La Chrysopée analyse 7

De ces Quatre Éléments, l’Alchymiste sait tirer deux Principes respectivement mâle et femelle, et un troisième Principe, neutre. Ce sont là le Soufre des Philosophes, le Sel des Philosophes et le Mercure des Philosophes. Ainsi donc, par une Opération simple et salutaire, nous disent les Maîtres, les Quatre sont réduits à trois.

Mais Soufre, Mercure et Sel des Philosophes ne constituent qu’un aspect intermédiaire de l’évolution de nos Éléments. De leur série, naît une nouvelle, composée de deux Principes, supérieurs à tous les autres. Ce sont le Soufre des Sages, et le Mercure des Sages. Voici donc en réalité nos deux suprêmes Arcanes de l’Art. Et c’est de leur copulation finale que naîtra enfin la Chrysopée.

Dans le premier alinéa de l'extrait qui sert d'étude au présent article, Raymond Lulle nous parle d'un processus de retour à l'homogène en partant de l'hétérogène. Les Quatre Éléments sont bien évidemment à considérer dans le sens le plus occulte qui soit, ce que j'ai déjà amplement traité dans différents articles du Grand-Oeuvre d'Hermès Trismégiste. Le Feu, l'Air, l’Eau et la Terre se départagent selon deux catégories, (deux polarisations distinctes) mâle et femelle. Le Feu et l'Air seront l'aspect mâle, l'Eau et la Terre seront l'aspect femelle ; le troisième, selon l'analogie des contraires que pratique tout adepte de la Science Hermétique, sera cet androgyne neutre. La nouvelle distinction que produit la réintégration du quatre en trois, se traduit par de nouvelles compositions ayant des propriétés spécifiques et différentes de celles d'une division quaternaire. Cette remontée vers l'homogène doit aussi se concevoir comme un changement d'état et comme un changement de plan. Les Quatre Éléments étant ceux qui s'expriment dans leurs diversités sur le plan de la plus dense manifestation, celle de la sphère minérale, végétale et organique. Leur réduction en Ternaire est un recentrage de la Conscience sur son point de focalisation des puissances supérieures.

Le Soufre des philosophes doit être entendu selon les correspondances du langage analogique qui pratique la similitude sans que cela soit rigoureusement identique. Dans son remarquable dictionnaire Mytho-Hermétique, Dom Antoine-Joseph Pernety nous donne les subtiles indications suivantes :

SOUFRE. (Sc. herm.} Lorsque les Philosophes parlent de leur soufre, il ne faut pas s'imaginer qu'ils parlent du soufre commun dont on fait la poudre à canon et les allumettes, ni aucun autre soufre séparé et distinct de leur mercure. Quoiqu'ils disent qu'il faut prendre un soufre, un sel et un mercure, ces trois choses se trouvent à la vérité dans leur matière, mais elles n'y sont pas sensiblement distinctes. Leur soufre est artificiel, leur mercure l'est aussi, et l'art manifeste leur sel. Mais tout cela ne fait qu'une chose qui les renferme toutes trois. Philalèthe.

Lorsqu'ils disent en général notre soufre, on doit les entendre de leur pierre au blanc ou au rouge ; dans ce cas ils les distinguent par la couleur. Leur rouge est leur minière du feu céleste, dit d'Espagnet, leur ferment, le principe actif de l'œuvre, dont le mercure est le principe passif. Ce n'est pas que le mercure n'agisse aussi, puis » qu'il a un feu interne, et que partout où il y a feu, il y a action ; mais on le compare à la femelle, qui dans la génération est censée passive.

Les Philosophes ont donné à ce soufre une infinité de noms, qui conviennent tous à ce qui est mâle, ou fait l'office de mâle dans la génération naturelle. C'est leur or, qui n'est point actuellement or, mais qui l'est en puissance.

Le soufre des Philosophes, selon la remontée que nous fait faire Raymond Lulle, contient l'élément igné spécifique au principe mâle ainsi que l'élément aérien qui résulte de la manifestation du Feu. Le soufre n'est donc pas placé en première place de façon aléatoire, mais dans le respect strict de son positionnement dans une hiérarchie des puissances principes. En changeant de plan et d'état, le Feu n'est plus ce qui se manifeste dans la sphère des Quatre Éléments, mais une Force cosmique fécondante de laquelle tout provient, et assimilable à la semence masculine, que nous retrouverons dans la partie la plus dense de la manifestation sous l'aspect du feu de Kundalini.

Le Sel des Philosophes est symboliquement une belle analogie avec le principe femelle, la nature humide et fécondante, donnant forme au germe qu'elle reçoit. Le Sel représente aussi la cristallisation de la lumière issue du Soufre et se traduisant par une forme, ceci nous renvoie aux pensées-formes évoquées dans de précédents articles. Dom Antoine-Joseph Pernety nous donne pour le Sel la définition hermétique suivante :

Sel. Substance composée de peu de terre sulfureuse et de beaucoup d'eau mercurielle. Les Chymistes

entendent par sel la matière substantielle de corps ; dont le soufre est la forme.

On compte en général trois sortes de sels principaux, le nitreux, le marin et le vitriolique;

quelques-uns y ajoutent le tartareux. Le marin passe pour être le principe des autres.

De ce sel volatilisé se forme le nitre, du nitre le tartre, et du tartre cuit et digéré le vitriol.

Ils partagent encore les sels en trois classes, qu'ils appellent sel volatil, sel moyen et sel fixe.

Le premier ou le volatil mêlé avec le soufre volatil, est proprement le mercure, ou le principe

des odeurs, des couleurs et des saveurs : le sel moyen qui en est la base, avec le sel fixe,

qu'ils appellent proprement corps : de manière que le soufre et le sel fixe sont comme dans un tableau

vrai coloris, ou la dernière main d'un tableau.

sel. Terre feuillée des Sages, ou pierre au blanc, qui est en effet un sel, mais le premier être de tous les sels,

sans être tiré d'aucun sel particulier, comme nitre, alun, vitriol, etc.

Le Sel des Philosophes est donc associé par Raymond Lulle à l'aspect femelle, la nature humide, et la concrétisation de la forme lorsque la pensée se matérialise et prend corps. La compréhension subtile et analogique des figures de l'alchimie est d'une rigueur presque mathématique, elle permet à ceux qui en font les efforts, de passer du tangible à l'intangible sans pour autant délirer. Le phénomène que nous révèle la perception intuitive de cet enseignement, est celui d'un élargissement considérable de la Conscience par élévation du champ de Connaissance. En effet, si l'intellect raisonneur, dans son fonctionnement organique, ne peut se passer des repères des lois de la causalité, l'utilisation de ces critères devient parfaitement inopérante lorsque l'état de Conscience change, lorsqu'il sort de la sphère temporelle pour entrer dans l'Éternel Moment Présent. Ce qui a cours en bas selon le mécanisme de la logique du quaternaire, n'a plus cours en haut que selon les principes intangibles et intemporels et non leurs manifestations tangibles. Comment garder le contrôle de sa Conscience et de sa faculté volitive si l'on est incapable de traduire des phénomènes en apparence fort différents, alors qu'il sont similaires au niveau des principes . Ce serait un peu comme arriver dans un pays inconnu, aux moeurs, usages et coutumes totalement différents de ceux avec lesquels le voyageur est familiarisé, et qui en plus ne connaîtrait pas la langue de ce nouveau pays. À l'inverse, le voyageur connaissant cette langue, en plus de sa langue maternelle, sera en mesure d'établir certaines correspondances entre son pays d'origine et celui qu'il visite, sans pour autant tomber dans l'illusion d'une stricte identité entre les deux. Il sera capable de comprendre qu'au travers de manifestations très différentes et inhabituelles pour lui, il s'agit en réalité de la pratique de fonctions universelles propres à l'archétype de l'espèce.

La compréhension et la traduction d'une langue dans une autre ne procèdent pas autrement. Peu importe la convention vocale utilisée, sa traduction dans une autre langue sera possible par le truchement du principe universel qu'elle désigne. Les conventions vocales pour désigner l'acte de manger sont multiples et infinies, le principe et la fonction conservent leurs caractères universels que par extension sur les plans supérieurs, nous traduirons par absorption de nourritures spirituelles. Dans les textes des sarcophages et des pyramides de l'ancienne Égypte, une place importante est réservée aux invocations concernant l'approvisionnement en nourriture de l'Osiris N, dans le royaume des morts. Ces nourritures symbolisées par des aliments terrestres, ne sont que des analogies que l'initié devait traduire en nourritures spirituelles.

Le Mercure des Philosophes sera ce Principe neutre évoqué dans l'extrait en exergue de cette étude. La voie du milieu résulte toujours de l'analogie des contraires (mâle et femelle), c'est par cette synthèse qu'il est possible de s'approcher le plus qu'il soit possible de l'Universel. Le principe du ternaire, déclinaison du Ternaire Divin du point de Genèse de l'Éternel Moment Présent, se retrouve dans toutes les manifestations. Comme l'a si bien exposé Fabre d'Olivet, les trois Puissances de la Divine Création sont la Providence, la Conscience et le Destin. Si la Providence est Soufre et le Destin Sel, la Conscience sera Mercure, et l'analogie avec le liquide métallique est à considérer selon l'aspect similitude et non-identité. Dom Antoine-Joseph Pernety nous donne les informations clés qui permettront de saisir le sens subtil de ce Mercure :

Le mercure des Philosophes ne se trouve point sur la terre des vivants, c'est-à-dire, tout préparé. Mais il se tire de la terre même des vivants, et de la terre vierge qui est au centre, et dans l'intérieur de cette terre des vivants ; et cela, par un artifice ingénieux, très simple, mais seulement connu des Sages. Le Cosmopolite dit que cela se fait par le moyen de leur acier, et le Philalèthe par leur aimant.

MERCURE, a qui le vieillard veut couper les pieds avec sa faux, est un emblème qu'Abraham Juif a employé pour signifier la fixation du mercure des Sages, et non pour signifier la matière, comme le pensent presque tous les faux Adeptes. Le mercure est volatil, et ne sert de rien s'il n'est fixé au blanc ou au rouge. Abraham a représenté un Vieillard, pour signifier la longueur du temps nécessaire pour cette opération.

Mercure. Fils de Jupiter et de Maïa naquit sur le mont Cyllene dans l'Arcadie; Junon oublia sa jalousie à l'égard de ce fils de Jupiter ; elle prit même tant d'intérêt à sa conservation, qu'elle se chargea de le nourrir de son lait. D'autres pensent que ce fut Ops.

Mercure était presque encore au berceau, qu'il montra son penchant pour le vol. Étant entré dans la forge de Vulcain, il lui vola ses outils ; et le jour même il vainquit à la lutte Cupidon. Il enleva le sceptre de Jupiter, et la peur du feu fut la seule raison qui lui empêcha de voler aussi ses foudres.

Jupiter l'employa dans ses messages ; il le chargea de balayer la salle d'assemblée des Dieux, et l'occupait en qualité de son Échanson avant l'enlèvement dé Ganymede.

On lui avait donné des ailes qu'il avait attachées à son chapeau et aux talons de ses souliers ; elles lui aidaient à expédier plus promptement ses messages. Il ne dormait ni jour ni nuit, parce qu'il était chargé de recevoir les âmes des mourants, et de les conduire au séjour de Pluton et aux Champs-Elysées. Il portait à la main une verge d'or, autour de laquelle étaient deux serpents entortillés, qui semblaient vouloir se dévorer ; mais la verge avait la propriété de les concilier.

Lorsque Apollon fut chassé du Ciel et qu'il se rendit gardien des troupeaux d'Admete, Mercure vola les bœufs qu'il gardait. Il eut même l'adresse d'enlever l'arc et les flèches d'Apollon, pour empêcher ce Dieu de les faire servir à sa vengeance.

Mercure inventa la lyre, et l'échangea avec Apollon pour le caducée qu'il porta toujours dans la suite. Mercure en essaya la vertu sur deux serpents qui se battaient; aussitôt qu'elle les eut touchés, ils furent d'accord. Mercure s'en servait pour pacifier les différends, et pour rendre amis les ennemis.

Jupiter voulant soustraire l’a changée en Vache, à la garde scrupuleuse d'Argus, chargea Mercure de le défaire de ce gardien

La lecture du sens Cachant de la légende mythologique de Mercure est une source remarquable d'enseignements occultes et hermétiques, car indépendamment de la Planète se situant sur le plan astrologique comme étant la plus proche du Soleil, ce dieu de la mythologie romaine est la parfaite correspondance de l'Hermès des Grecs, qui lui-même n'était que la forme hellénisée du Dieu Égyptien THOTH.

Mais Soufre, Mercure et Sel des Philosophes ne constituent qu’un aspect intermédiaire de l’évolution de nos Éléments... Voilà qui guide avec beaucoup de précisions la démarche du lecteur de cette admirable Chrysopée. Le Soufre, Mercure et Sel des philosophes ne sont que des manifestations sur un plan intermédiaire. Notons au passage que Raymond Lulle replace le Mercure des philosophes à sa place intermédiaire, celle qui convient à la déclinaison de la Conscience se situant toujours entre la Providence et le Destin. Ceci renvoie à la pertinente indication que donne Dom Antoine-Joseph Pernety concernant ce mercure volatil qui ne sert de rien s'il n'est fixé à l'une ou l'autre couleur de l'Œuvre...

De leur série, naît une nouvelle, composée de deux Principes, supérieurs à tous les autres... En passant du plan de la plus dense manifestation que représente les quatre éléments, sur le plan d'une manifestation plus élevée, il est enclenché un processus d'augmentation du niveau vibratoire servant à parcourir le Principe de Perfectibilité. La Conscience qui se libère des jougs du Destin, accède à un état grâce auquel elle acquiert la faculté de recevoir des énergies des puissances supérieures. Énergies qui lui serviront à donner un corps toujours plus subtil (éthérique) à des pensées-formes plus justes en vertus.

Ce sont le Soufre des Sages, et le Mercure des Sages. Voici donc en réalité nos deux suprêmes Arcanes de l’Art. Et c’est de leur copulation finale que naîtra enfin la Chrysopée.... La perspective offerte à l'oeuvrant est celle d'une plus grande élévation en direction de l'Universel. Le quaternaire se réduit en ternaire, puis en binaire avant que d'atteindre le retour en UN... Un admirable Loggion de l'Évangile de Thomas dit :

110. Jésus dit : « Lorsque vous ferez que les deux soient un, vous deviendrez fils de l’Homme et si vous dites : Montagne, déplace-toi ! - elle se déplacera. »

Le Soufre des Sages, et le Mercure des Sages sont nécessairement un des plus hauts niveaux d'initiation auquel il soit possible de parvenir. Ce haut niveau ne peut pas s'obtenir en dehors de la Connaissance, et cette Connaissance est nécessairement celle de la Sagesse, l'Intelligence en action et en harmonie avec les lois de la Divine Providence. Comme l'indique si ésotériquement le loggion de Thomas, cette Connaissance est forcément celle de la Haute Magie, ce que va nous révéler sous le voile du langage Hermétique notre bon Raymond Lulle dans la suite de sa Chrysopée.