alors le tissu végétal échange très différemment. Quand on fait du café, il y a également des échanges entre les grains de la poudre de café et l'eau Quand on met une bouchée d'un aliment dans la bouche, il y a également des échanges entre le matériau de la bouchée et la salive. Et ainsi de suite.

Et comme ces échanges sont responsables de l’effet de l’aliment (sensorialité, nutrition, toxicologie, etc.), on comprend que l’exploration des échanges, de leurs mécanismes, soit essentiel.

D’ailleurs, j’ajoute que nous nous intéressons beaucoup aux « gels » dans ces études parce qu’ils sont partout, dans la cuisine. En effet, selon l’International Union of Pure and Applied Chemistry, en raison de leur définition qui est « un liquide contenu dans un solide » : c'est ainsi que les viandes, les légumes, les œufs cuits et cetera sont des gels, à côté des gels de gélatines et des autres gélifiants et nous sommes lancés dans une classification des gels ainsi que de leur capacité d'échanger avec un milieu environnant (et j’ai « découvert » la totalité des gels des premières « classes », ces dernières étant classées grâce à un formalisme « DSF », introduit il y a quelques années.

Mais il y a bien d'autres études qui se font dans notre Groupe de gastronomie moléculaire, telle l’étude du passage du cuivre dans une confiture quand on la prépare dans une bassine en cuivre. Ou encore les transferts de sel vers l'aliment. Et cetera.

Cela, c'est pour la partie scientifique. Mais vous évoquez aussi les axes de recherche en cours dans le « centre de recherche » et là il y a une précision à donner, car à côté du Groupe de gastronomie moléculaire où je fais ma recherche, il y a le Centre international de gastronomie moléculaire et physique, que je dirige, et qui, lui, est une structure qui anime l'ensemble des laboratoires de gastronomie moléculaire du monde. Dans cette structure, il n'y a pas de recherche stricto sensu, mais une animation scientifique avec des congrès, des séminaires, et cetera



Pouvez-vous résumer l’objectif principal de votre nouveau livre et le contenu essentiel?, Selon vous, Quelle sera sa contribution la plus remarquable au sein de la GM?

 Le principal objectif du Handbook of Molecular Gastronomy, c'était, à mon sens, de réunir toute la communauté internationale de gastronomie moléculaire et physique autour d'un projet commun, et ce projet était de faire un état des recherches en gastronomie moléculaire. Cela, c’est la première partie du livre.

La deuxième partie, également importante et utile, a voulu faire un état des initiatives d'application de la gastronomie moléculaire à l'enseignement, de l’école primaire à l’université, et même au-delà. Ces applications s’imposent pour de nombreuses raisons, et notamment parce que c’est la connaissance de la cuisine qui permet d’améliorer l’alimentation. Et la gastronomie moléculaire a des atouts, en raison de la mode actuelle de la cuisine, notamment chez les plus jeunes.

Enfin la troisième partie, ce sont les applications techniques, ou artistiques, de la gastronomie moléculaire : la cuisine moléculaire, d’une part, et d'autre part la cuisine note à note. Ce sont là des recettes, notamment écrites par de très grands chefs, avec des explications sur ces préparations innovantes.

Au total, le Handbool comporte 150 chapitres ont été écrits par des auteurs par 150 auteurs de 23 pays, et le livre est donc énorme : il a 894 pages, 673 figures. C’est un énorme livre, et d’ailleurs un « handbook », ce qui signifie qu'il doit rendre service à tous ceux qui veulent apprendre, qui veulent découvrir des aspects de la gastronomie moléculaire ou de ses applications. Cela concerne évidemment les scientifiques qui sont déjà engagés dans des recherches en gastronomie moléculaire, mais aussi des étudiants qui veulent la découvrir, et, souvent d'ailleurs, je vois des étudiants en sciences et technologies des aliments s'intéresser à ce livre. Évidemment, avec la deuxième partie, il y a des professeurs qui pourraient être intéressés d’apprendre à mettre en œuvre la gastronomie moléculaire, de l'école primaire jusqu'à l'université. Et avec la troisième partie, des amateurs de cuisine, des chefs, etc. peuvent vouloir découvrir des recettes.

La contribution « la plus remarquable » ? Là, vraiment, je ne sais pas, mais je sais que ce livre est un tremplin pour la suite, et notamment pour le fonctionnement de l’International Journal of Molecular Gastronomy : les auteurs de ce livre, ou d’autres collègues, peuvent soumettre des manuscrits à ce journal scientifique.

Bref, avec le livre , nous avons fait un point d'étape et nous allons maintenant continuer avec les workshops internationaux devenus annuels (la suite de ses premiers colloques que nous avions créés en 1992), mais aussi le journal. Une communauté structurée, active, donc.



Quand l’alimentation « de la terre », « de proximité », les aliments locaux sont en train d’être revalorisés... est-il possible de penser à un OGM axé sur ce type de « vieux » produits ?

 Là, je ne comprends pas bien la question, parce qu’elle parle d'un « OGM », car les OGM, c'est une question de biologie, ou plus exactement d'application de la biologie, et pas une question de gastronomie moléculaire.

En revanche puisque vous parlez d'alimentation de l'humanité, je peux maintenant arriver à discuter un peu la question de la cuisine de synthèse, que j'ai nommée cuisine note à note. Il s'agit donc, comme pour la musique de synthèse, de d'unités élémentaires pour arriver à faire des plats. J’explique : il y a deux siècles, on cuisait avec des légumes et des viandes ; puis, il y a un siècle, on a analysé ces derniers pour découvrir qu'ils étaient faits de composés : de l'eau, la cellulose, les pectine, les chlorophylles, etc. La cuisine note à note veut utiliser de tel composés pour construire les plats. Ce n'est ni difficile, ni dangereux, et c'est de l'innovation. Mais c'est surtout une façon de combattre le gaspillage alimentaire qui atteint entre 20 et 40 pour cent selon les pays. Si l’on supprime ce gaspillage alimentaire, alors on pourra peut-être nourrir les 10 milliards d'êtres humains en 2050.

J’ajoute que, par cette cuisine de synthèse, il n'est pas très intéressant de vouloir reproduire des plats classiques, des carottes, des viandes… Il est bien plus intéressant de produire des plats entièrement nouveaux ! En outre, pour l'instant en tout cas, il n'y a pas de concurrence entre la cuisine note à note et la cuisine classique ou la cuisine moléculaire. C'est seulement une nouvelle forme de cuisine. Et du point de vue artistique, la cuisine note à note est vraiment une belle nouveauté, qui n'a donc rien à voir avec la cuisine moléculaire, et qui conduit à des produits extraordinaires.



Des années après sa création, il est évident que la GM fonctionne encore aujourd’hui. Quelles seront ses possibilités futures et où pensez-vous que les nouvelles lignes de recherche iront?

 Oui la gastronomie moléculaire fonctionne aujourd'hui et plus que jamais : je vous ai dit que nous avons maintenant environ 34 groupes de gastronomie moléculaire de recherche en gastronomie moléculaire dans le monde ! Et il n’y a pas de raison que la gastronomie moléculaire cesse de se développer, tout comme il n'y a pas de raison que cesse de se développer la physique ou la chimie par exemple.

Où seront les nouvelles lignes de recherche ? Je ne sais pas, et il y a beaucoup trop d'activités dans le monde pour que je puisse le savoir. Je sais simplement que certains d'entre nous sont plus intéressés par la science, la recherche des mécanismes des phénomènes, et d'autre par la technologie, l'application des résultats de la science à la technique. Par exemple, je vois plusieurs collègues intéressés, en ce moment à l'impression 3D d'aliments et j'observe d'ailleurs que les préparations qui sont utilisés dans ces machines on tout à gagner de la cuisine note à note.

Pour ce qui me concerne, même si je donne une invention par mois à Pierre Gagnaire (ce que je ne devrais pas faire puisque c'est de la technologie et pas la science), je me consacre comme je vous l'ai dit à la recherche scientifique des mécanisme des échanges.

Mais je vois surtout que de nouveaux groupes de gastronomie moléculaire se créent régulièrement dans le monde, ce que je suscite, ce que j'encourage, et je compte sur le journal international de gastronomie moléculaire pour aider tous ces scientifiques ou ces technologues à échanger, à publier leurs résultats et pour faire une belle animation scientifique et technologique.

Mais, je le rappelle pour conclure, la gastronomie musculaire, recherche scientifique, a des applications soit pour l'enseignement, soit pour la cuisine, et nous devons chercher de telles applications pour aider les communautés qui financent les recherches scientifiques. Il y a une question de responsabilité, et nous en sommes très conscients.

Pour terminer je voudrais ne pas opposer la science et l'art, mais je crois qu’il serait néfaste de les confondre : ce sont deux activités très différentes. La science est belle, c'est l'honneur de l'esprit humain que de « lever un coin du grand voile ». L'art culinaire est merveilleux et notamment quand il ne se confond pas avec l'artisanat culinaire. D’ailleurs, à ce propos, je crois avoir compris quelque chose d'essentiel en observant que Picasso n'est pas un peintre en bâtiment : il y a de la place pour les deux deux, car il faut des peintres en bâtiment pour peindre les murs, et il faut des des peintres qui parlent à l'esprit comme Picasso. Il en va exactement de même en cuisine. La science n'a pas grand chose à dire de l'art culinaire et l'art culinaire n'a pas grand chose à dire de la science, mais des êtres humains intelligents et curieux peuvent s'intéresser aux deux activités, et des jeunes soucieux de bien faire peuvent se lancer dans l’une ou l’autre voie. D’ailleurs, ils peuvent se lancer aussi dans la technologie qui fait le pont entre la science et l'art.

Le Handbook of molecular gastronomy montre bien tout cela, je crois : ce très gros livre est une référence, et il permet à tous ceux qui sont intéressés par l’alimentation d’avoir des informations récentes, et utiles. Un exemple : l’effet de matrice, dont il est souvent question. C’est quoi, au juste ? Et en quoi est-ce important pour la nutrition et la diététique. Un autre exemple : les réactions de glycation (qui sont le nom que l’on doit donner aux « réactions de Maillard », car elles avaient été découvertes 30 ans avant par Emil Fischer). Plus « techniquement » : dans quels cas observe-t-on de la « capillarité »? de l’ « osmose » ? qu’est-ce qu’une émulsion de Ramsden ? comment les matières grasses s’oxydent-elles lors de cuisson ? comment bien filtrer ? comment fumer des viandes sans les charger en composés toxiques ? Et ainsi de suite : on ne trouvera certainement pas tout, mais beaucoup !