Emilie du Châtelet, une femme de sciences

Émilie du Châtelet,  femme de sciences

En 1745, Gabrielle Émilie de Breteuil, marquise du Châtelet  (1706-1749), l’une des premières femmes à s’intéresser publiquement aux sciences, traduit un ouvrage de Newton. Cette mathématicienne, astronome et physicienne élue à l’Académie de Bologne et soutenue  par Voltaire, parvient à intégrer les cercles savants de son temps.  Dans un monde dominé par les hommes, elle acquiert une réputation européenne grâce à ses travaux sur Newton et Leibniz, et grâce  à sa participation aux grands débats scientifiques.

Comment une femme s’impose-t-elle dans le monde scientifique des  Lumières ?

« Une créature pensante »

Qu’on fasse un peu réflexion : pourquoi depuis tant de siècles, jamais une bonne tragédie, un bon poème, une histoire estimée, un beau tableau, un bon livre de physique, n’est sorti de la main des femmes ? Pourquoi ces créatures, dont l’entendement paraît en tout si semblable à celui des hommes, semblent pourtant arrêtées par une force invincible en deçà de la barrière, et qu’on m’en donne la raison, si l’on peut. Je laisse aux naturalistes à en chercher une physique, mais jusqu’à ce qu’ils l’aient trouvée, les femmes seront en droit de réclamer contre leur éducation. Pour moi j’avoue que si j’étais roi, je voudrais faire cette expérience de physique. Je réformerais un abus qui retranche, pour ainsi dire la moitié du genre humain. Je ferais participer les femmes à tous les droits de l’humanité, et surtout à ceux de l’esprit. […] Je suis persuadée que bien des femmes ou ignorent leurs talents, par le vice de leur éducation, ou les enfouissent par préjugé et faute de courage dans l’esprit. Ce que j’ai éprouvé en moi me confirme dans cette opinion. Le hasard me fit connaître de gens de lettres qui prirent de l’amitié pour moi, et je vis avec un étonnement extrême qu’ils en faisaient quelque cas. Je commençai à croire alors que j’étais une créature pensante.

Émilie du Châtelet, préface à sa traduction de l’anglais en français de La Fable des abeilles de Bernard de Mandeville, 1735.

Le travail scientifique

Vous trouverez ici un très beau cabinet de physique, et vous y pourrez faire toutes les expériences que vos lumières vous feront imaginer. […] Je crois que vous avez été bien étonné que j’aie eu la hardiesse de composer un mémoire pour l’Académie. J’ai voulu essayer mes forces à l’abri de l’incognito […]. Je n’ai pu faire aucune expérience, parce que je travaillais à l’insu de M. de Voltaire, et que je n’aurais pas pu les lui cacher. […] L’ouvrage de M. de Voltaire, qui était presque fini avant que j’eusse commencé le mien, me fit naître des idées et l’envie de courir la même carrière. […] M. de Voltaire, au lieu de me savoir mauvais gré de ma réserve, n’a songé qu’à me servir, et ayant été assez content de mon ouvrage, il voulut bien se charger d’en demander l’impression. […] Je vous avoue que, si vous en pouvez avoir la patience, je désirerais passionnément que vous le lussiez. Car si l’Académie a la bonté de l’imprimer, je le voudrais rendre le moins indigne d’elle qu’il me serait possible, et j’espère qu’elle me permettra d’y apporter quelques corrections.

Émilie du Châtelet, Lettre à M. de Maupertuis, Cirey, 21 juin 1738.

Éloge funèbre de la marquise dans une revue suisse

La fréquentation des gens d’esprit et de savoir devint sa passion dominante. Messieurs de Maupertuis, de Voltaire et plusieurs autres savants eurent toutes ses inclinations. […] À la compagnie de ces grands hommes, la marquise du Châtelet prit du goût pour les hautes sciences, j’entends celles qui ne sont pas ordinairement à la portée des femmes, telles que sont la géométrie, l’algèbre, l’optique, l’astronomie, la physique et autres sciences de cette espèce, dont les principes, aussi abstraits que difficiles, ne la rebutèrent point. Elle y fit au contraire de si grands progrès, malgré toutes les épines dont elles sont hérissées, que de simple écolière elle devint bientôt maîtresse et fit part de tous ses progrès au public dans plusieurs ouvrages qui parurent peu de temps après. Leur solidité fit dire d’abord et croire à bien des gens qu’elle n’y avait d’autre part que celle d’avoir prêté son nom à quelques savants, qui en étaient les véritables pères et avaient voulu lui en faire honneur ; mais ceux qu’elle composa ensuite et dont personne ne lui a plus contesté la propriété firent connaître aux incrédules et aux médisants la véritable origine des premiers. C’est par ces ouvrages qui l’ont occupée, nuit et jour, pendant près de vingt ans, qu’elle est parvenue à se faire dans le monde et dans la République des Lettres un nom dont elle doit avoir été contente.

« Extrait d’une lettre concernant Madame la Marquise du Châtelet », Journal helvétique, Neuchâtel, novembre 1749.