A Véronique, Didier et Marie, Marie Claude, dont la carte m’a inspiré ce texte
A tous,
« Souvenirs d’enfance revisités »
Chaque année, alors que les vacances d’été s’épuisaient dans les derniers jours d’été précédant la rentrée des classes, une vague d’excitation s’abattait sur la troupe des enfants, comme conditionnés par d’imperceptibles signes extérieurs annonçant l’arrivée d’un évènement attendu de tous , la vogue de notre village : les petits entendaient leurs grands frères ou grandes sœurs se faire par avance le film de leurs futurs exploits au bal , ou sur la piste des autos temponantes, eux-mêmes n’étant pas en reste pour choisir l’animal ou le véhicule qui les emmèneraient à la conquête du pompon rouge, Graal suspendu de ces Fangio ou Indiana Jones en herbe.
Tout commençait par la vision sur les murs de notre école des affiches aux lettres noires sur fond rouge carmin ou jaune fluo, avec leurs lettres majuscules écrasant les petites minuscules, invitant les habitants du canton à se joindre à la fête de chacun des villages selon un ordonnancement calendaire bien établi, qui faisait partie des conventions historiques que chaque génération reprenait et reprend encore aujourd’hui : Saint Thurin, vogue le 8 août, bal musette et tournoi de boules, tir au gamelles ! Noirétable, 15 août, bal, forcément grand s’agissant du chef lieu de canton, tournoi de football, défilés de char à partir de 15H Précises ! Saint Didier sur Rochefort, 25 août, vogue de la saint Barthélemy, nombreuses attractions bal sous chapiteau ouvert avec le groupe « Gones Rocks »….
Dès le mercredi précédant la fête, nous n’avions de cesse que d’aller au devant de la caravane des attractions qui lentement, impressionnante de force et de bruit monterait par la route en lacets qui relie la route nationale au bourg du village. Nous descendions à sa rencontre en passant devant le cimetière sans crainte de troubler la quiétude des lieux, ne faisant sans doute que reproduire ce que des générations en reposance éternelle n’ont pas manqué d’initier. Au premier virage en angle droit , bien dans l’axe de la ligne droite nous organisions notre tribune, les vélos et trottinettes couchés à nos pieds, aucune minute ne pouvant être perdue pour commencer l’attente. Avant même que le premier camion n’apparaisse à nos yeux, chacun y allait de son tiercé gagnant , puis petit à petit, le silence tombait, chacun étant dans son monde, l’un s’envolant dans le panache noir du camion diésel qui tirait le lourd tapis de fer du manège des auto tamponantes, l’autre commençant déjà à décharger les pièces de ce mécano géant, l’autre déjà bercé par les inévitables refrains des chanteurs à la mode qui accompagneraient ses exploits par les vertus conjuguées de l’électrophone Tepaz de la caisse et les disques vinyles noirs 45 tours : si j’avais un marteau, biche Oh ma biche, et j’entends siffler le train, vous les garçons et les filles, les portes du pénitenciers, I’m going back in Massassuchets, j’ai encore rêver d’elle….
Puis venait le moment des rites d’initiés : à l’image des indiens dont on connaissait parfaitement les pratiques à travers les films historiques de cow boys et indiens que nous allions voir sur un des rares téléviseurs du village, installé dans une salle de la cure, les grands se levaient, descendaient jusqu’à la route, se mettaient tous à genoux face à la route montante et baissant la tête comme pour se prosterner, collaient une oreille au macadam, sûrs de pouvoir dire haut et fort : ils arrivent !
.Notre joie s’extériorisait et pour raccourcir le temps, nous courions pour saluer les équipages qui, autant qu’il m’en souvienne , gardaient leur mine concentré donnant encore plus de solennité à l’instant que nous vivions : allons les enfants, amuser le monde, c’est du sérieux !.
La suite nous plongeait dans l’émerveillement et nous faisait fondre d’admiration : le maire du village, charpentier de métier remontait le bal en bois, jouant avec des pièces méthodiquement posées, comme extraites d’un boîte de puzzle dont aucune pièce ne serait jamais perdue ; les gens du manège, costauds, tatoués venus de nulle part , bronzés, torses nus, descendant depuis la gueule ouverte de la remorque du camion avec leur diable à roulettes les lourdes plaques brillantes qui composaient le tapis sur lequel les voitures multicolores allaient tourner comme des poissons dans leur aquarium se heurtant à une paroi invisible ; le montage du manège des chevaux de bois, donnant l’illusion d’observer un papillon déployant ses ailes qui se transformaient comme par magie en plateau circulaire rouge rayé de cercles concentriques tracés par le passage des roues des tanks, cars et autres formules 1 dans lesquels les garçons se disputeraient leurs places, ou des carrosses rose pastel qui emmèneraient les filles et leurs petits amoureux , pour de courtes odyssées.
C’était cela la magie de la vogue, que certains prolongeaient même lorsque les artistes saltimbanques étaient partis semer leur rêves sur d’autres places de villages et alimenter le grenier à souvenirs : pour moi, j’entretenais la fête en construisant mon manège avec ses cales, ses poutres, son parquet fait de portes usagées, son toit de couvertures de lits tendues avec des pinces à linge. 50 ans après , que reste-t-il ? le meilleur, c'est-à-dire la réalité revue et corrigée pour ne conserver que la part poétique du souvenir qui alimente la nostalgie et nous construit à travers le regard des autres.
Affectueusement,
Daniel