Le Creusot et la famille Schneider

Le Creusot et la famille Schneider

L’aciérie Schneider frères et Cie, fondée en 1836 au Creusot  (Saône-et-Loire) accueille en 1877 le plus grand marteau-pilon  du monde. Spécialisée dans les chemins de fer puis l’armement,  elle est une vitrine de l’industrie française. La dynastie Schneider, bâtie par des alliances avec d’autres grandes familles, incarne  un modèle de gestion à la fois libéral et paternaliste. L’identité  du Creusot est particulièrement marquée par l’histoire de ses travailleurs, de leur quotidien et de leurs luttes. 

En quoi l’entreprise Schneider est-elle représentative  de la grande industrie française ?

Le « royaume du fer »

Maupassant collabore avec le quotidien Gil Blas, dans lequel il publie des contes ou des chroniques comme celle-ci, relatant un voyage au Creusot.

Le ciel est bleu, tout bleu, plein de soleil. Là-bas, devant nous, un nuage s’élève, tout noir, opaque, qui semble monter de la terre, qui obscurcit l’azur clair du jour, un nuage lourd, immobile. C’est la fumée du Creusot. Cent cheminées géantes vomissent dans l’air des serpents de fumée, d’autres moins hautes et haletantes crachent des haleines de vapeur ; tout cela se mêle, s’étend, plane, couvre la ville, emplit les rues, cache le ciel, éteint le soleil. Il fait presque sombre maintenant. Une poussière de charbon voltige, pique les yeux, tache la peau, macule le linge. […] C’est le Creusot. Un bruit sourd et continu fait trembler la terre, un bruit fait de mille bruits, que coupe d’instant en instant un coup formidable, un choc ébranlant la ville entière. Entrons dans l’usine de MM. Schneider. Quelle féerie ! C’est le royaume du Fer, où règne Sa Majesté le Feu ! Du feu ! on en voit partout. Les immenses bâtiments s’alignent à perte de vue, hauts comme des montagnes et pleins jusqu’au faîte1 de machines qui tournent, tombent, remontent, se croisent, s’agitent, ronflent, sifflent, grincent, crient. Et toutes travaillent du feu. […] Les machines voraces mangent ce feu, ce fer éclatant, le broient, le coupent, le scient, l’aplatissent, le filent, le tordent, en font des locomotives, des navires, des canons, mille choses diverses, fines comme des ciselures d’artistes, monstrueuses comme des œuvres de géants, et compliquées, délicates, brutales, puissantes.

G. Maupassant, « Le Creusot », Gil Blas, 28 août 1883.

1 Sommet.

Le témoignage d’un ouvrier

Jules Huret réalise pour le compte du Figaro une longue enquête sur les différents acteurs au sein de l’usine du Creusot. Ici, il interviewe un ouvrier au sujet de ses conditions matérielles d’existence.

– Vous devriez être tranquille puisqu’il y a une caisse de retraites au Creusot ?

– Qu’est-ce que vous voulez ? La retraite, c’est joli, mais il n’y en a pas tant, allez, qui arrivent à soixante ans, avec des métiers pareils. […]

– On n’a pas envie de se révolter un peu, de faire des grèves ? […]

– Ici ? jamais de la vie ! On n’y pense seulement pas. Ce qu’on veut, c’est conserver son ouvrage, et gagner sa journée le plus longtemps possible… C’est plein de mouchards d’abord et gare au premier qui aurait l’air de faire le malin ! Dans le temps ici, il y a eu des réunions socialistes ici… tous les ouvriers qui y ont été ont été balayés ! Pas ensemble mais un à un, pour une raison ou pour une autre. À présent, on se méfie… Et puis on n’y pense pas, voyez-vous, à faire les méchants, ça n’avance jamais à rien, on n’est pas les plus forts, et puis, et puis… conclut-il avec un immense accent de découragement et de lassitude… on est trop fatigués !...

Le Figaro, 10 août 1892, gallica.fr