Basile Valentin 8

En cette création Dieu donna et comme versa à chaque nature de peur qu'elles ne périssent, étant sujettes à corruption, à chacune sa semence, afin que par telle vertu séminale elle se puisse garantir de mort, et que les hommes, les animaux, les plantes et les métaux, puissent être perpétuellement conservés, et ne fut pas donnée à l'homme telle vertu, que de pouvoir à son plaisir, contre la volonté de Dieu, faire de nouvelles semences, mais seulement lui permit de pouvoir étendre et multiplier son espèce. Et Dieu se réserva la puissance de faire de nouvelles semences, autrement la création serait possible à l'homme, comme étant la plus noble créature, ce qui ne se peut pas faire, mais doit être réservée au seul Créateur de toutes choses.

Commentaires :

Dans cet extrait admirable des douze clefs de philosophie, Basile Valentin, dans une simplicité limpide, nous indique un des principes essentiels de l'univers et qui est : Il n'y a qu'un seul et unique Créateur.

La créature reçoit la faculté de croître et se multiplier en nombre, ce que tous les textes ésotériques sacrés comme le Sépher de Moïse indiquent, mais elle ne disposera jamais de cette extraordinaire Faculté de la Divinité absolue, lui donnant le pouvoir d'une création ex nihilo.

Certes, la nature humaine, à l'image de Noé qui s'enivra en buvant le vin de ses trois vignes, s'enivre de cette faculté de croître et se multiplier au point de s'attribuer dans le délire de son ivresse, ce pouvoir de création. La pensée juste en vertus qui pourtant s'impose comme absolument incontestable, est que nous ne sommes jamais créateurs de rien. Dure réalité que celle-ci, douloureuse pour la vanité égotique, ramenant la dimension humaine à de plus justes proportions et que je traduis régulièrement par la formulation suivante : le Divin Créateur est en nous, mais nous ne sommes pas Lui.

Rien ni personne, pas même la science matérialiste pourtant si vaniteuse dans ses certitudes, ne peut expliquer ce pouvoir de création. Pour l'intellect raisonneur du scientifique, il lui semble possible d'expliquer l'accroissement et la multiplication (expansion) de l'Univers, mais ce qui lui a donné naissance, cette ultime seconde avant le Big Bang, aucune explication ne lui sera possible, surtout tant qu'il restera enfermé dans le processus de raisonnement causal.

Ce constat une fois établi, comme il est pratiquement impossible d'en dire quoi que ce soit qui puisse être humainement accessible, la science raisonneuse préfère l'ignorer pour se concentrer sur ce que son intellect perçoit plus aisément, les lois de cause à effet des manifestations matérialistes. Pourtant combien il serait utile et enrichissant de s'attarder sur le Principe essentiel du fait Créateur, par exemple en constatant qu'il n'est que l'attribut de l'Unique, et qu'aucune création ou créature ne partage, cet attribut devient obligatoirement le point de focalisation de son ipséité. Il est aussi la règle fondamentale et incontournable du monothéisme qui existait bien avant les prétentieuses « Religions » du Livre. La Théologie de l'ancienne Égypte était fondamentalement monothéiste et elle n'avait pas plus de dieux subalternes représentant les différentes forces de la Création, que les « Religions » du livre ont d'Archanges, Anges, Saints et démons. Lorsque l'on prend la peine, comme l'ont fait nos alchimistes, de discerner le fait Créateur du pourvoir multiplicateur, il n'est pas raisonnablement intelligent de ne pas être capable de distinguer ce qui revient à César et ce qui revient à Dieu.

Puisque ce pouvoir de Création est unique, et que l'être humain ne le partage en rien, tout ce qui l'entoure est donc issu de ce pouvoir, et lui-même en est la conséquence directe... Déduction simpliste penseront certains, mais combien elle permettrait de rendre les pensées de brillantes intelligences beaucoup plus lumineuses et justes si, comme nos alchimistes, ils établissaient avant tous travaux, de faire reposer ceux-ci sur cette base incontournable, plutôt que sur le dieu des ignorants qu'est le hasard. Ce fait Créateur est unique, et comme il est l'attribut du Divin Créateur, cette Vérité absolue immuable pour cause de perfection, toutes ses créations sont donc empreintes de cette perfection de laquelle il ne peut sortir sans déchoir de son état d'Absolu. Jusque-là, cette déduction d'apparence simpliste au départ peut parfaitement se suivre sans grand effort tout en conservant sa cohérence incontestable. Mais poursuivons dans l'esprit de l'extrait du texte en exergue de cette étude. Si chaque création de ce Divin Créateur se doit d'être parfaite dans son essence (à son image...), alors nécessairement elle est impérissable, car le propre de ce qui est imparfait c'est d'être périssable et mortel. Une vérité temporaire (relative) ne peut pas être absolue et immuable.

Voilà que les arborescences qui germent d'une déduction d'apparence simpliste, se compliquent et se sophistiquent considérablement. Si chaque création, comme l'indique ce texte, possède une semence perpétuelle (immortelle), qu'est-ce qui est en réalité périssable ? La réponse à cette question de bons sens devient un peu plus ardue. Reprenons depuis le départ : Le Divin Créateur est la Vérité absolue immuable, pour pouvoir créer il doit obligatoirement produire des créations qui ne sont pas la réplique de ce qu'il est, car le Un ne se multiplie pas, il reste l'Unique Grand Tout. Il faut donc pour que sa création et sa créature se différencient de l'Universel et de l'Absolu, qu'elles soient différentes, et donc nécessairement imparfaites. Nous retrouvons dans le premier chapitre des Tables de la Loi du Sépher de Moïse un trope admirable de concision synthétisant ce principe d'une façon magistrale :

26 °) Et-il-dit, Lui-les-Dieux (déclarant sa volonté), nous-ferons Adam en-ombre-nôtre, conformément-à-l’action-assimilante-à-nous...

L'ombre-nôtre n'est plus la représentation fidèle de cette perfection, mais une déclinaison incomplète.

Alors, est-ce à dire que les créations et les créatures sont nécessairement imparfaites pour pouvoir se distinguer de l'Universel et donc d'exister, ce qui reviendrait à constater que l'Unique Créateur n'est pas aussi Absolu que cela puisqu'il est capable de ne produire que des imperfections ?

Cet apparent paradoxe est facilement résolu dans l'énoncé de Basile Valentin. En effet, ce dernier nous indique que la semence qui se transforme dans des formes multiples (les hommes, les animaux, les plantes et les métaux), est perpétuellement conservée, car si la forme est mortelle pour cause de limitation et de perfectibilité, l'essence qui lui permet de se manifester temporairement est elle parfaite au point de pouvoir bénéficier de cette caractéristique divine qu'est l'immortalité. Là encore, la suite du verset 26, des Tables de la Loi du Sépher de Moïse, nous indique la pensée la plus juste et la plus en harmonie permettant de percevoir la parfaite cohérence de la Divine Création :

et-ils-tiendront-le-sceptre ; (ils régneront, eux Adam, l’homme universel), dans-les-poissons des-mers, et-dans-les-oiseaux des-cieux, et-dans-le-genre-quadrupède, et-dans-toute-mouvante-vie se-mouvant-sur-la-terre.

Adam, l'homme universel, est ici manifestement double puisqu'il est indiqué ; ils tiendront. Cette dualité est aussi une des conséquences de la dualité de la Création ayant un aspect périssable et impérissable. Adam l'homme universel (j'invite les lecteurs à reprendre mes commentaires sur ce sujet dans La Véritable Histoire d'Adam et Eve enfin dévoilée, tome I) est un androgyne, un hermaphrodite, ayant une partie (essence) divine et immortelle, que nous pourrions dénommer la Conscience, et une partie capable de s'identifier à des formes inférieures, perfectibles et périssables, et que nous pourrions qualifier de faculté volitive. Dans ce verset 26, il reçoit le sceptre (pouvoir) lui permettant de régner dans les multiples formes de la Création, sans pour autant être indissolublement lié à ces formes.

Nous pouvons donc d'ores et déjà déduire de ces petites observations, qui ne sont que des postulats difficilement contestables, que l'Unique Créateur produit des créations et créatures parfaites dans leurs essences, mais qu'elles possèdent la particularité d'éprouver différents états de perfectibilité lui faisant prendre progressivement Conscience de sa propre perfection et donc divinité. Un état d'imperfection, qui se caractérise par une forme donnée, est nécessairement une illusion, car il n'est pas conforme avec la Vérité absolue immuable, il est donc temporaire et périssable dans sa manifestation, tout en étant éternel dans son Principe. Ce que d'ailleurs nous dit Basile Valentin dans sa formulation : les hommes, les animaux, les plantes et les métaux, puissent être perpétuellement conservés... Ils ne sont pas conservés dans leurs formes manifestées, mais dans leur principe de manifestation possible. La perfectibilité de la Conscience, quelle que soit la forme dans laquelle elle se manifeste, est un élément de sa perfection, puisque c'est grâce à cette fonction de perfectibilité qu'elle parviendra, après un pèlerinage au travers de l'Oeuvre grandiose de la Divine Création, à la Conscience de sa propre perfection découlant de sa filiation Divine.

L'accession à la Connaissance ésotérique de la Divine Création, n'a nul besoin de références religieuses, je dirais même que le meilleur moyen de ne pas accéder à la Connaissance des plus hautes réalités Divines c'est de s'enfermer dans la prison des dogmes sclérosants de religions sectaires, étriquées et asservissantes. C'est aussi et encore une des conclusions qu'il est possible de déduire de ce passage particulièrement profond de notre guide et brillant alchimiste.