Un autre progrès important eut lieu chez nous au cours de la même période. Au sortir de la guerre de 1914-1918 les ménagères allaient encore puiser l'eau au puits du village à plus de 150 mètres de chez nous. Mon père donna, là encore, la preuve de ses idées modernes. Le premier du village il fit sa propre adduction d'eau, à grands frais sans doute pour l'époque. II amena cette eau d'une source d'un de nos prés situé à quelques trois cents mètres environ de la maison, à l'aide de tuyaux de plomb enfouis dans une tranchée traversant les propriétés de deux de nos voisins, avec leur autorisation. Mais il se contenta de mettre un robinet sur la cour de la maison et rien à l'intérieur. Ce ne fut que quelques années après la deuxième guerre mondiale que mon frère Joseph installa dans la maison l'eau sur l'évier et une salle de bain. La crise économique de 1929 fut traversée tant bien que mal. Tout se vendait mal; ma mère allait toutes les semaines au marché de Boën-sur-Lignon, le jeudi, quelquefois les samedis à celui de Noirétable, vendre beurre, fromages et œuf, attendant les clients aux emplacements prévus pour ce marché. Le pain de seigle était fabriqué par mon père tous les quinze jours environ et cuit dans le four qu'on chauffait avec des fagots de bois. Cette pratique ne fut abandonnée qu'après la guerre. Pendant quelques années on échangea encore de la farine contre du pain chez le boulanger, puis, comme tout le monde, l'argent se faisant moins rare, on acheta son pain blanc. Lors des restrictions et des tickets de pain, pendant la guerre, alors que les Allemands - appelés les doryphores- réquisitionnaient presque tout, on alla, de nuit, en empruntant les chemins de traverse, jusqu'au moulin de Casimir à La Côte-en-Couzan, échanger du seigle contre de la farine, ce qui fait que malgré le rationnement, le pain ne manqua pour ainsi dire pas.