Au cours de ma cinquième année on me mit à l'école chez les sœurs au bourg de Saint-Didier, école dirigée par une sœur Saint-Joseph en civil, Mademoiselle Marie, depuis la loi de séparation de l'église et de l'état en 1905. Tous les jours, ou presque, 2 km 500 à parcourir en sabots, matin et soir.
Dans les années trente, nous étions ainsi une bonne douzaine du hameau de Grand'Ris à "faire les chemins", comme on disait alors, pressés le matin pour ne pas arriver en retard, un peu moins le soir pour rentrer à la maison. Les hivers, plus neigeux que maintenant, me semble-t-il, nous guettions au réveil la couche de neige tombée pendant la nuit. Si elle s'avérait trop importante -largement au dessus des chevilles, nous avions quelque chance qu'on nous laissât à la maison. Sinon, en route dans la neige, en espérant que l'auto de la poste(*1) qui descendait le courrier à Saint-Thurin ait fait la trace que nous suivions les uns derrière les autres ou que nous prenions plaisir à éviter, quittes à arriver les pieds trempés à l'école. Quelquefois, les plus malins proposaient de "faire son portrait" dans la couche blanche que n'avait encore souillée aucune trace. Bien entendu, il s'agissait de faire s'allonger dans la neige le plus naïf ou la plus naïve et ensuite de le bombarder de boules de neige. Le soir, au retour, les amusements ou tours pendables ne manquaient pas, qu'il s'agisse, au départ du bourg, d'une bataille rangée entre gamins du Grand-Vernet et ceux de Grand'Ris, ou de prendre les devants, se cacher dans les pins, se déguiser avec de vieux sacs d'engrais et faire peur aux filles qui arrivaient peu après.Une de ces dernières plaisanteries faillit d'ailleurs mal tourner, les filles étant arrivées à la maison essoufflées et complètement affolées et ayant raconté aux parents qu'elles avaient été attaquées par des bandits ... lesquels se présentèrent quelques minutes après, décontractés, jurant leurs grands dieux qu'ils n'avaient rien vu... Ah! ces filles, quelles poltronnes! ça voit des bandits partout!
*1 Toto Charlat a assuré plus tard ce service en même temps que taxi et corbillard.