Evangile de THomas 10
Livre de l’Evangile Saint Thomas, Evangile selon Jésus, Loggion 8
1 Et il a dit :
2 L’homme est comparable à un pêcheur avisé
3 qui avait jeté son filet à la mer ;
4 il le retira de la mer plein de petits poissons.
5 Parmi eux,
6 le pêcheur avisé trouva un gros et bon poisson.
7 Il rejeta tous les petits poissons au fond de la mer,
8 il choisit le plus gros poisson sans peine.
9 Que celui qui a des oreilles pour entendre entende !
Dans ce Loggion 8, l'analogie de l'homme avec un pêcheur avisé est à mettre en relation avec la parabole de la multiplication des pains et des poissons. Dans cette parabole, le fameux miracle de la multiplication de ces nourritures n'est qu'une illusion provenant de l'interprétation qu'en donne le sens Parlant, assimilant directement les pains et les poissons à des substances physiques tangibles, alors qu'il s'agit en réalité de la puissante alchimie de transmutation qu'est la transsubstantiation... Ce faux "miracle" de la multiplication ex nihilo des matières denses, qui est perçu comme tel par les profanes incultes, n'est qu'une violation des lois de la Nature, une transgression des règles qui ramènerait son auteur non plus au rang de Mage et d'Initié, mais à celui de sorcier avec les conséquences désastreuses qui en découlent, ou tout simplement d'un illusionniste mystificateur.
Le véritable miracle ne viole jamais les lois de la Nature, il se contente de dépasser les limites des lois inférieures par la pratique de lois supérieures auxquelles les premières restent invariablement subordonnées. Ce que l'ignorant prend pour un "miracle", ne révèle en réalité que son état d'ignorance. Pour l'initié en la Science Hermétique, pratiquant naturellement le langage de l'analogie, le sens Cachant, la lecture ésotérique d'un texte occulte, la multiplication des pains et des poissons relève d'une fonction supérieure parfaitement naturelle. Sur le plan de la manifestation dense des formes physiques, la multiplication de ces substances est normalement soumise aux lois de causalité. Un pain ne peut se faire qu'en partant d'une certaine quantité de farine, cette farine provenant d'une certaine quantité de blé, et cette quantité de blé étant le fruit d'une récolte sur une certaine surface de terre... Qu’un seul de ces maillons manque à cette chaîne causale, et le résultat final en sera nécessairement altéré. Faire croire qu'un seul pain puisse se multiplier ex nihilo grâce à l'intervention miraculeuse d'un individu, aussi initié soi-il, c'est oublier que cette faculté de Création ex nihilo n'est que l'attribut unique du Divin Créateur, et qu'aucune de ses créatures ne peut se prévaloir de cette Faculté Divine. Ceux qui veulent croire en la réalité de ce type de "miracle" de saltimbanque, doivent alors admettre que ce n'est plus un individu qui pratique cet exercice, mais Dieu Lui-même... Et dans cette hypothèse absurde, il conviendrait de se demander : pourquoi, Celui qui est réputé pour ne faire que des choses parfaites, viendrait-Il transgresser ses propres Lois sauf à les considérer comme imparfaites au point qu'Il soit dans l'obligation d'intervenir pour compenser une ou des lacunes... Il n'est pas possible de violer les lois de la Nature, car ces Lois s'imposent aussi à leur Créateur pour cause de perfection. Donc, dans cette admirable parabole il ne s'agit pas de nourritures sous formes denses et matérielles, mais plus exactement de nourritures spirituelles, pouvant alors aisément se multiplier sans transgresser la moindre règle. En effet, ceux qui se trouvent dans un état de carence de ces nourritures spirituelles, peuvent les recevoir d'un seul pain (celui qui en possède les Connaissances) et se multiplier par un nombre infini de bénéficiaires, sans que cela soit ni miraculeux au sens où l'entend le profane ignorant, ni en contravention avec les causales du Destin ou celles de la Divine Providence. Transmettre une Connaissance peut se faire sans que celui qui nourrit se trouve jamais dépourvu de cette nourriture spirituelle et puisse sans cesse alimenter ceux qui cherchent à s'en nourrir. C'est aussi le sens ésotérique et profondément mystique de l'Eucharistie, le corps de "Jésus" symbolisé dans le pain qu'il offre en nourriture à ses disciples, est le corps de Connaissances spirituelles constitué de nourritures (pensées) de même essence.
Bien évidemment pour nourrir les affamés qui se présentent à lui, ce restaurateur doit avoir fait l'acquisition des "aliments" dont il entend les restaurer. Ceci nous ramène au pêcheur avisé de ce Loggion. Il doit d'abord jeter son filet à la mer, ce filet est celui que la Conscience sera parvenue à tisser et dont la taille et les mailles lui permettront de pêcher certaines catégories de nourritures spirituelles et pas d'autres. L'accroissement du champ de Conscience pourra se faire par l'accumulation de petites Connaissances, les petits poissons qui sont en grand nombre. Rappelons-nous que la Connaissance est le savoir éprouvé lors de mise en pratique volontaire, que la multiplication des petites épreuves peut constituer une pêche conséquente et de nature à satisfaire un appétit pour ces petites choses, mais il est aussi évoqué dans ce Loggion, un rapport entre la quantité et la qualité. Un gros poisson est toujours plus rare que les petits, il est aussi celui qui apportera les plus grandes satisfactions au pêcheur. Analogiquement, les petites mises à l'épreuve des vérités reçues, celles qui ne nécessitent que peu d'effort et donc d'activation de ses facultés supérieures, ne remplaceront jamais par le nombre (quantité ) les plus importantes mises à l'épreuve, celles qui impliquent que l'on soit capable de lui sacrifier le volume du nombre, mais dérisoire qualitativement, au profit de ce qui est rare et exceptionnel.
Choisir le gros poisson au détriment des petits, signifie ici que la quête de la plus haute Connaissance se fait en direction de la recherche avec une exigence de perfection et d'homogénéité, au détriment des illusions du nombre et de l'hétérogénéité. Les petits poissons capables de remplir le filet du pêcheur, par rapport au seul gros poisson qui se retrouve dans cette pêche, sont assimilables à ce que Confucius appelait le petit nombre et le grand nombre. Le premier concerne les Consciences qui font l'effort et le travail nécessaire pour emprunter et parcourir la voie de l'évolution. L'élargissement constant du champ de cette Conscience, la fait croître dans des proportions considérables, alors que les éléments qui constituent le grand nombre, ne se soucient pas de croître en volume, mais uniquement en quantité.
Notons que ce gros poisson est qualifié de "bon" ce qui laisse entendre que les petits ne sont pas des nourritures ayant une grande valeur nutritionnelle. Lorsqu'un niveau de haute Connaissance est atteint, “celui des choses supérieures”, pourquoi s'encombrer de la multitude des connaissances des petites choses inférieures... Le Principe qu'évoque ce loggion est d'une grande subtilité dans son application et il se traduit par déclinaison dans la vie courante par la saturation de l'intellect raisonneur par une profusion de petites préoccupations subalternes, matérialistes et périssables, qui ne laissent que peu de place pour se préoccuper des choses spirituelles d'une plus grande conséquence. Celui qui parvient à hiérarchiser, par un discernement subtil, le subalterne et le dérisoire en le subordonnant à l'essentiel, finira par se débarrasser des petits poissons sans valeur pour ne garder que le gros.
L'enseignement que nous transmet ce loggion est d'une application pratique directe pour ceux qui, comme je l'explique longuement dans le carnet du Rémora, parviennent à procéder à l'alignement des trois corps de la Conscience. Le pêcheur (la Conscience active) devra user de son libre arbitre, de sa faculté de discernement et de sa volonté notamment lorsqu'il doit prendre seul la décision de rejeter tous les petits poissons au fond de la mer... Dans le verset 47, du livre premier du Corpus Hermeticum : Pymandre, il est dit :
Aussitôt Dieu exprima la Parole sainte : “ Croissez en accroissant et multipliez en multitude, vous tous qui avez été créés et faits. Et que celui qui possède le Noùs sache qu’il est immortel et que la cause de la mort est l’amour du corps et de ce qui est terrestre.
Il y a ici manifestement une similitude spirituelle entre l'enseignement de l'Évangile de Thomas et celui du Corpus Hermeticum pour peu qu'on en fasse une lecture du sens Cachant ; sens Cachant qui est indiqué par cette dernière formulation : 9 Que celui qui a des oreilles pour entendre entende !