Le soldat inconnu et les enjeux mémoriels

Le Soldat inconnu  et les enjeux mémoriels

Le 11 novembre 1920, le corps d’un soldat qui n’a pas pu être identifié, choisi au hasard, est transféré à l’Arc de Triomphe.  Pour les nombreuses familles qui n’ont pas retrouvé leurs morts ou n’ont pas les moyens de les faire rapatrier, ce Soldat inconnu, qui représente tous les combattants tombés durant le conflit,  a valeur de symbole. Dans les nombreux pays qui suivent  cet exemple, la tombe du Soldat inconnu devient un lieu de mémoire et d’expression à la fois du pacifisme et du patriotisme. 

De quels enjeux mémoriels le Soldat inconnu  est-il le révélateur ?

Regard d’historienne

En France, les 1 350 000 morts ont largement envahi tout l’espace symbolique et affectif. En 1919, on fête la victoire, mais le poids de la perte l’emporte. En 1920, l’inhumation du Soldat inconnu doit donner une place exceptionnelle à ces héros parmi les héros, les morts parmi les combattants. […] Les funérailles nationales d’un combattant non identifié sont célébrées par tous les anciens belligérants. Ce culte du Soldat inconnu représente la « brutalisation1 » de la guerre passée à la postérité mémorielle, il est l’invention commémorative par excellence de la Grande Guerre : l’anonymat garantit l’héroïsme de tous et permet le deuil de tous. De telles tombes deviennent des autels de la patrie. À partir du 11 novembre 1920, où ont lieu les deux premières cérémonies, à Londres et à Paris, le rite international s’inscrit au centre de chaque pouvoir national, dans les différentes capitales. […] Ce qui reste, en 1919, des unions sacrées, c’est cet immense souffle de ferveur né en 1914, vécu dans l’intensité et le désarroi mêlés à travers les années de guerre, et que les commémorations nationales réactivent partout dans le respect du sacrifice, et, souvent, dans le sentiment de l’horreur de son inutilité. Au-delà des cérémonies officielles et des défilés militaires, les différents soldats inconnus ont bien cristallisé les valeurs de sacrifice et de malheur liées à la guerre. Et par un retournement qui dut probablement séduire les détracteurs des cérémonies, peu nombreux à l’origine, les tombes sont devenues aussi de hauts lieux symboliques de l’expression du pacifisme.

Annette Becker, « Le culte des morts, entre mémoire et oubli »,

Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918, Bayard, 2013.

1. Voir Repères, p. 302.

La République et le Poilu

L’âme de la France a palpité, hier, tandis qu’étaient glorifiés, à l’occasion du Cinquantenaire de la République et de l’anniversaire de l’armistice, Gambetta, le grand tribun qui ne désespéra jamais de la patrie1, et le Soldat français dont le sacrifice sauva la patrie et la civilisation. Un peuple ému splendidement s’était porté sur le passage des deux glorieuses dépouilles et nulle cérémonie ne saurait dépasser en grandeur cette marche triomphale à travers Paris, du Panthéon à l’Arc de l’Étoile. Aujourd’hui repose pour toujours, dans une sépulture digne de lui, le petit soldat de France tombé « quelque part un jour », sur le front, enterré sans nom le soir qu’il rêvait, peut-être, de son clocher perdu, dans la mélancolie grise des crépuscules de chez nous. Son corps passa au milieu d’une foule inclinée et le cœur des mères, douloureuses, saignait au poignant souvenir d’un cher disparu. Mais la tristesse ne dominait pas. Avec son tact instinctif, la foule parisienne avait compris qu’il s’agissait surtout d’une apothéose. C’était l’anniversaire double d’une grande idée, la République, et d’une grande réalité, la Victoire. Aussi, sans avis, dans du respect, dans de la fierté, accueillait-on le cortège, chacun passant presque à son voisin la consigne : la République victorieuse… Le Poilu… !

Le Petit journal, 12 novembre 1920.

1. Le cœur de Gambetta est transporté au Panthéon pour célébrer le 50e anniversaire de la IIIe République et le rôle de Gambetta dans la guerre contre les Prussiens en 1870.

Tombe du Soldat inconnu britannique

Le 11 novembre 1921, pour le premier anniversaire de l’inhumation du Soldat inconnu, une dalle est déposée sur la tombe du Soldat inconnu dans l’abbaye de Westminster.

Sous cette pierre repose le corps d’un soldat britannique de nom et de grade inconnus ramené de France pour reposer parmi les gloires de ce pays et enterré ici le jour de l’Armistice, le 11 novembre 1920, en présence de Sa Majesté le roi George V, de ses ministres d’État et des chefs de son armée ainsi que d’un large rassemblement de son peuple.

Ainsi sont commémorées les multitudes d’hommes qui, durant la Grande Guerre de 1914-1918, ont donné ce qu’un homme peut donner de plus haut : la vie elle-même pour Dieu, pour le roi et pour le pays, pour ceux qu’ils aimaient, pour leur patrie, pour l’Empire, pour la cause sacrée de la justice et pour la liberté du monde.

On l’enterra parmi les rois, parce qu’il avait bien agi envers Dieu et envers son foyer.