Histoire - Géographie

Marc Lenfant / Collège Lycée La Mennais


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Humeur du moment : 

Invasion russe : « L’Europe n’est pas en guerre mais la guerre menace de s’y développer »

Article du journal "La croix du 25/02/2022

Entretien

Pour l’historien et politologue Jacques Semelin (1), les Occidentaux ont sous-estimé les signaux d’alerte en provenance de Moscou, comme la blessure qu’a constituée pour les Russes la dislocation de l’URSS, en 1991.

La Croix : Le tour que prend la crise ukrainienne vous surprend-il ?

Jacques Semelin : Hélas, non. Étant spécialiste des crimes de masse, je suis attentif à la rhétorique guerrière développée par Vladimir Poutine depuis de nombreuses années. Dès 2008, le président russe a justifié l’invasion de la Géorgie par la prétendue volonté de son président Mikheïl Saakachvili de perpétrer un génocide sur les populations russes. Dans la crise actuelle, Vladimir Poutine a de nouveau avancé l’idée fallacieuse d’un génocide dont seraient victimes les russophones dans l’est de l’Ukraine. Autre élément de propagande : son soi-disant objectif de « dénazifier » ce pays, une référence directe au grand récit russe de la lutte contre l’envahisseur nazi. Derrière cela, il y a le sentiment d’une menace contre la Russie, la grande Russie pourrait-on dire, et sa zone d’influence.

L’Europe est-elle en guerre ?

J. S. : L’Europe n’est pas en guerre mais la guerre menace de se développer en Europe. On est en présence d’une configuration internationale inédite depuis 1945. Certes, notre continent a connu la guerre en ex-Yougoslavie, dans les années 1990. Mais ce conflit est resté régional, circonscrit.

Comment expliquer que la Russie se permette d’envahir un État indépendant ?

J. S. : Vladimir Poutine, qui par le passé a qualifié la dislocation de l’URSS de plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle, se dit sans doute que c’est sa dernière chance de restaurer un peu de la grandeur de la Russie. L’erreur des Occidentaux a probablement été de sous-estimer la blessure qu’a constituée la fin de l’empire soviétique et de considérer la Russie comme un partenariat parmi d’autres. En tout cas, les signaux d’alarme n’ont pas manqué.

La réponse des Occidentaux est-elle à la hauteur ?

J. S. : Loin d’être négligeables, les sanctions financières et économiques pourraient affaiblir la puissance russe. Mais il est difficile d’évaluer leur efficacité potentielle. L’issue du conflit dépendra surtout de la capacité de résistance des Ukrainiens. Non pas armée, mais civile. L’Ukraine pourra, le cas échéant, s’appuyer sur sa propre expérience acquise lors de la « révolution orange » de 2004, sur le soutien de l’Europe et de plusieurs ONG américaines… Mais cette stratégie ne peut porter ses fruits qu’à long terme.

La situation actuelle est-elle de nature à modifier le rapport de l’opinion publique française à l’histoire ?

J. S. : C’est possible. Contrairement à ce qu’affirmait le chercheur Francis Fukuyama au lendemain de la chute du communisme, l’histoire n’est pas finie, elle a même de l’avenir… Le Covid est venu rappeler qu’en dépit d’impressionnants progrès scientifiques, une pandémie pouvait se révéler dévastatrice. Et le conflit vient remettre en cause le sentiment de relative sécurité qu’on pouvait éprouver en Europe.

Certes, des États étrangers ont pu téléguider des actions terroristes sur notre sol mais l’hypothèse d’une invasion d’un pays par un autre, en Europe, semblait totalement écartée. Aujourd’hui, il serait très aventureux de la part de Vladimir Poutine de s’en prendre à la Pologne ou aux pays Baltes, membres de l’Otan. Mais il n’est pas exclu que la guerre se développe en Europe.

Le conflit ukrainien rappelle aussi à notre souvenir l’existence de l’arme nucléaire, qui est longtemps restée un impensé dans le débat public. Il montre peut-être les limites de la doctrine de dissuasion atomique.

(1) Auteur, notamment, de Face au totalitarisme. La résistance civile, André Versaille Éditeur, 2011.