Des ouvriers et des bourgeois sous le second empire

Les revendications ouvrières en 1864

À son retour de l’Exposition universelle de Londres (1862), Tolain signe avec d’autres ouvriers « le manifeste des 60 ».

Nous dont les enfants passent souvent leurs plus jeunes ans dans le milieu démoralisant et malsain des fabriques, ou dans l’apprentissage, qui n’est guère encore aujourd’hui qu’un état voisin de la domesticité ; nous dont les femmes désertent forcément le foyer pour un travail excessif, contraire à leur nature, et détruisant la famille ; nous qui n’avons pas le droit de nous entendre pour défendre pacifiquement notre salaire, pour nous assurer contre le chômage, nous affirmons que l’égalité écrite dans la loi n’est pas dans les mœurs, et qu’elle est encore à réaliser dans les faits. […] Nous marcherons à la conquête de nos droits, pacifiquement, légalement, mais avec énergie et persistance. Notre affranchissement montrerait bientôt les progrès réalisés dans l’esprit des classes laborieuses, de l’immense multitude qui végète dans ce qu’on appelle le prolétariat.

Manifeste des Soixante, publié dans L’Opinion nationale, 17 février 1864.

La fin du délit de coalition (1864)

J’ai voulu simplement résumer dans quelques formules claires et sommaires les principales conditions auxquelles est désormais soumise la faculté de se coaliser, afin que les patrons et les ouvriers puissent, sans le conseil de personne, juger eux-mêmes de l’étendue de leurs droits et les exercer sans péril. Je compléterai ces premières indications à mesure que la pratique en démontrera l’insuffisance, ce qui, je l’espère, ne sera pas nécessaire, si les coalitions futures conservent le caractère de calme et de dignité paisible qu’elles ont eu récemment à Bordeaux et à Limoges. […] Sans doute [cette loi] doit être complétée, mais elle n’en est pas moins une des meilleures qui aient été faites par le gouvernement actuel, une de celles dont doivent le plus se réjouir ceux qui considèrent l’amélioration du sort des travailleurs comme constituant le but supérieur de la politique. Depuis le commencement de ce siècle, le peuple n’a fait que deux conquêtes : l’une politique, l’autre sociale. La conquête politique, c’est le suffrage universel ; la conquête sociale, c’est le droit de se coaliser.

Émile Ollivier, Commentaire de la loi du 25 mai 1864 sur les coalitions, Marescq aîné, 1864.

L’État impérial face aux ouvriers grévistes (1870)

Le préfet de la Nièvre s’adresse aux ouvriers grévistes de l’usine sidérurgique de Fourchambault.

Les désordres qui, depuis plusieurs jours, affligent votre laborieuse et paisible localité ne sauraient laisser l’autorité indifférente. Tant qu’elle a cru que la grève avait pour objet des réclamations plus ou moins fondées, elle s’est abstenue de toute intervention.

Aujourd’hui, la situation a changé : les atteintes à la fortune particulière et à la propriété de l’État ne sauraient rester impunies. – Le gouvernement veut sincèrement la liberté, mais il la veut pour tous, et l’oppression la plus détestable est celle qui porte atteinte à la liberté du travail. […] – Aucun gouvernement n’a plus fait pour les classes populaires que le gouvernement de l’empereur ; il est décidé à persévérer dans cette voie, mais il ne veut pas souffrir les excitations au mépris de la loi. – Je conjure les ouvriers de reprendre le travail. […] Je les conjure d’éviter tout prétexte à une répression que j’ordonnerais avec chagrin, mais que mon devoir et l’intérêt social ne me permettraient pas de différer, si les tentatives des jours derniers devaient se reproduire.

Le préfet de la Nièvre, Genty, Fourchambault, le 13 avril 1870.