1898 : Fachoda, le choc des impérialismes

Fachoda, le choc  des impérialismes

Depuis la conférence de Berlin en 1885, les Européens ont entrepris de se partager l’Afrique. À l’automne 1898, la mission française Congo-Nil, composée de 150tirailleurs africains et 12 officiers français dirigés par le capitaine Marchand, rencontre l’armée du général britannique Kitchener, venu depuis l’Égypte pour conquérir le Soudan. Les opinions nationales s’enflamment, laissant craindre une guerre franco-britannique. La France finit par se retirer, ouvrant la voie à un rapprochement diplomatique.

Quels sont les enjeux  de cette crise diplomatique impériale ?

Le point de vue de la presse anglaise

On assure que, lorsque le Sirdar1 a rencontré à Fachoda le commandant Marchand, l’entrevue a été des plus courtoises et que les deux officiers ont amicalement dîné ensemble. Il semble malheureusement que cet échange de bons procédés en Afrique ne doive pas être imité en Europe et que la presse anglaise s’efforce d’envenimer la question […]. Le Times, par exemple, a assez cavalièrement traité l’attitude conciliante de la presse française en disant : « Aucun entassement de généralités aimables sur les avantages d’un compromis et de la conciliation ne peut déguiser les faits élémentaires de la situation que créerait la ratification par le gouvernement français des actes du commandant Marchand. Dans la vallée du Nil, il n’y a pas d’élément de compromis. Les Français ne possèdent légalement rien qu’ils puissent nous donner en échange. Les possessions illégales ne peuvent devenir la base d’un arrangement international. » Et tous les journaux anglais adoptant cette thèse déclarent que la France doit évacuer d’abord et qu’on négociera ensuite.

Robert de Caix, « Fachoda et la presse anglaise », Journal des débats politiques et littéraires, 1er octobre 1898.

1. Titre de chef dans les pays orientaux. Il désigne ici lord Kitchener, nommé chef de l’armée d’Égypte.

Le récit du ministre des Affaires étrangères français

« Nous sommes à Fachoda, ai-je dit, et nous ne l’avons pris qu’à la barbarie […]. Nous demander de l’évacuer préalablement à toute discussion, ce serait, au fond, nous adresser un ultimatum. Eh bien ! qui donc, connaissant la France, pourrait douter de sa réponse ? Je puis faire à l’entente entre les deux pays des sacrifices d’intérêt matériel ; dans mes mains, l’honneur national restera intact. » Les ouvertures, assez vagues d’ailleurs, de lord Salisbury1 ne furent relevées que près d’un mois plus tard, dans un entretien que le baron de Courcel2 eut avec le noble lord, le 5 octobre. Pendant ce temps, l’opinion publique, des deux côtés de la Manche, était arrivée au maximum de tension. Les journaux impérialistes incriminaient d’avance, « les finasseries et les défaillances diplomatiques » du vieux lord. En France, le ton de la presse n’était pas plus mesuré […]. Comme lord Salisbury déclinait d’entrer en discussion sur le fond des questions, je lui dis qu’il fallait cependant trouver une issue à la situation actuelle et que l’évacuation de Fachoda, si bruyamment réclamée par les journaux anglais, ne serait pas une issue […]. Il était indispensable que l’évacuation de Fachoda, si elle devait avoir lieu […], fût précédée d’une entente sur son mode d’exécution et sur ses conséquences ; en d’autres termes, il fallait en venir à une délimitation amiable3.

Gabriel Hanotaux, « Fachoda », La Revue des deux mondes, 1909.

1. Premier ministre britannique.

2. Ambassadeur de France à Londres.

3. La crise est réglée par la délimitation des zones d’influence française (Tchad) et anglo-égyptienne (Soudan).