Les Noces chimiques 5

LES NOCES CHIMIQUES DE CHRISTIAN ROSENCREUTZ

Alchimie et ésotérisme, livre de la science d’Hermès des Noces Chymiques : 1.2

- Soudain le vent vint à souffler avec tant de violence qu’il me sembla que la montagne dans laquelle ma demeure était creusée, s’écroulerait sous la rafale. Cependant, comme cette tentative du diable, qui m’a accablé de bien des peines, resta sans succès, je repris courage et persévérai dans ma méditation. Tout à coup je me sens touché au dos ; j’en fus si effrayé que je n’osai me retourner ; quoiqu’en même temps j’en ressentisse une joie comme la faiblesse humaine n’en peut connaître que dans de semblables circonstances.

Commentaires :

Ce vent qui souffle avec tant de violence, qui peut faire trembler cette « montagne », n’est-il pas de même nature analogique et symbolique que cette « montagne » ?…

Ce vent qui souffle avec tant de violence c'est celui de l'esprit, et cette montagne est le symbole universel de la Connaissance. Notons que notre héros n'est pas sur le sommet de la montagne, mais bien dans une caverne au creux de la montagne. Ici le terme de cavernicole se trouve parfaitement approprié pour désigner l'ignorance du profane. La peur qu'il éprouve à simplement entendre le souffle de l'esprit, étant pour lui si puissant qu'il l'assimile à une violence, et ce, compte tenu des disproportions qu'il y a entre ce qu'il est au fond de sa grotte caverneuse, et l'amplitude grandiose du souffle de l'esprit qu'il ne ressent pas encore directement, mais qu'il ne fait que percevoir indirectement. Comme tous les ignorants qui sont confrontés à ce qui les dépasse, la première réaction est une réaction craintive, et comme la pensée qui perçoit cet évènement ne peut pas être juste, pour cause d'ignorance à la teinte si sombre, alors elle comble ses vides par des fantasmes délirants et ténébreux.

Nous pouvons légitimement nous interroger sur : que vient faire le diable dans cette galère ?

La tentative du diable est celle consistant, lorsque le vent de l’esprit vient à souffler, à faire peur à notre héros ; preuve s’il en était besoin qu’il n’est pas un initié bien avancé dans la voie lorsqu'il éprouve cette émotion de très basse intensité. Et cette peur, redoutable gardien des portes de l’entrée du Temple de la Sapience, est forcément le féroce dragon qui domine ceux étant sous la gouvernance du Destin ; domaine de l’attraction des désirs et des passions de l’ego, propre à celui que l'on appelle familièrement le « diable » dans la tradition populaire, ou Nahash l'attracteur cupide dans l'enseignement des Tables de la Loi du Sépher de Moïse. Donc, ici nous devons considérer que le « diable » est le signe d’un état d’ignorance dans lequel notre héros est installé, à l'image de sa demeure caverneuse, égotique et matérialiste (la montagne qui l’écrase de tout son poids), et que ce dernier (le diable) qui ne souhaite pas voir sa brebis s’égarer du troupeau en sortant de sa sphère d'influence, assure sa domination en manifestant une peur (de la nouveauté) qui ne peut que dissuader cette brebis craintive à sortir de cet asservissement qu’elle finit par trouver sécurisante, malgré les contraintes du berger et les morsures des chiens de garde, même si cette protection se fait au prix de l'aliénation de son libre arbitre…

Ce conte mystique des Noces Chimiques est l'exemple type de la Sapience d'Hermès avec son puissant langage hermétique et sa loi des analogues. Derrière l'apparente simplicité de la narration, se dissimulent, comme c'est la loi du genre, une extrême profondeur ésotérique et une parfaite connaissance spirituelle. L'intensité de l'effort qui est ici demandé au lecteur, pour en saisir le sens ultime, concourt à activer chez ce dernier ses facultés spirituelles supérieures. Enfin pour ceux qui s'attelleront sérieusement à la tâche, car pour les autres le coffre aux richesses restera hermétiquement clos. Toujours selon le principe universel qui veut que chacun reçoive selon ses mérites.

Lorsque malgré tout notre héros reprend courage, il manifeste la qualité essentielle à la poursuite de son initiation vers les lumières de la Divine Providence, par l’expression de sa volonté, notamment par la domination de sa peur, ce qui fait nécessairement appel à la Vertu cardinale qu'est la Force, et à son libre arbitre. Et c’est grâce à l'activation de ces facultés que son esprit peut enfin se tourner vers la Providence ; car à l’inverse du Destin, qui pour obtenir une soumission servile, cultive paresse et indolence, il faut à celui souhaitant cultiver les Vertus, qu'il commence par la première de toute : La Force ; cette Vertu est celle lui permettant de ne plus fuir devant la peur, mais d'y faire face avec courage. Ce courage le rendant à nouveau maître de sa volonté, le Roi reprend ici le sceptre de son pouvoir qu'est cette volonté, au lieu de se laisser détourner par des illusions fantasmagoriques, il peut ainsi poursuivre sa méditation.

Si vous avez encore un peu en mémoire les précédents articles du Grand Œuvre d'Hermès Trismégiste, vous ne pouvez pas manquer de relier ici la nécessité d'une pensée juste, comme il a déjà été traité, avec la poursuite de la méditation. Ceci confirme, s'il en était besoin, que les grands enseignements mystiques et ésotériques sérieux reposent sur des paramètres quasiment universels. Relevons toutefois une subtile nuance dans l'information que nous communique Jean-Valentin Andreæ ; une pensée juste est du domaine de l’infiniment subtil, comme la volute d'une fumée d'encens qui est nécessairement rendu impur par la basse intensité et l'air pesant d'une émotion, qui, comme toutes les émotions que peuvent générer les cinq sens de l'animal humain, ne sont pas de l'ordre du subtil mais de l’épais, ni de celui des Vertus, mais des Vices. La peur n'est pas une Vertu, elle est par la faiblesse qui lui donne naissance, la compagne licencieuse du Vice, et sa face est toujours monstrueuse.

L'indication que nous donne cet extrait est aussi d'une importance considérable et révèle que leur ou leurs auteurs étaient de très grands initiés. En effet, le caractère spécifique de la sphère temporelle et de ses perceptions de l'appareil organique est celui de l'émotion. L'émotion, contrairement à ce que pense la majorité des profanes, n'est pas une vertu, surtout lorsqu'elle est livrée à elle-même. C'est pour cette raison que cet état émotionnel est si justement placé sous l'autorité du « diable ». La peur qui est une des émotions parmi les plus prégnantes. Cette peur, comme toutes les autres émotions, stupéfie, paralyse, provoque des changements métaboliques, fait perdre le contrôle de son intelligence, livre l'intellect aux réactions instinctives et souvent irrationnelles. Cette atmosphère viciée des émotions est bien celle que l'on retrouve dans un environnement confiné comme celui de cette demeure creusé au sein de la Montagne. L'émotion est nécessairement un état d'asservissement aux puissances extérieures ayant cette fonction et les pouvoirs pour y parvenir. Cet asservissement est le caractère que manifestent les lois de causalité du Destin. L'effet est soumis à la cause, et cette cause n'est pas sous le contrôle de celui qui subit l'effet. Ces causes indépendantes de la volonté de la victime, est ce qu'on retrouve dans toutes les traditions sous le vocable de « démon » plus ou moins grand.

Sortir de la caverne, afin de parvenir à entreprendre l'escalade de la Montagne (Connaissance), implique de sortir de l'asservissement de ces petits démons émotionnels, pour accéder à l'état supérieur compatible avec cette évolution et qui est le Mental.

Il est touché au dos, dit la suite de l'extrait du texte qui sert à cette étude ; nouvelle indication qui nous informe qu'il n’est pas tourné dans le bon sens de l’évolution, car il lui tourne le dos… Et bien qu’il soit effrayé d’avoir à se remettre en question — comme j'ai eu l'occasion d'expliquer les raisons qui justifient cet effroi à la fin de l'article sur la Loi de Maât —, l’attrait de la Providence et la promesse des lumières à venir, est pressenti par notre héros comme une joie (ici entre en ligne de compte la Foi sans laquelle il n'est pas possible de sortir des limites du raisonnement purement intellectuel). Joie que procure ce sentiment naissant de force qu’il éprouve par la domination de ses propres faiblesses, une des premières attributions des pouvoirs de Haute Magie provenant de ce fameux sceptre qui fait de celui capable de s'en saisir, un Roi, le Roi de son propre royaume.

Les trois indications que nous donne ce passage sont, que notre héros est encore sous domination du Destin qui s’exerce toujours par des émotions de basse intensité comme la peur ; qu’il tourne encore le dos à la Providence (évolution), et qu’il commence, par l"éveil de sa Conscience, à faire preuve de vertu en cultivant la Force de vaincre sa peur par l'activation de sa volonté et de son libre arbitre.

Ceci confirme bien que nous sommes au tout début de l’œuvre alchimique, qui commence dans Aries comme nous l’indique entre autres, ce bon bénédictin de Dom Antoine-Joseph Pernety :

Toutes les fois que la pierre changera de couleur, vous augmenterez le feu peu à peu, jusqu'à ce que tout demeure fixe dans le fond. Le même.

Notre feu est minéral et égal ; il est continuel ; il ne s'élève point en vapeurs à moins qu'on ne l'excite trop ; il participe du soufre ; il se prend d'ailleurs que de la matière ; il dissout tout, détruit, congèle, câline ; et ce feu, avec un feu doux, achève l'œuvre. Pontanus. Le Trévisan dit la même chose en mêmes termes.

Le feu du premier degré est semblable à celui de la poule qui couve ses œufs pour faire éclore des poussins, ou comme la chaleur naturelle qui digère la nourriture pour la tourner en substance des corps, ou comme celle du fumier, ou enfin comme celle du Soleil dans Aries. C'est pourquoi quelques Philosophes ont dit qu'il fallait commencer l'œuvre le Soleil étant dans ce signe, et la lune dans celui du Taureau.

Vous constaterez que le premier extrait des Noces Chimiques nous indique que le début de l'histoire se fait : quelque temps avant Pâques, c'est-à-dire dans le signe zodiacal du Bélier, et cette référence astrale n'est pas, dans ce traité d'alchimie spirituelle, un hasard puisque, dans ce même extrait, il est encore indiqué : avec l'aide de mon agneau de Pâques bien-aimé...

Pâques est dans le signe du Bélier (Aries).

Enfin pour en terminer provisoirement sur le présent extrait qui nous sert d'étude, qu'il me soit permis de signaler que celui qui utilise très habituellement sa faculté volitive et son libre arbitre, s'il en éprouve de la satisfaction, n'en est pas pour autant la grande joie de notre héros. Cette joie lui vient de la découverte de la puissance que lui donne cette Vertu cardinale qu'est la Force, mais aussi des pouvoirs, dont la portée véritablement magique échappe à l'entendement d'un profane ignorant, et que lui confère l'activation consciente de sa volonté et de son libre arbitre.

Pouvoir redoutable, car une Vertu seule devient rapidement un Vice, et la Force rapidement de la violence ou de la tyrannie. Comme le dit ce vieil adage populaire, la roche Tarpéienne est toujours proche du Capitole, mais nous aurons l'occasion d'en reparler.

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