Livre de l’Evangile Saint Thomas, Evangile selon Jésus, Loggion 6.
1 Ses disciples l’interrogèrent et lui dirent :
2 Veux-tu que nous jeûnions ?
3 Comment prierons-nous ?
4 Comment donnerons-nous l’aumône ?
5 Et qu’observerons-nous en matière de nourriture ?
6 Jésus dit :
7 Ne dites pas de mensonge,
8 et, ce que vous récusez, ne le faites pas,
9 parce que tout est dévoilé à la face du ciel.
10 Il n’y a en effet rien de caché qui ne se manifestera,
11 et il n’y a rien de recouvert
12 qui restera sans être dévoilé.
Commentaires :
Ce loggion 6, est par son contenu, parmi les plus subversifs et révolutionnaires qui soit. Nos joyeux disciples, ceux en quête d'un maître, d'un guide, d'un gourou, - béquilles dérisoires devant suppléer aux carences de leurs ignorances, et aux manques de discernement découlant de celles-ci -, libérés de leur prison des routines rassurantes de rituels sans âmes, au lieu de respirer à pleins poumons l'air de cette liberté ineffable, n'ont de cesse que de retrouver l'illusoire confort de leurs monotones cérémonials. Ils veulent bien continuer à être des disciples, selon l'image qu'ils s'en font, c'est-à-dire avec étiquette, formalités, formules, protocoles, règles, usages offices, célébrations, messes, sacrifices expiatoires et autres servitudes, qu'ils pensent que l'idée qu'ils se font de Dieu, exige en rétribution de sa bienveillance, avec pour inévitable corolaire une malveillance de sa part dans le cas d'un paiement incomplet ou défaillant...
Si nous devons juger l'arbre à ses fruits, jugeons nos joyeux disciples à la pertinence de leurs questions.
2 Veux-tu que nous jeûnions ?... Préoccupation éminemment sensorielle que celle d'un jeûne représentant probablement la forme de sacrifice (effort) qu'il soit possible de demander à des profanes incultes n'ayant que les sens organiques en activité. La pratique de ce jeûne devant activer chez le "disciple" un début de pratique de l'effort, mais qui n'est pas nécessairement celui de la faculté volitive s'exerçant dans le cadre du libre arbitre. N'oublions pas que pour qu'il y ait pratique de cet usage du jeûne, le profane inculte doit redouter les pires calamités en cas de défaillance de sa part. Par cette simple question, nos joyeux disciples révèlent qu'ils ne sont pas très avancés sur la voie de l'évolution, tant ils sont préoccupés par l'aspect matérialiste de la pratique de ce qu'ils prennent pour de la spiritualité, spiritualité qui se trouve gouvernée par la peur, la plus basse des émotions. Avec un peu de recul, de médiation et de Connaissances solidement éprouvées, ils auraient dû parvenir à une pensée nettement plus juste en Vertus, en considérant que si la faim est de l'ordre des fonctions organiques naturelles, la satisfaction de cette faim requiert pour être juste, qu'elle ne soit ni trop copieusement nourrie, ni trop pauvrement, ces deux excès étant naturellement générateurs de déséquilibres et de troubles organiques et spirituels. Le jeûne n'est profitable qu'à ceux qui se sont livrés à des excès de table, sa pratique est un salutaire repentir qui mène à la rédemption des troubles physiques et à si peu de rédemption spirituelle. Le jeûne pour ceux qui se nourrissent avec sobriété et tempérance est un risque d'affaiblissement physique et intellectuel, cette baisse de l'énergie circulante, lorsqu'elle est trop prononcée, engendre des dérèglements de la vision intellectuelle et spirituelle. D'autant que le principe d'un rituel de la nature d'un jeûne, a en plus ceci d'infiniment stupide, c'est que s'appliquant sans discernement à tous les adeptes, il méconnaît la situation de chacun et pratique la forme d'injustice la plus criante qui est celle de l'égalité. Cette égalité n'est possible qu'en ignorant les disparités illimitées qui sont le propre de la Divine Création ; elle ne peut donc se faire que selon le plus petit dénominateur commun à un ensemble disparate, et aligner cet ensemble sur ce plus petit dénominateur commun, est ce qu'il est d'usage d'appeler une régression. Comme le disait si justement Fabre d'Olivet, la vérité ne se trouve que sur la voie du juste milieu, sortir de cette voie, en bas, comme en haut, c'est sortir d'une perception harmonieuse et Juste. Poser une question à celui que l'on considère comme un maître, et qui contient autant de perversions vicieuses, n'est pas très honorable pour qui se prétend disciple, et peu flatteuse pour le "maître". Comme j'ai coutume de le dire : seule la considération des médiocres m'est une offense.
3 Comment prierons-nous ?... Cette question dont le comique est à la limite du burlesque, confirme s'il en était encore besoin que l'élévation du maître n'attire pas nécessairement des disciples de même complexion à son niveau. Comment peuvent-ils croire qu'il y ait une forme académique de la prière?... Ceci revient à dire que ceux qui posent cette question désopilante, s'imaginent que pour s'adresser à Dieu ou aux forces et intelligences supérieures il y a un mode d'emploi ignoré d'eux mais que d'autres posséderaient. Il découle forcément de ceci, que ceux qui détiendraient ce mode d'emploi officiel de la prière seraient détenteurs d'une vérité révélée, qui s'appliquant là encore à tout le monde sans discernement de condition, d'élévation et d'évolution, serait de l'ordre de la Vérité Absolue celle qui n'est pourtant que l'attribut du Divin Créateur. Voilà, comme je le disais au début de cet article, la manifestation d'une très grande ignorance, celle qui n'est pas capable de comprendre que si la Vérité Absolue est l'apanage unique du Divin Créateur, toutes les autres manifestations de la création sont des vérités plus ou moins relatives ; et qu'il découle de ce constat, que personne ne détenant la Vérité Absolue, il n'y a donc que des vérités plus ou moins universelles, et celui accédant à la Connaissance sachant cela, ne pourra jamais avoir le manque d'humilité qui lui permettrait de dire péremptoirement : faites ceci, plutôt que cela en matière de prière. Cette relation intime et exclusive que chaque âme-de-vie a la faculté d'entretenir par la prière avec la plus haute idée qu'elle se fait de Dieu, de son Dieu est une relation exclusive et spécifique à chaque état de développement de la Conscience.
4 Comment donnerons-nous l’aumône ?... Là encore, cette question passablement indigente, révèle l'étendue de l'ignorance de nos joyeux disciples, dont je n'ose m'interroger pour savoir de quoi ils se prétendent disciples... D'abord, si j'étais à la place de celui qu'ils interrogent, je leur répondrais : avant d'avoir la vanité de vouloir faire l'aumône, vérifier d'abord que vous en avez les moyens... Car s'il s'agit de jeter des miettes de pain aux oiseaux, la chose sera peut-être possible, mais s'il s'agit de partager le plus précieux des trésors qu'est la véritable Connaissance, compte tenu de ce qui précède, il me semble être plus dans la situation de recevoir cette aumône que de la donner. On ne peut donner que ce que l'on possède, il convient donc tout naturellement, avant de vouloir donner, d'être capable de recevoir, ce qui suppose que l'on n’ait pas la vanité de se croire suffisamment pourvu au point de se considérer riche à pouvoir faire l'aumône à ceux que l'on jugerait plus pauvre que soi. Enfin, il me semble que le vrai disciple n'a pas dans sa préoccupation cette action très condescendante de charité, mais qu'il a plus la préoccupation d'acquitter la dette qu'il a souscrite auprès de ceux qui l'ont enrichi, et dont l'unique moyen qu'il a de s'en acquiter consiste pour lui à distribuer aussi généreusement et au moins autant qu'il a reçu. Cette charité-là, a ceci de supérieure à la charité matérialiste c'est qu'elle enrichit le pauvre, tout en accroissant les richesses du riche. Ici vous avez une des explications de la fameuse parabole de l'Évangile de Matthieu :
15.32 Jésus, ayant appelé ses disciples, dit: Je suis ému de compassion pour cette foule; car voilà trois jours qu'ils sont près de moi, et ils n'ont rien à manger. Je ne veux pas les renvoyer à jeun, de peur que les forces ne leur manquent en chemin.
15.33 Les disciples lui dirent: Comment nous procurer dans ce lieu désert assez de pains pour rassasier une si grande foule?
15.34 Jésus leur demanda: Combien avez-vous de pains? Sept, répondirent-ils, et quelques petits poissons.
15.35 Alors il fit asseoir la foule par terre,
15.36 prit les sept pains et les poissons, et, après avoir rendu grâces, il les rompit et les donna à ses disciples, qui les distribuèrent à la foule.
15.37 Tous mangèrent et furent rassasiés, et l'on emporta sept corbeilles pleines des morceaux qui restaient.
15.38 Ceux qui avaient mangé étaient quatre mille hommes, sans les femmes et les enfants.
Les seules nourritures qui se multiplient et qui permettent de rassasier tout le monde, tout en restant constamment abondantes, sont bien évidemment des nourritures spirituelles. Ce sont en plus celles qui font le plus défaut à l'âme-de-vie pour assurer sa croissance et son développement. Si nourrir sa forme organique est important pendant la durée de son existence très limitée, combien il est au moins aussi important, si ce n'est davantage, de nourrir ce corps spirituel qui lui, a l'avantage d'être en plus immortel. Pour terminer sur cette drolatique question, si elle m'avait été directement posée, sans que je sois ni guide, ni gourou, ni maître, j'aurais répondu : Qu'il est dans l'ordre naturel des choses que ce soit aux riches qu'il échoit de donner aux pauvres. Ceci n'est pas qu'une simple lapalissade, l'inverse dans la sphère de causalité du Destin est beaucoup répandu que ce que vous pouvez imaginer.
5 Et qu’observerons-nous en matière de nourriture ?... Après ce qui précède, j'ai le sentiment qu'il serait possible à n'importe qui de répondre correctement. S'il s'agit de nourriture terrestre, l'insignifiance de la question est telle, qu'elle ne mérite même pas la considération d'une réponse. S'il s'agit de nourriture spirituelle, la qualité de cette nourriture sera fonction du niveau de Connaissance de celui qui la produit. Là encore, une parabole du Nouveau Testament peut illustrer mon propos avec ces versets de l'Evangile de Matthieu du Nouveau Testament :
7.6 Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds, ne se retournent et ne vous déchirent.
7.7 Demandez, et l'on vous donnera; cherchez, et vous trouverez; frappez, et l'on vous ouvrira.
7.8 Car quiconque demande reçoit, celui qui cherche trouve, et l'on ouvre à celui qui frappe.
7.9 Lequel de vous donnera une pierre à son fils, s'il lui demande du pain?
7.10 Ou, s'il demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent?
7.11 Si donc, méchants comme vous l'êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent.
7.12 Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c'est la loi et les prophètes.
Les réponses qui sont données à ces joyeux disciples me semblent contenir en esprit ce que je développe dans les commentaires de cet article.
7 Ne dites pas de mensonge... Simple comme une formule magique, et c'est d'ailleurs une formule magique. Ne pas vouloir dire de mensonge implique une quête constante de la vérité, ce que j'appelle une pensée juste en Vertus. Il ne s'agit pas ici de s'abstenir que de la pratique du mensonge volontaire, ce qui déjà est beaucoup plus difficile qu'il n'y paraît de prime abord, mais aussi de celle du mensonge que nous pourrions véhiculer par certitude ignorante comme une pseudo vérité. Nous remarquerons d'ailleurs que le maître ne répond pas directement aux questions oiseuses et de piètre portée spirituelle de ceux qui se prétendent ses disciples. Pour satisfaire à cette injonction de ne pas dire de mensonge, il faudra une progression considérable de l'évolution des disciples débutants. Parmi les pièges qui sont régulièrement tendus par les arcanes du Destin, il y a la terrible routine somnambulique, celle que nous reproduisons mécaniquement sans même lui accorder la moindre réflexion consciente, du genre : bonjour ça va? Et de répondre mécaniquement: Oui merci ça va et toi?... Ne croyez pas qu'il s'agit d'un petit mensonge sans conséquence, il sera suivi tout au long d'une seule journée, par une multitude de compères, ce qui aura pour conséquence d'ouvrir un vaste espace d'insignifiance dans lequel nous nous laisserons paresseusement aspirer par récurrence. Ne pas dire de mensonge implique nécessairement le refus de paraître, pour ne laisser place qu'à la réalité de l'être. Voilà encore un exercice redoutable, tant nos sociétés sont construites uniquement sur l'apparence, et dénient si souvent le droit de l'être dans ce qu'il a de plus essentiel. Ne pas mentir consistera aussi à ne pas le faire même par complaisance amicale, familiale, ou sous de faux prétextes charitables. Sans oublier le redoutable mensonge volontaire par omission pour des raisons toujours discutables... On peut parfaitement vivre toute sa vie dans le mensonge, mais il ne faut pas s'étonner après cette longue pratique, de se retrouver à mourir dans le même état d'ignorance, avec les conséquences karmiques que cela induit. Chacun est libre et responsable de ses choix, mais la Justice de la Divine Providence veille à n'accorder à chacun que selon ses mérites.
La suite et la fin de cet admirable loggion ne me paraissent pas comporter de difficultés d'interprétation dans le sens hermétique que j'ai précédemment développé. Retenons que quelque soit le ou les mensonges, ils n'auront qu'une durée de vie infiniment brève, car la loi supérieure, celle de la Providence, finira toujours par s'imposer parce que tout est dévoilé à la face du ciel.
10 Il n’y a en effet rien de caché qui ne se manifestera... Le mensonge a donc forcément ceci d'inférieur à la Vérité, c'est qu'il est mortel !
*
* *