Les E.F.O. de 1880 à 1914

Comment l'empire colonial Français s'étend en Polynésie ?

Avant 1880 : un protectorat

De 1880 à 1914 : la construction d'une colonie

 Déclaration du roi Pomare V , faisant don de ses états à la France, 29 juin 1880

 Nous, POMARE V, Roi des îles de la Société et dépendances,

            Parce que nous apprécions le bon gouvernement que la France a donné aujourd’hui à nos Etats, et parce que nous connaissons les bonnes intentions de la République française à l’ égard de notre peuple et de notre pays dont elle veut augmenter le bonheur et la prospérité.

            Voulant donner au Gouvernement de la République française une preuve éclatante de notre confiance et de notre amitié,

            Déclarons par les présentes, en notre nom personnel et au nom de nos descendants et successeurs,

            Remettre complètement et pour toujours entre les mains de la France le gouvernement et l’administration de nos Etats, comme aussi tous nos droits et pouvoirs sur les îles de la Société et dépendances.

            Nos Etats sont ainsi réunis à la France, mais nous demandons à ce grand pays de continuer à gouverner notre peuple en tenant compte des lois et coutumes tahitiennes.

            Nous demandons aussi de faire juger toutes les petites affaires par nos conseils de district afin d’éviter pour les habitants des déplacements et des frais très onéreux.

            Nous désirons enfin que l’on continue à laisser toutes les affaires relatives aux terres entre les mains des tribunaux indigènes.

            Quant à nous, nous conserverons pour nous-mêmes le titre de roi, et tous les honneurs et préséances attachés à ce titre ; le pavillon tahitien avec le yacht français pourra, quand nous le voudrons, continuer à flotter sur notre palais.

            Nous désirons aussi conserver personnellement le droit de grâce qui nous a été accordé par la loi tahitienne du 28 mars 1866.

            Nous faisons cette déclaration à la famille royale, aux chefs et au peuple, pour qu’elle soit écoutée et respectée.

            Papeete, le 29 juin 1880.

                        Le Roi, POMARE V

Proclamation du Commandant Commissaire de la République en date du 29 juin 1880

  HABITANTS DE TAHITI ET DEPENDANCES,

 S.M. le Roi Pomare V vient de signer l’acte de réunion de tous ses Etats à la France.

            Sa Majesté a reconnu, d’ accord avec nous et avec ses chefs, qu’il était devenu nécessaire, dans l’intérêt de tous, que les deux gouvernements fussent désormais réunis en un seul.

Désormais les deux pays n’en font plus qu’un.

            Cette grande détermination lui a été inspirée par le désir de faire entrer d’ une manière définitive et irrévocable tous les peuples de ses îles dans la grande famille française, et surtout par la conviction profonde que pour se mettre plus rapidement au niveau de la civilisation et du progrès actuels, il est nécessaire de ne plus faire qu’ une seule et même nation avec celle qui, en 1842, a pris Tahiti sous sa protection et n’ a cessé de la guider depuis dans la voie de l’avancement et de la transformation.

            Adressons donc tous nos remerciements les plus sincères à S.M. Pomare V pour cet acte de désintéressement intelligent.

            Le Roi Pomare conserve toujours son titre de Roi, avec tous les honneurs et privilèges attachés à ce titre: le respect et l’ affection dont il sera entouré seront plus grands encore que par le passé.

HABITANTS DE TAHITI ET DEPENDANCES,

 Que de ce jour mémorable date une ère nouvelle de progrès et de prospérité digne de l’époque qui verra s’abaisser la barrière de Panama, qui fera de Tahiti, relâche naturelle de toute la navigation à vapeur transpacifique, le pays le plus beau et le plus fortuné entre tous.

 TAHITIENS,

  Le Roi vous fait remise de l’impôt de la liste civile, qui désormais ne sera plus perçu.

            La France, qui vous aime, vous reconnaît définitivement pour ses véritables enfants ; elle vous donne, son nom, elle vous couvre de son drapeau, elle vous assure qu’elle ne vous abandonnera jamais.

            Le jour de votre réunion définitive à la France complète l’œuvre commencée depuis quarante ans ; il lui permet de compter sur vous comme vous pouvez compter sur elle, et il assure à Tahiti un avenir de progrès, de prospérité et de bonheur.

            Vive la France !

            Vive Tahiti !

 

De 1880 à 1914 : la construction d'une colonie

La 3eme république mène une action décousue dans le Pacifique et la France connait un net recul de son influence (Rapa Nui et les iles Cook échappent à la France) . Hommes politiques et opinion publique se passionnent peu pour l’Océanie : les regards, à cette époque, se portent davantage vers l'Afrique et l'Indochine. C'est dans ce contexte que les E.F.O. sont créés


I La création des Établissements français d'Océanie

De 1880 à 1901, une série d'annexions permet à la Ille République de contrôler un vaste ensemble cohérent, qui lui assure une position privilégiée, surtout dans l'optique du percement du canal de Panama. 

A) L'annexion de Tahiti

Sous le protectorat, les affaires intérieures tahitiennes dépendent de la reine Pomare IV, et les affaires extérieures sont du ressort de la France. En fait, les gouverneurs usent de leur pouvoir, du poids de l'administration coloniale pour déposséder la reine de ses prérogatives. Les lois françaises remplacent peu à peu les coutumes polynésiennes.

(...)Le gouverneur doit faire face à une crise grave : la reine Pomare IV allant chercher refuge sur un navire anglais, et demandant la protection de l'Angleterre. Pour éviter pareille situation, le gouvernement français envisage l'annexion de Tahiti. À la mort de la reine Pomare Vahine IV, le 17 septembre 1877, son fils lui succède sous le titre de Pomare V. Grâce aux pressions exercées à son encontre, le roi finit par céder ses États à la France , le 29 juin 1880. Le président de la République, J. Grévy, ratifie la cession, Tahiti devient une colonie française . (...)

B) Le cas des archipels

En 1880, la France n'est vraiment présente qu'aux îles du Vent. L'archipel des Marquises, possession française depuis 1842, est laissé à l'abandon. L'anarchie y règne. Un corps expéditionnaire de 3 navires, 700 hommes de troupe, 300 volontaires tahitiens, est envoyé pacifier l'archipel, en juin 1880. Toutes les armes sont confisquées, les principaux Chefs déportés. L'archipel des Gambier est alors un petit royaume indépendant, soumis aux missionnaires catholiques. Sous les pressions de l'administration, on signe, le 21 janvier 1881, un traité d'annexion, à condition que les lois de l'archipel (code mangarevien) soient maintenues. En fait, le code est supprimé dès 1887. Aux Tubuai, Où la Nouvelle-Zélande semble vouloir s'implanter, le protectorat est proclamé en 1889. Mais l'annexion n'a lieu qu'en 1900 (Rurutu) et 1901 (Rimatara) L'île de Rapa est devenue française le 14 juin 1887, sous la pression véhémente du gouverneur Lacascade. Les Tuamotu, considérées comme dépendance du royaume Pomare, sont de fait possession française.

C) La guerre des îles sous le vent

Des mouvements de résistance apparaissent dans la prise de la Polynésie par la France. Aux îles Sous-le-Vent, on parle même de guerre d'indépendance. (...)

Les 16, 17 et 18 mars 1888, les iles Sous-le-Vent sont annexées. Mais lorsqu'un navire de guerre français se rend à Huahine, il est accueilli par des coups de feu : la guerre des îles Sous-le-Vent commence . Elle ne prendra fin qu'en 1897.

La France est donc parvenue, à la fin du XIXe siècle, à regrouper cinq archipels polynésiens sous le nom d'Établissements français d'Océanie. Il lui reste maintenant à mettre en valeur ce vaste domaine.

II Les facteurs du développement économique

Pour développer l'économie marchande(...) il faut tout d'abord vaincre les trois obstacles majeurs : la main-d'œuvre, la terre, les moyens de transport.

A) La Main-d'oeuvre

La main-d'œuvre est rare en Polynésie. La crise démographique et le refus du travail salarié expliquent cette situation. Aussi les décrets de 1863 autorisent-ils l'immigration de travailleurs étrangers. (...)on recrute d'abord des habitants de la Mélanésie et de la Micronésie, de 1862 à 1883. (...)une campagne est lancée, le 22 juin 1864, pour recruter des coolies à Hong Kong. Ces Chinois vont travailler au coton, à Atimaono. Puis ils repartent en Chine, à l'exception de 327 d'entre eux (...)

En fait, la colonie ne parvient pas à résoudre efficacement ce grave problème.

B) La terre

La seconde difficulté réside dans la propriété foncière. (...). La crise démographique laisse de vastes domaines en friche. On décide alors d'ignorer les conceptions traditionnelles de propriété foncière coutumière .

Dès le I er octobre 1844, la loi autorise la location de terres à des Européens. En mars 1852, l'administration exige l'enregistrement de toutes les terres (...) Le 7 avril 1867, l'Assemblée législative tahitienne abroge les lois coutumières en matière foncière. Mal conçue, mal exécutée, cette politique aboutit à l'indivision foncière : en dépit de l'introduction du code civil, les Polynésiens refusent la propriété individuelle. Ce sont Surtout les grandes familles demies qui, par ce biais, vont constituer de grands domaines.

C) Les moyens de transport

L'exportation de produits tahitiens est difficile du fait de l'isolement de la colonie et de son morcellement. C'est pourquoi Papeete  vit intensément le passage du voilier au navire à vapeur. En 1850, une dizaine de goélettes desservent Tahiti. Le service interinsulaire est particulièrement actif, disposant de quarante goélettes. (...)

À la fin du XIXe siècle, des liaisons régulières se mettent en place entre les É.F O. et l'extérieur. En 1913, le Saint-Michel est le premier vapeur à desservir le trafic interinsulaire. Les É.F.O. se sont donnés les moyens d'exporter leurs productions.

III Une économie qui se mondialise

A partir de 1860, les Etablissements français d'Océanie, sans abandonner les cultures vivrières, entrent de plain-pied dans l'économie mondiale : la Polynésie exporte des produits tropicaux en échange de biens manufacturés.

A) La balance commerciale

Après une longue période de gestation, Tahiti parvient à exporter davantage qu'elle n'importe, de 1873 à 1890. Après 1900, la colonie vit essentiellement de ses productions. (...) Les exportations sont constituées à 80 % par le coton, les oranges, la vanille, le coprah et la nacre. Sans devenir un grand centre d'exportation de produits tropicaux, Tahiti et les archipels fournissent à l'Europe et à l'Amérique des denrées très appréciées. À la veille de la Première Guerre mondiale, l'économie est florissante.

B) Les principales exportations

Les orangers, importés par James Cook, ont proliféré dans les vallées, au point que toute la population d'un district peut se livrer à la cueillette, sous l'autorité des chefs coutumiers  ; mais c'est avec le coton que commence l'époque des plantations, Introduit par les premiers missionnaires, le coton est relancé par la fondation d'Atimaono  de 1865  jusqu'en 1895. En dépit de la faillite de la Grande Plantation, une importante production est assurée par les micropropriétés des Polynésiens, et les petites exploitations des Européens.

La vanille  succède au coton, en raison des cours plus avantageux. Son succès est rapide et oriente encore davantage les Polynésiens vers les cultures d'exportation. D'une demi-tonne en 1878, la production atteint 100 tonnes en 1902. Mais ces cultures déclinent rapidement, car on épuise les plants par une surproduction. Surtout, on ne regénère pas les plantations.

Le coprah supplante, au tournant du siècle, toutes les autres productions. Les cocoteraies demandent beaucoup de terres, nécessitent un capital important. Sept années sont nécessaires avant la première récolte. Mais la hausse des cours mondiaux fait que, malgré les sécheresses et les cyclones, les exportations augmentent régulièrement.

Enfin, la nacres exploitée aux Gambier puis aux Tuamotu, (document 3) très recherchée pour la boutonnerie, est d'un rendement sûr. Cependant, l'exploitation intensive menace de dépeupler les lagons, à une époque où les phosphates de Makatea, s'ils ouvrent une ère nouvelle, sont encore balbutiants (200 000 tonnes en 1914).


IV Élaboration d'une société pluriethnique

A) L'arrivée des Popa'a

Au XIxe siècle, l'immigration européenne se développe dans les Etablissements français d'Océanie. Le manque de main-d'œuvre conduit à l'introduction de travailleurs océaniens, puis asiatiques. Du fait de l'intégration des nouveaux venus à la société polynésienne, une nouvelle communauté se met en place.

L'immigration européenne revêt des formes très diverses liées à la nationalité des arrivants, leur degré d'instruction, à leur appartenance sociale.

Les premiers colons sont anglosaxons. Ils disposent soit de capitaux, soit d'une certaine culture. C'est aussi le cas des Allemands. En épousant des filles de chefs, ils obtiennent de vastes domaines. Ainsi, ils peuvent contrôler la vie économique polynésienne. On assiste à la formation de la bourgeoisie demie.

Les Français arrivent plus tardivement, lors de la création du protectorat. Le tiers, voire la moitié d'entre eux, proviennent de l'armée ou de la marine, Avant 1900, il n'y a guère que quelques centaines de colons. A côté des marins et soldats, on trouve d'anciens chercheurs d'or de Californie, des ex-bagnards de Nouvelle-Calédonie, et surtout des fonctionnaires passés dans le cadre colonial. Tahiti n'est pas une colonie de peuplement.

Pourtant en 1907, 2 701 Européens sont recensés dans la colonie, soit 22,9 % de la population totale. Le poids économique de cette communauté est important. À l'origine, les colons français, issus de milieux modestes, ne disposent pas de capitaux et sont Souvent analphabètes. Ils n'ont guère les moyens de bâtir de grandes fortunes ! La plupart défrichent une plantations mais se découragent vite. En fait, ils vivent concentrés à Papeete, travaillant pour l'administration ou dans le commerce. Ils gèrent de petites boutiques ou l'un des très nombreux débits de boisson. Quelques ouvriers de l'arsenal créent de petits ateliers qui réussissent fort bien, car les bons artisans sont rares à Tahiti.

En raison de leur faible degré d'instruction, les Français s'intègrent assez facilement en milieu polynésien, la barrière culturelle étant très réduite. En revanche, à Papeete, la communauté française vit repliée sur elle-même. Ainsi, à côté d'une bourgeoisie, peu fournie, urbaine, dominant le milieu politique, on trouve des Européens, vivant selon les mœurs du pays, à la limite de la pauvreté .

B) Les migrations chinoises

Les travailleurs chinois que fit venir W. Stewart en 1864 sont au nombre de 1 018. Jusqu'à la faillite de la plantation, ils vivent en vase clos. Après quoi, le plus grand nombre retourne en Chine ' en 1881, ils ne sont plus que 447 et en 1897, seulement 322, Ceux qui demeurent dans la colonie se tournent vers le commerce, par le biais du colportage. Prenant femme dans la société polynésienne, ils s'intègrent rapidement.

Tout change dans les années 1900 ; en 1906, les Chinois atteignent le chiffre de 516 puis passent à 1 137 en 1911, Les premières Chinoises arrivent en 1907. La communauté qui se forme, avec ses écoles, ses cimetières, son temple, et surtout sa langue, s'isole de plus en plus (do.

Au début du xxe siècle, Polynésiens, Européens, Chinois forment trois communautés qui, en dépit de cultures très différentes, vont se trouver intégrées dans L'élément polynésien dominant, du fait des unions mixtes. La Polynésie devient l'une des régions du monde où le taux de métissage est le plus élevé.

V La vie politique

L'institution du protectorat français, puis l'annexion et la création des Établissements français d'Océanie se traduisent par une perte de pouvoir des chefs polynésiens au profit des colons européens. A travers la presse tahitienne, on retrouve les querelles de clans qui agitent les É.F.O.

A) De l'assemblée tahitienne au conseil général

Conformément à la tradition établie du temps des missionnaires anglais, une assemblée législative tahitienne voit le jour en 1851 Elle regroupe les grands chefs de Tahiti et 25 représentants des Tuamotu. Réunie régulièrement jusqu'en 1866, car elle est un moyen pour l'administration française de contrebalancer le pouvoir de la reine Pomare IV, elle tombe en désuétude. Dans le même temps l'autorité des chefs de district, cadre de vie social, religieux et politique des communautés polynésiennes, est sapée.

La loi du 6 avril 1866 les remplace par des conseils de district. En 1877, on institue des commissions municipales élues, formées d'un chef, de trois conseillers et de cinq sages. L'administration coloniale avantage des hommes acquis à sa cause au détriment des grandes familles traditionnelles. Avec l'annexion, et en dépit des promesses faites, un arrêté permet de nommer les présidents des commissions muncipales. Les chefs de district sont devenus de simples rouages administratifs, rémunérés par l'administration. Ils perdent pouvoir et prestige, pour ne plus être que de simples offlciers d'état civil.

B) Les clans politiques

En 1880, la colonie est dotée d'un organisme consultatif, le conseil colonial. En 1884, il est remplacé par le conseil général. À l'exception de quatre Ou cinq chefs, Ces assemblées sont tout entières contrôlées par les colons français.Deux groupes s'opposent : le parti français et le parti protestant. Le parti français regroupe les colons d'origine métropolitaine, en majorité catholiques, ainsi que les représentants des Marquises et des Tuamotu. Le parti protestant reçoit l'appui de l'Église évangélique, de la communauté étrangère de Papeete et de la population des îles du Vent. En fait, les motifs religieux cachent mal des rivalités de personnes (documents 3 et 4). De plus, la presse locale montre que les deux partis partagent les mêmes thèses : un patriotisme très vif, la volonté de développer la colonie, une haine pour l'administration coloniale accablée de tous les maux.

Devant les outrances de certains journaux, et en raison du climat de tension né dans la colonie, le gouverneur obtient du ministre des Colonies la suppression du Conseil général en 1903. Seul un Conseil d'administration, où siègent trois colons, est autorisé à donner des avis.

C) Une administration coloniale toute puissante

Depuis la création du protectorat, l'administration coloniale n'a cessé de se développer. Le gouverneur est le détenteur officiel de tous les pouvoirs dans la colonie : il est entouré d'un cérémonial très marqué. Il dirige tous les services publics locaux. Il est assisté du directeur de l'Intérieur et du chef du service judiciaire. Dans chaque archipel, un administrateur, le plus Souvent un médecin militaire ou un officier de marine, le représente, aidé de gendarmes, aux fonctions multiples.

Pourtant l'administration coloniale n'est pas cette imposante machine qu'imaginent les colons : absences répétées, manque de personnel, de crédits, limitent son action en bien des domaines. 

D'après Michel Lextreyt  "Terres et civilisations Polynésiennes ed. Nathan 1987