Le premier point.
4. De même qu'un feu a besoin de substance pour brûler, ainsi le feu magique de l'âme a la chair, le sang, et l'eau. Il n'y aurait point de sang si la teinture du feu et de la lumière n'étaient point de l'eau. Cette teinture est l'entité ou la vie de la sagesse (qui a en elle toutes les formes de la Nature), et est l'autre feu magique.
Jacob Boehme en brillant alchimiste consacré qu'il est, nous démontre par la formulation de ce paragraphe 3, de ce premier point, qu'il a pénétré la nature du feu dans son essence ultime. Tout comme la lumière est invisible dans le vide absolu, car elle ne révèle sa présence que lorsqu'elle rencontre un élément tangible qui en reflète une partie de son spectre, le feu a besoin d'une substance pour brûler. Comme toujours, la sophistication extrême se manifeste par une simplicité tout aussi extrême. Mais derrière une évidence ordinaire, se dissimule l'extraordinaire richesse de la Divine Création. Que serait le feu de l'intelligence du Divin Créateur s'il ne se manifestait pas dans sa Création?... Il ne serait qu'un feu potentiel en contingence d'être, dans un infini non manifesté froid et obscur. Ici, la profondeur de la pensée de notre alchimiste est telle, qu'elle rejoint celle que nous retrouvons dans la première partie des mystérieuses stances de Dzyan :
Il n’existait rien : ni le ciel clair,
Ni la large voûte des cieux étendue au-dessus de nos têtes.
Qu’est-ce qui couvrait tout ? Qu’est-ce qui abritait ?
Qu’est-ce qui cachait ?
Etait-ce l’abîme sans fond des eaux ?
Il n’y avait pas de mort - cependant rien n’était immortel ;
Il n’y avait rien qui divisât le jour de la nuit ; L’Un seul respirait sans souffle, de lui-même:
Depuis, il n’y a eu rien que Lui.
Les ténèbres régnaient, et tout, au commencement, était voilé
Dans une obscurité profonde - océan sans lumière.
Le germe qui sommeillait encore dans l’enveloppe
S’entrouvrit sous l’influence de la chaleur ardente, en forme de Nature Une.
Le Feu de cette Intelligence suprême n'émet ni chaleur ni lumière (une sorte de trou noir absolu) tant qu'il ne se manifeste pas par un acte créateur, celui qui met en mouvement ce premier tourbillon qui engendrera par son énergie cinétique chaleur et lumière. Et qu'est-ce donc qui peut produire ce mouvement qui fera sortir du zéro absolu ce Nombre 1 créateur, suivi par les premiers degrés de température de ce feu magique qui se met à brûler ?... Rien d'autre que la Volonté qui veut que cela soit! Et si cette Volonté première qui est à l'origine de ce premier mouvement créateur, est celle du Divin Créateur Lui-même, alors sa manifestation flamboyante sera si grandiose qu'il sera difficile, à n'importe laquelle de ses créatures, de pouvoir se faire une idée précise de sa majestueuse réalité. Ce Feu originel, pour nos scientifiques matérialistes, est caractérisé par leur théorie du "Big Bang"; il est l'élément ultime qui serait à l'origine de la création séparant le "rien" du "tout", alors qu'en réalité, il n'est que l'origine d'une forme limitée de création aussi grandiose soit-elle, mais pas la Création dans son ensemble. L'origine du Feu magique, comme l'appelle si justement Jacob Boehme, est donc la Volonté, cette faculté volitive n'est que la compagne, comme l'expliquent si judicieusement les Tables de la Loi du Sépher de Moïse, d'une Conscience, ou d'une âme selon ce qu'en dit notre alchimiste. Autant l'âme, par son immortalité, peut se contenter d'être dans une immobilité contemplative, autant le feu magique de sa volonté ne peut brûler (énergie cinétique) que dans le cycle des mouvements de manifestations de la sphère organique temporelle. Si la Conscience du Divin Créateur exprime, par l'ensemble de sa Création, la volonté que cela soit en faisant ses créatures à son image (selon le langage analogique uniquement) il donne à chacune, la conscience qu'elle doit avoir d'elle-même et le feu magique de leur propre volonté (force du feu) qu'elles pourront manifester dans la sphère temporelle.
Le feu magique de la volonté, qui crée le mouvement dans la sphère temporelle, comporte les différentes teintures de la lumière, spectre qu'il faut concevoir dans un ensemble de puissances visibles et invisibles qui le composent. Par cette simple définition, Jacob Boheme nous indique les richesses infinies que renferme ce Feu magique qui a la capacité de se manifester sous la forme de la lumière nourricière de toutes choses, et sous celui de l'eau, dont j'ai eu l'occasion lors d'un précédent article dans le Grand Œuvre d'Hermès Trismégiste, de dire qu'elle ne pouvait exister sans l'intervention du feu.
Cette teinture est l'entité ou la vie de la sagesse (qui a en elle toutes les formes de la Nature)... Le contenu de cette affirmation, je devrais plutôt parler de cette illumination, est si riche en arborescences lumineuses, qu'il ne serait pas possible d'en venir à bout même en écrivant plusieurs volumes sur ce sujet. La teinture, que nous pouvons entendre par coloration, n'est rien d'autre que les nuances vibratoires constitutives des puissances différenciées de l'Universel tout en restant unies à Lui, et qui se manifestent par ce Feu magique et fécondant. Chaque couleur de cette teinture comprend des nuances considérables allant du plus sombre au plus clair ; et chaque tonalité de cette couleur est une sous puissance de la puissance colorante. Rappelons-nous, que la lumière, les couleurs, les sons, les parfums, la matière et ses différentes textures ne sont rien d'autre que des variations vibratoires, allant du plus épais au plus subtil.
Le niveau vibratoire le plus élevé, est donc celui qui contient tous les autres, ce qu'il peut faire lorsqu'il se manifeste dans l'Éternel Moment Présent dans un Tout en simultané, et dont chaque degré sera décomposé dans la sphère temporelle dans un tout en mode successif. La Teinture du feu magique originel contient bien toutes les nuances de la vie manifestée, et par l'intelligence, l'harmonie et la cohérence qui rendent cette vie possible, elle est nécessairement l'Entité de la sagesse absolue. La vision de Jacob Boehme est une des plus abstraites qui soit, mais sa justesse en vertus s'approche tellement de la Vérité Absolue qu'elle en acquiert un poids considérable, en plus d'une indiscutable intemporalité, comme c'est le cas dans une telle circonstance.
Reste un autre aspect hermétique de cette vision profondément mystique, celui qui veut que le feu magique ne puisse brûler sans le secours d'une substance... Ceci voudrait dire qu'en réalité ce feu n'est que la conséquence de la matière qui lui sert de substance. Nous pourrions parfaitement admettre que ce feu magique, expression de la faculté volitive d'une Conscience, est celui qui donne consistance à cette substance, et par voie de conséquence que cette substance est totalement tributaire du feu, auquel cas il serait tout aussi juste de dire que la substance a d'abord besoin de ce feu pour être. Et là encore, l'illumination de Jacob Boehme ne peut pas être mise en défaut, car il nuance suffisamment son propos pour ne pas omettre que ce feu magique n'est qu'un composant de ce qui constitue l'entité qu'il qualifie ici de teinture (la vie de la sagesse). A l'origine nous retrouvons le Nombre 01, ce Divin Créateur qui contient tout en simultané, et qui ne pouvant pas se multiplier, se divise d'abord en 2, ce qui se traduira par l'essence et la substance, la lumière et les ténèbres, le chaud et le froid, le mâle et la femelle etc..., le feu magique animateur lumineux, et cette matrice fécondante de l'eau, phénomène admirable décrit dans le Corpus Hermeticum : Pymandre 9 :
Peu de temps après, dans une partie de cette lumière, des ténèbres effrayantes et lugubres descendirent et tournoyèrent en spirales sinueuses semblables à un serpent, me sembla-t-il. Puis ces ténèbres se transformèrent en une nature humide et indiciblement trouble, d’où s’éleva une fumée comme un feu, tandis qu’elle faisait entendre un bruit pareil à un gémissement indescriptible.
Si, comme je le fais dans ce présent article, nous prenons la peine de comparer la vision de Jacob Boheme avec les Enseignements ésotériques les plus élevés, nous pouvons constater que la tonalité de cette vision s'harmonise presque parfaitement avec celle de ces Enseignements provenant des plus anciennes écoles de sagesse. Jugeons l'arbre à ses fruits, et l'être humain à ses oeuvres, et soyons capables de nous imprégner de pensées ayant un si haut niveau vibratoire. L'harmonisation de nos pensées avec celles d'une si haute élévation est l'exercice que nous devons pratiquer chaque fois que l'occasion nous en est donnée, et sans lequel exercice nous n'avons aucune autre possibilité de pouvoir dépasser les limites de notre condition humaine si limitée.
Enfin, si nous activons le feu de notre volonté bien évidemment...
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