1905 : La loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat

La loi de séparation  des Églises et de l’État :  débats et mise en œuvre

Depuis 1902, la politique anticléricale du gouvernement d’Émile Combes entraîne de vives tensions avec l’Église catholique. En juillet 1904, la République ferme son ambassade auprès du Saint-Siège*, compromettant le maintien du régime concordataire*. Les parlementaires sont alors invités à repenser les relations entre les Églises et l’État. Le projet de loi défendu par Aristide Briand, qui cherche à garantir la liberté de culte plutôt que sa répression, est adopté en décembre 1905, à l’issue d’un débat de huit mois.

Comment la République adopte-t-elle le principe de laïcité ?

« L’Église doit être combattue »

Mais nous, libres penseurs, quelle est la séparation que nous voulons ? Ce ne peut être que celle qui amènera la diminution de la malfaisance de l’Église et des religions (applaudissements ironiques à droite). […] Aussi, qu’est-ce que je demande à la gauche ? Je lui demande […] de décider que l’Église, danger politique et danger social, doit être combattue de toutes les façons, et je m’étonne qu’au moment où nous entreprenons contre l’Église le combat décisif, on nous demande de déposer les armes et d’offrir à l’Église un projet dit libéral, tel qu’elle-même n’aurait jamais osé le souhaiter. […] Mais après l’avoir examiné, j’établirai et je prouverai que ce projet dit libéral n’est en somme qu’un nouveau régime de privilège que l’on nous demande d’instituer en faveur de l’Église (exclamations ironiques à droite). J’établirai et je prouverai qu’il ne présente pas pour la défense de l’État laïque et républicain toutes les garanties désirables […]. Je ne vous dissimule pas que tout mon contre-projet tend à ce que la religion devienne la chose anormale et à ce que l’areligion (avec un a privatif) devienne la chose normale. Je ne vous cache pas que mon contre-projet tend à déchristianiser le pays (vives réclamations à droite). C’est une opinion, j’ai le droit de l’exposer. Je crois, Messieurs, que le christianisme est un obstacle permanent au développement social de la République et à tout progrès vers la civilisation (applaudissements à l’extrême gauche).

Maurice Allard, député socialiste du Var,

Discours à la Chambre des députés,

10 avril 1905.

Une loi « acceptable par l’Église »

La loi que nous avons faite […], c’est bien une loi de liberté qui fera honneur à la République […]. Dans ce pays où des millions de catholiques pratiquent leur religion – les uns par conviction réelle, d’autres par habitude, par tradition de famille –, il était impossible d’envisager une séparation qu’ils ne puissent accepter. Ce mot a paru extraordinaire à beaucoup de républicains, qui se sont émus de nous voir préoccupés de rendre la loi acceptable par l’Église. […]

Outre qu’on ne fait pas une réforme contre une aussi notable portion du pays, je vous demande s’il ne serait pas imprudent de provoquer par des vexations inutiles tant d’autres citoyens, aujourd’hui indifférents en matière religieuse, mais qui demain ne manqueraient pas de se passionner pour l’Église s’ils pouvaient supposer que la loi veut leur faire violence. […]

Eh bien ! Je dis que, telle que nous l’avons conçue, telle que nous l’avons réalisée, laissant aux catholiques, aux protestants, aux israélites ce qui est à eux, leur accordant la jouissance gratuite et indéfinie des églises, leur offrant la pleine liberté d’exercer leurs cultes sans autres limites que le respect de l’ordre public, […] une telle réforme pourra affronter, sans péril pour la République, les critiques de ses adversaires ! La loi que nous aurons faite ainsi sera une loi de bon sens et d’équité, combinant justement les droits des personnes et l’intérêt des Églises avec les intérêts et les droits de l’État, que nous ne pouvions pas méconnaître sans manquer à notre devoir.

Aristide Briand, rapporteur du texte de loi,

Discours à la Chambre des députés, 3 juillet 1905.

La loi du 9 décembre 1905

Titre premier : Principes

Art. 1 – La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.

Art. 2 – La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites aux dits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. […]

Titre II : Attributions des biens ; pensions

Art. 3 – […] Dès la promulgation de la présente loi, il sera procédé par les agents de l’administration des domaines à l’inventaire descriptif et estimatif :

1° des biens mobiliers et immobiliers desdits établissements ;

2° des biens de l’État, des départements et des communes dont les mêmes établissements ont la jouissance. […]

Art. 11 – Les ministres des cultes qui, lors de la promulgation de la présente loi, seront âgés de plus de 60 ans révolus et qui auront, pendant trente ans au moins, rempli des fonctions ecclésiastiques rémunérées par l’État recevront une pension annuelle et viagère égale aux trois quarts de leur traitement. 

Loi de séparation des Églises et de l’État, 9 décembre 1905.