1915 Le génocide arménien

Les Alliés dénoncent  les crimes contre l’humanité  de la Turquie envers  les Arméniens

 À partir de 1915, les Arméniens, populations chrétiennes de l’Empire ottoman, sont systématiquement déportés et massacrés par  le gouvernement turc. Ce plan d’extermination totale fait suite à  de premières persécutions au 19e siècle. Les deux tiers d’entre eux périssent, soit près d’un million et demi de personnes. Le concept  de génocide, qui n’existe pas encore en 1915 s’applique à  cette extermination préméditée et organisée du peuple arménien. 

Pourquoi le massacre des Arméniens par les Turcs en 1915 est-il un génocide ?

Déclaration de la Triple Entente

Depuis un mois environ, la population kurde et turque de l’Arménie procède, de connivence et souvent avec l’aide des autorités ottomanes, à des massacres des Arméniens. De tels massacres ont eu lieu vers la mi-avril, à Erzeroum, Dertchun, Eguine, Akn, Bitlis, Mouch, Sassoun, Zeitoun et dans toute la Cilicie ; les habitants d’une centaine de villages aux environs de Van ont été tous assassinés ; dans la même ville, le quartier arménien est assiégé par les Kurdes. En même temps, à Constantinople, le gouvernement ottoman sévit contre la population arménienne inoffensive. En présence de ces nouveaux crimes de la Turquie contre l’humanité et la civilisation, les gouvernements alliés font savoir publiquement à la Sublime-Porte1 qu’ils tiendront personnellement responsables desdits crimes tous les membres du gouvernement ottoman ainsi que ceux de ses agents qui se trouveraient impliqués dans de pareils massacres.

Déclaration de la Triple Entente tenant pour responsable le gouvernement turc des massacres commis par la Turquie en Arménie, 24 mai 1915.

1. Gouvernement ottoman.

Souvenir d’une survivante du génocide arménien

Fethiye Çetin a reconstitué l’itinéraire de sa grand-mère arménienne, Heranus Gadarian, enlevée à ses parents et confiée à une famille musulmane pour être « turquifiée ».

À Palu, hommes et femmes furent séparés. Les femmes furent parquées dans la cour de l’église. Les hommes restèrent dehors. Après un certain temps, les femmes entendirent des cris d’horreur provenant de l’extérieur. Les murs de la cour étant très hauts, elles ne purent voir ce qui se passait. Mères, grand-mères et enfants se regardaient avec des yeux terrifiés et, tremblants, s’accrochaient les uns aux autres. Heranus et ses frères s’agrippèrent à leur mère, terrifiés. Malgré cette horreur, Heranus ne pouvait pas dominer sa curiosité. Quand elle vit une petite fille monter sur les épaules d’une autre pour voir dehors, elle alla à côté d’elles. La fille qui avait regardé par-dessus le mur redescendit, mais il lui fallut beaucoup de temps pour pouvoir dire ce qu’elle avait vu. Heranus se souviendra des paroles de la petite fille toute sa vie : « Ils coupent la gorge des hommes et les jettent dans la rivière. »

Fethiye Çetin,

Le Livre de ma grand-mère, 2006.

Le récit du génocide

par un journaliste allemand

L’auteur est le correspondant allemand de La Gazette de Cologne dans l’Empire ottoman, alors allié de l’Allemagne.

Le mouvement anti-arménien de grande envergure a commencé assez inopinément en avril 1915. Certains faits arrivés sur le théâtre de la guerre dit caucasien1, faits qu’on ne saurait nier, ont fourni très à propos au gouvernement turc le prétexte pour se ruer d’abord, comme des fauves déchaînés, sur les Arméniens des six « vilayets » orientaux2 ou arméniens proprement dits et de faire table rase d’une façon sanglante, sans aucune distinction entre hommes, femmes et enfants […]. Les premières centaines de milliers de victimes arméniennes en furent le résultat […]. Mais ce ne fut pas tout malheureusement ! Le gouvernement turc est allé plus loin, bien plus loin. Car il visait le peuple arménien tout entier, et non seulement en Arménie, mais partout où il habitait, en Anatolie et dans la capitale […].

En général, les déportés étaient transportés par de longues étapes à pied, mille fois brutalisés et violés en route, jusqu’à la frontière des territoires de population arabe ; et là-bas, dans la montagne aride, sans ressources, sans abris autres que de misérables petites tentes sales et froides, sans vivres, sans la possibilité de gagner un peu leur existence […], ils attendaient la mort lente, mais presque certaine. Mais toujours, sans exception, les hommes furent séparés des femmes et enfants et transportés dans une autre contrée ; ce fut la caractéristique de ce système des déportations qui devaient détruire la racine même de ce peuple, en brisant tous les liens de famille ! Ainsi disparaissait peu à peu une très grande partie du peuple arménien.

Harry Stuermer, Deux ans de guerre à Constantinople, 1917.

1. Allusion au petit nombre d’Arméniens de l’Empire ottoman qui se sont engagés pour combattre avec l’armée russe.

2. Provinces de l’Empire ottoman.