Les funérailles nationales de Victor Hugo

Le 22 mai 1885, le grand écrivain républicain Victor Hugo s’éteint à l’âge de 83 ans. Ses engagements ont marqué  le siècle. Monarchiste dans sa jeunesse, il a soutenu l’installation de la IIe République, avant d’être poussé à l’exil à la suite du coup d’État ayant instauré le Second Empire, pour enfin faire un retour triomphal sous la IIIe République. Sur proposition du gouvernement, la Chambre  des députés vote à la quasi-unanimité  l’organisation de funérailles nationales.

 Comment les républicains font-ils de Victor Hugo  une icône fédératrice et laïque ?

La "bataille" du Panthéon

Le 23 mai, le député républicain Anatole de La Forge propose de rendre à l’église Sainte-Geneviève son statut de panthéon pour y enterrer Victor Hugo. La droite catholique et monarchiste s’indigne.« Vous allez chasser de son temple Dieu lui-même, pour installer à sa place la dépouille d’un homme ! […] De ce dôme qui domine Paris, vous allez précipiter la croix de notre Dieu ! Eh bien, la France entière entendra le bruit de sa chute et elle la relèvera contre vous. Voilà donc que ce que vous avez fait de la grande mémoire que vous voulez honorer. Vous avez oublié le grand poète et l’illustre écrivain qui appartenait à la France, pour livrer ses restes au vent des discordes sociales et à tous les hasards de l’avenir. »

Albert de Mun (député monarchiste), Interpellation à la Chambre des députés, 28 mai 1885.

Le point de vue d'un journaliste républicain

L’absence de toute célébration religieuse lors des funérailles marque les esprits. Les républicains font de la liberté d’esprit du poète le symbole de la politique laïque qu’ils tentent alors de mettre en œuvre.« La résolution publiquement annoncée par Victor Hugo de passer devant sa paroisse sans s’y arrêter avait jeté dans les rangs de l’armée dévote un trouble profond. Elle comptait toujours que ce fils de Vendéenne reviendrait tôt ou tard aux croyances de son enfance, et elle ne put songer sans effroi aux innombrables imitateurs qu’aura, par la suite, l’incomparable écrivain […]. En effet, si VictorHugo était entré à Notre-Dame, c’eût été pour le clergé ce que pour LouisXVI eût été la reprise de la Bastille. […] Rien ne me parut plus majestueusement émouvant et grandiose que l’exposition de cet étroit cercueil sous l’immense voûte de l’Arc de Triomphe. »

Henri Rochefort, Les Aventures de ma vie, Dupont, t.IV 1896-1898.

Le culte des grands hommes, une religion laîque

« Paris, qui veut croire à quelque chose, veut que ce "quelque chose" soit célébré par un culte, par des fêtes, par des céré-monies. La Foi au Progrès, à la Justice révélée par la conscience, à la morale, […] à l’immortalité des âmes […] est vivace, puissante, indestructible chez nous. […] Le peuple, servi par des circonstances particulières, cherche, en dehors [de l’Église], sa Foi et son Culte. […] Je dirai presque que ce Dieu a été trouvé en Victor Hugo. […]Le poète lui-même ne se doutait pas, peut-être, de ce que ses funérailles pouvaient-être ? Peut-être aussi en eût-il voulu de plus simples ? […] Mais les hommes comme Hugo sont peu à eux, pendant leur vie, et pas du tout après leur mort. Notre monde contemporain, très affolé, qui se cherche lui-même, s’est emparé du poète et il a voulu faire du marbre de son tombeau la pierre angulaire du temple qui remplacera quelque jour les  cathédrales  écroulées ! »

Henry Fouquier, « Le culte des grands hommes »,  Gil Blas (hebdomadaire), 3 juin 1885.