et que, subrepticement, j’ai ouvert la porte au petit chat venu se blottir près de moi et qui ronronne lui aussi sous l’édredon. L’écrémeuse centrifuge à main, que je viens de mentionner est un progrès récent. Elle a été achetée à « Manufrance ». Avant elle, l’écrémage incomplet se faisait à la cuillère après avoir laisser les biches à lait reposer une nuit dans l’eau froide. L’écrémage à la main avait cependant l’avantage de laisser du petit-lait encore crémeux avec lequel on faisait des fromages excellents.
Les naissances successives de mes frères et sœurs ayant été assez rapprochées, ma mère ne pouvait faire face à tout le travail: le soin du bétail, la traite des vaches, des chèvres, la basse-cour, les cochons, sans compter, les beaux jours venus, l'aide à apporter aux champs pour différents travaux, les foins, les moissons, les pommes de terre à ramasser et garder les vaches au pré deux fois par jour. Elle prit donc une "bonne": la Baptistine de la Goutte dont je garde un souvenir peu agréable à cause d'un incident, mineur en soi, mais cuisant pour mon orgueil de gamin.
Je devais avoir quatre ou cinq ans. En jouant à cache-cache je m'étais blotti au fond d'une cabane à lapins vide dans la cour. Voilà que bientôt, ma mère, inquiète de ne plus me voir, sort de la cuisine en criant mon prénom, suivie par la bonne. Effrayé par ce tapage, au lieu de me montrer aussitôt, je reste bien caché, tandis que toute la tribu ameute le village entier, fouillant tous les recoins, les granges, les écuries et même les abreuvoirs, affolée à l'idée de me découvrir peut-être trépassé. Bref, bientôt plus personne en face de la cabane à lapins; j'en profite pour sortir et me montrer innocemment. Qu'avais je fait?... On me saisit à bras le corps et, c'est un comble, qui croyez-vous qui fut chargé de m'administrer une fessée en bonne et due forme, culotte baissée - non pas ma mère, c'eut été moins humiliant - mais la Baptistine, elle-même, avec tout le courage dont elle était capable. Honte à moi devant tout le monde!