Mon père (Les faits)
Mon père. Claude Laurent, né le trois décembre 1891 à Rutard, commune de Saint-Didier-sur-Rochefort. avait une sœur Marie qui épousa Henri Arnaud de Grand'Ris et qui resta, sa vie durant, dans la ferme paternelle à Rutard, et un frère, Joseph qui s'installa aussi à Rutard, se maria avec Alice Thiolier du Mas de Saint-Didier, devint veuf et se remaria avec Antonia Arnaud sa belle-sœur, mais n'eut pas d'enfant. La famille Arnaud eut quatre enfants : Louis, Yvonne, Marthe et Roger. Louis, cheminot, mourut jeune à Thiers d'une crise cardiaque. Il avait fait la guerre de 39-40 sous les ordres du futur Maréchal de Lattre de Tassigny, alors colonel et au cours de la débâcle, il eut une jambe écrasée sous la chenille d'un char, ce qui lui valut un long séjour à l'hôpital. Marthe, mariée à Jean Faye, un des derniers sabotiers de la région, est morte jeune aussi d'un cancer.
Lorsque la guerre de 1914 éclata, mon père avait 20 ans et terminait son service militaire de trois ans. effectué au 91° régiment d'infanterie à Montbrison puis à La Courtine dans la Creuse. Il fut donc des premiers à subir l'assaut et l'avance ennemie en Lorraine. Au début de la guerre, on se battait à découvert, les fantassins ayant pour arme le fusil Lebel à baïonnette. On n'avait pas encore inventé le camouflage et pour être plus visibles, on portait encore des pantalons rouges. Les Allemands s'étaient emparés de Baccarat sur la Meurthe et avaient installé des mitrailleuses dans le clocher. Ordre vint de les déloger à la baïonnette . Il fallait pour cela franchir un pont sous un tir nourri et c'est là que Claude fut blessé d'une balle au visage et laissé pour mort. Il se réveilla à l'hôpital où il fut fait prisonnier par les Allemands et envoyé en Allemagne au camp d'Erfurt (près de Iéna).
Nous aimions, le soir à la veillée, écouter ses récits et les bons tours qu'ils jouaient à leurs gardiens car, bien entendu, chacun connaît la malice des français et l'épaisseur d'esprit des "boches" comme on les appelait.
Il ne resta pas trop longtemps dans ce camp et fut transféré en tant qu'agriculteur dans une ferme de la région dont il ne garda pas que des mauvais souvenirs. Mais, là aussi, nous disait-il, ils surpassaient et de loin, leurs patrons par leur esprit inventif, leur jouant parfois des tours pendables. Un exemple parmi d'autres: trouvant que depuis quelque temps il y avait beaucoup trop de choux rouges à leur menu, ils feignirent de n'avoir pas compris les ordres et les firent manger par les vaches qui s'en régalèrent.
Quand arriva la fin de la guerre le 11 novembre, 1918, la démobilisation et le retour des prisonniers, il se trouva qu'il avait passé 3 ans au régiment, plus 4 ans et 4 mois prisonnier, soit une bonne partie de sa jeunesse . Il avait 20 ans quand il partit au service militaire et 28 ans quand il revint d'Allemagne... Ma mère Amélia Grange l'avait attendu tout ce temps; le mariage eut lieu en 1919 et il vint habiter Grand'Ris, dans la maison que vous connaissez, presque neuve, puisque construite en 1906.