Séminaire avril 2012

 La question demeure

Le tamisage de la farine a peut-être un intérêt en cuisine, mais les effets gustatifs semblent minimes... pour la confection des crêpes.

Ne pas savoir ? C'est la promesse d'apprendre !

Y aura-t-il un jour de la chimie en cuisine ? Non, mille fois non, car la chimie est une science, une production de connaissance, alors que la cuisine est la production d'aliments. Si l'on met dans un plat un composé tel que le 1-octène-3-ol (je vous le recommande pour son merveilleux goût de sous bois), c'est exactement comme si l'on ajoutait du sucre, à cela près que le sucre donne de la saveur, et l'autre composé donne de l'odeur.

Bien sûr, on pourrait faire une différence entre des composés extraits de produits naturels, comme le sucre extrait de la betterave, et des composés synthétisés à partir de produits naturels, comme le 1-octène-3-ol, mais la différence est-elle vraiment considérable ? D'autant que le 1-octène-3-ol se trouve (notamment) dans les champignons.

Qui fait la synthèse ? Des techniciens et des ingénieurs d'une industrie que l'on nomme fautivement « chimique », car les opérations s'apparentent tout à fait à la cuisine. Une viande qui grille est également le siège de réactions, tout comme la confection d'un caramal. Or, que je sache, les cuisiniers ne sont pas des chimistes, puisqu'ils ne sont pas scientifiques, contrairement à ces derniers.

Bref, il y a beaucoup de confusion dans notre monde... parce qu'il y a beaucoup de paresse : nous n'allons pas assez souvent y voir d'assez près, et nous « balayons fréquemment la poussière sous le tapis ».

Finalement, puisque ajouter du sucre ou du 1-octène-3-ol sont des opérations techniquement identiques, pourquoi les distinguer ? Pourquoi s'interdire d'ajouter des composés dans les mets ? Le faire, c'est le début de la cuisine note à note, dont je n'ai sans doute pas fini de vous entretenir !

Les nouveautés

Ce mois-ci, lors de notre réunion du Groupe d'étude des précisions culinaires, nous avons cherché à savoir si le tamisage de la farine était utile. Certes, dans le temps, il fallait effectivement éviter de laisser tomber une souris morte, un caillou, un brin de paille... dans les préparations culinaires, mais aujourd'hui les moulins sont équipés de détecteurs de corps étrangers, et le tamisage est une opération élémentaire de la production de farine. Alors ?

Alors oui, parfois, quand la farine stockée a été infestée d'insectes, c'est quand même mieux de tamiser, mais sinon ?

Sinon, les pâtissiers ne tamisent pas la farine sortie des sacs, et se contentent de tamiser la farine qui a séjournée dans des conteneurs où elle a pu prendre un peu d'humidité. Les cuisiniers, eux.. tamisent quand on leur a dit de tamiser, et on le dit quasi systématiquement, mais est-ce utile ?

Nous avons testé cette éventuelle activité pour la confection des crèpes, faites de farine, d'oeuf, de beurre fondu, de sel, et de lait. Le protocole s'est révélé plus compliqué que prévu, car comment faire deux pâtes à crêpes exactement identiques à la différence près de la farine, tamisée pour une moitié, et non tamisée pour l'autre ?

Finalement, nous avons opté pour un seul opérateur, qui a montré aux participants comment il ajoutait le lait, petit à petit, afin d'éviter les grumeaux... et les deux préparations se sont révélées différentes : avec la farine non tamisée, la pâte laissait apparaître de petits points sur le dos d'une cuiller, alors qu'elle était plus lisse à partir de la farine tamisée.

Nous avons alors cuit les crêpes, et les avons fait goûter à deux personnes, lors d'un test triangulaire (le seul qui vaille), où l'on donnait trois morceaux de crêpes à chaque personne, plusieurs fois de suite ; deux morceaux étaient identiques, et le troisième différent. Les dégustateurs -qui ignoraient de quelle crêpe provenait quel morceau, évidemment ! - devaient reconnaître les deux morceaux provenant de la même crêpe.

Et le résultat n'a pas été différent d'un choix au hasard !

Bref, si l'aspect des pâtes à crêpes était différent, il n'y avait pas de différence à la dégustation. Certes, les expériences sont préliminaires, et elles devront être refaites, mais le résultat préliminaire est déjà là.

Vrai ou faux ?

● La farine est faite de gluten et d'amidon ? Vrai et faux : c'est en 1642 -donc pas hier!- que des chimistes strasbourgeois nommés Kessel et Mayer et un chimiste italien nommé Beccari ont montré que de la farine de blé, pétrie avec de l'eau, puis doucement malaxée dans l'eau, laisse partir une poudre blanche, tandis qu'il reste dans les doigts une sorte de chewing-gum. Ils nommèrent amidon la poudre, et gluten la masse élastique. Toufois, pas plus que l'amidon n'est un composé unique (il est composé de deux composés, nommés amylose et amylopectine), le gluten n'est pas un composé pur : c'est un ensemble de protéines. Bref, se limiter à ces deux termes d'amidon et de gluten, c'est rester... au XVIIe siècle ! La cuisine ne mérite pas plus de finesse, de précision ?

● L'amylopectine est analogue à la pectine ? Vrai et faux. Les pectines sont des composés, analogues à des fils hérissés par endroits, qui lient entre elles des molécules de cellulose (pensons au coton), dans les tissus végétaux (fruits, légumes). L'amylopectine, elle, est plutôt comme un arbre. Pectines et amylopectines sont des « polysaccharides » : quelle que soit leur « forme » générale, ces composés sont faits de molécules qui sont elles-mêmes faites d'un grand nombre de « sucres élémentaires ». Pour l'amylopectine, comme pour l'amylose, ces sucres élémentaires sont tous du glucose. Pour l'amylopectine, ces sucres ont pour nom « acide galacturonique ».

Informations :

● Deux productions de cuisine note à note ont été présentées à Montréal (Canada). La première était faite de mets faits pour choquer... et l'effet a été obtenu. La seconde était faite de mets faits pour être « bons » (disons « familiers »), et ils l'ont été. Comme pour de la musique de synthétiseur, on peut faire quelque chose de familier, ou quelque chose de très novateur. Le « j'aime » ou le « j'aime pas » n'ont pas d'autre validité que celle de celui qui mange et qui juge.

Faites grandir la cuisine (comment faire l'expérience)

Une expérience isolée n'est rien, et je vous propose de tester de votre côté la préparation des pâtes à crêpes. Notez bien les recettes, le protocole employé, et ne manquez surtout pas de nous donner vos résultats !