1891 : La fusillade de Fourmies

La fusillade de Fourmies

Le 1er mai 1891, les ouvriers textiles de Fourmies (Nord) manifestent pacifiquement afin de célébrer la fête du travail. Ils réclament 8 heures  de travail quotidien conformément aux directives de l’Internationale ouvrière*. Lors de la manifestation, l’armée assaillie par les cailloux  des manifestants obéit à l’ordre donné par le commandant de tirer.  Le bilan est de 9 morts et 3 blessés. La tragédie a un écho national,  et montre que l’État républicain ne tolère pas encore les manifestations ouvrières.

 En quoi la fusillade du 1er mai révèle-t-elle le manque d’intégration des ouvriers dans la République ?

Les « prédications » socialistes

Depuis trois semaines, la population était travaillée en vue du 1er Mai ; des réunions avaient lieu dans tous les centres ouvriers ; le socialiste parisien Lafargue1 et un certain Culine, ont prononcé des discours violents. […] « Tous les patrons sont des pourris. Quand un animal est mort, il est bon à quelque chose, mais avec la peau d’un patron, on ne pourrait faire un gant. » S’adressant aux jeunes gens, un autre disait : « Quand vous serez soldats et qu’on vous donnera la consigne de garder les coffres-forts des ventrus, levez la crosse en l’air. » Quinze jours de ces prédications avaient porté leurs fruits : cette population est mobile, facile à exciter. […] La vérité sur ce qui s’est passé est difficile à démêler. […] Par deux fois, bien que le lieutenant ait été saisi par les grévistes, bien que les manifestants tentassent de s’emparer des fusils, on a tiré en l’air ; mais deux soldats étant tombés, frappés par des pierres, le visage ensanglanté, les fusils se sont abaissés machinalement et les coups sont partis.

« La situation à Fourmies », Le Temps, 5 mai 1891.

1 Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, est l’un des dirigeants du Parti ouvrier. Hippolyte Culine est un militant socialiste très actif à Fourmies.

Une répression indigne du « monde civilisé »

Sommes-nous bien sûrs – et je suis le premier à me mettre en cause –, sommes-nous bien sûrs d’avoir fait tout ce qu’il fallait pour éviter les conflits, de nous être préoccupés comme nous l’aurions dû des questions si graves et si aiguës que soulève l’état social actuel ? Assurément non ! […] Cela doit nous porter à l’indulgence : nous devons nous regarder nous-mêmes un fort long temps […] avant de juger les autres. Eh bien, quand vous regardez ce qui s’est passé à Fourmies, qui pourrait soutenir, ici ou devant l’Europe, devant le monde civilisé, que les faits qui se sont passés à Fourmies avant la fusillade justifient la mort de ces femmes, de ces enfants, dont le sang a pour si longtemps rougi le pavé ! Non, assurément, […] il y a disproportion monstrueuse entre l’attaque et la répression ; il y a quelque part, sur le pavé de Fourmies, une tache de sang innocent qu’il faut laver à tout prix ! […] Oh ! je ne viens pas apporter ici des paroles de haine ; je dis que le fait capital de la politique actuelle, c’est l’inévitable révolution qui se prépare.

Discours de Georges Clemenceau à la Chambre des députés le 8 mai 1891.