Venise, une puissance maritime et commerciale

Une compagnie vénitienne dans l’Empire byzantin

L’an du Seigneur 1179 [...], au Rialto, moi, Domenico Sisinulo, du quartier de Santa Giustina, avec mes héritiers, déclare ouvertement à toi, Vitale Voltani, mon neveu, habitant le quartier de Santa Maria Zobenigo et à tes héritiers, que tous les deux, il y a un certain temps, nous avons établi et formé dans l’Empire byzantin, une compagnie1 dans laquelle nous avons investi chacun de nous [...], soit 7 livres d’or en hyperpères2, soit 500 hyperpères d’or [...].

Moi je devais rester à Constantinople et toi à Thèbes ; j’avais à te remettre et t’envoyer le capital de Constantinople à Thèbes par voie de terre ou par les golfes et passages maritimes et toi à moi de la même manière de Thèbes à Constantinople. [...] Et cette compagnie devait être faite entre nous, pour un an à partir de cette date puis aussi longtemps que nos volontés seraient entièrement d’accord. Aussi, moi et mes héritiers, je te promets solennellement à toi et à tes héritiers, que je vous rendrai compte soigneusement et fidèlement du capital qui m’a été envoyé dans l’Empire byzantin, concernant la susdite compagnie ou de tout ce que j’en ai donné, ou de tout ce qui m’en est resté, sans fraude ni artifice.

Document de commerce vénitien, XIe-XIIIe siècle, Turin, 1940.

1. Société commerciale dans laquelle chaque associé apporte un capital : profits et pertes sont partagés entre eux.

2. Monnaie d’or byzantine succédant au nomisma sous les Comnènes, en cours dans les villes italiennes les plus engagées dans le commerce avec Byzance.

Une puissance mal acceptée (1182)

Les privilèges commerciaux octroyés aux XIe et XIIe siècles ont fait des Vénitiens les marchands latins les plus puissants de l’Empire chrétien d’Orient. Les tensions s’accroissent et les populations tolèrent mal leur présence et leur domination commerciale.

L’an du Seigneur 1182 […], au Rialto.

Nous attestons, nous Enrico Vidal de Mazzorbo et Giaccomo Badoer, de la paroisse de Santa Maria Maddalena, que par le passé nous rendant de Corinthe à Constantinople avec la nef de laquelle Domenico di Gregorio était nocher1, alors que nous doublions la Mangana2 sur ordre du Seigneur empereur de Constantinople, une de ses galères vint à notre rencontre et nous prit en otages et […] nous enleva tous nos compagnons qui étaient avec nous sur cette nef, seulement avec les vêtements que nous portions […] et nous conduisit en captivité à Raidestos3, gardant à sa disposition et en son pouvoir toute la cargaison. Nous déclarons cela par témoignage.

– Moi Enrico Vidal j’ai souscrit de ma main.

– Moi Giacomo Badoer j’ai souscrit de ma main.

Document de commerce vénitien, XIe-XIIIe siècle, Turin, 1940.


Les "sociétés de mer"

Pour réduire les risques du grand commerce maritime, les marchands vénitiens forment des « sociétés de mer » ou colleganza. Ces associations unissent un marchand à un homme qui se contente de participer au financement en prenant des parts sur un bateau.

Au nom du seigneur Dieu et de notre sauveur Jésus-Christ, l'an de l'incarnation dudit Rédempteur 1073, au mois d'août, au Rialto, moi, Giovanni Lissado de Luprio, ensemble avec mes héritiers, ai reçu en colleganza de toi, Sevasto, orfèvre, fils de Ser Trudimondo, et de vos héritiers 200 livres. Et moi-même y ai investi 100 livres. Et avec cet avoir nous avons pris deux parts dans le bateau dont est capitaine Gosmiro da Molino. [...].

J'ai promis de faire fructifier tout cet avoir et d'en tirer le plus que je peux. Puis, capital mis à part, nous aurons à partager le profit que le Seigneur peut nous accorder en deux moitiés exactes, sans fraude et sans malhonnêteté. Et tout ce que je peux gagner avec ces biens par ailleurs, je suis obligé de l'investir dans la colle-ganza. Et si tous ces biens sont perdus par suite de la mer ou des hommes et qu'on peut le prouver, ce qu'à Dieu ne plaise, aucune des parties n'a à demander quelque chose l'une à l'autre. [...] Cette colleganza existe entre nous aussi longtemps que nos volontés sont entièrement d'accord.

1. Pilote d’un navire.

2. Promontoir sud de la ville de Constantinople.

3. Ville située non loin de Constantinople sur le rivage de la mer de Marmara.