Grillot de Givry 11

Empresse-toi de te diriger vers cette lueur encore indécise. Suis-là ; c’est l’étoile des Mages qui se lève pour toi et qui va te conduire, si tu ne la quittes du regard, vers le Maître du Monde.Livré à toi-même, tu t’es caractérisé par le désordre des idées et le désordre des actes.Le spécifique à ce désordre est la rentrée en toi-même.La rentrée en toi-même exige l’effort de volonté continu et durable.Grillot de Givry livre ici à son élève de généreuses et extrêmement précises indications, toujours à la condition de ne pas lire ce texte d'une grande profondeur, uniquement par le sens Parlant ou Signifiant, d'une façon frivole et désinvolte, comme c'est hélas le mode de lecture le plus répandu dans une civilisation surmédiatisée, mais avec l'attention et la concentration que requiert le sens Cachant et son langage analogique.

Empresse-toi de te diriger vers cette lueur encore indécise... Le sens Parlant et le sens Signifiant invitent à donner pour forme à cette lueur (notons encore la subtilité du langage, il n'est pas parlé de lumière...), celle que perçoit habituellement la vision binoculaire du sens organique. La Conscience, camisolée dans son identification à sa forme incarnée, pour humaine qu'elle soit, transposera selon la loi du moindre effort, - encore une pratique commune au troupeau de sans cervelle -, à la lueur visuelle d'une source d'éclairage quelconque. Cette transposition simplificatrice ayant pour effet d'extérioriser dans une forme fixe et épaisse ce qui est de l'ordre du volatil et du subtil. Même si la transposition de ce que perçoit la Conscience éclairée par la signification du langage analogique, est difficilement traduisible dans le langage vulgaire et commun, car selon la formule, traduire c'est inévitablement trahir, il convient de signaler aux lecteurs peu au fait des subtilités du langage hermétique, que cette lueur est celle de l'intelligence-sagesse de la véritable Connaissance, qui n'est que difficilement perceptible dans les ténèbres de l'ignorance.

La caverne de Platon, dont j'ai résumé le concept dans un précédent article du Grand Oeuvre d'Hermès Trismégiste, symbolise admirablement ce concept d'une lueur d'abord à peine perceptible par des individus qui ouvrent leur Conscience à la clairvoyance, et ce n'est pas encore la lumière, car comme pour la vision organique, la vision spirituelle doit s'acquérir lentement avec une nécessaire et lente adaptation de cette faculté, avant qu'elle ne parvienne à recevoir non plus des lueurs, mais de véritables lumières qui finiront par croître en intensité, au fur et à mesure de l'activation de cette faculté supérieure spirituelle.

Cette lueur encore indécise de la véritable Connaissance, est nécessairement d'une autre nature que celle des ténèbres de l'ignorance... Encore une lapalissade penseront certains, mais elle est comme toutes ces choses qui nous paraissent si ordinaires dans la nature, mais pour peu que nous fassions l'effort de concentrer notre attention dessus, elle nous révèle l'extraordinaire, que voile cette apparence ordinaire. Donc, si la lueur est différente des ténèbres, encore faut-il être en mesure de la percevoir, c'est-à-dire ne pas avoir sa vision supérieure totalement atrophiée par un cruel manque de pratique, et il convient d'y ajouter une qualité sans laquelle la perception, même faible de cette lueur, ne serait d'aucune utilité, et qui est le discernement.

Combien d'êtres humains seraient aujourd'hui capables d'admettre, dans ce monde de sur médiatisation, qu'ils sont en réalité profondément ignorants de tout ce qui dépasse les limites de leurs préoccupations égotiques ? Probablement un très petit nombre... Combien seraient capables d'admettre que ce qu'ils prennent pour de la Connaissance n'est en vérité qu'une accumulation d'informations, plus ou moins obsolètes, mémorisées sous forme de « savoir » ? Combien seraient capables de discerner dans ce piètre savoir qui leur sert de viatique intellectuel, ce qui relève du bourrage de crâne, véhiculé machinalement de génération en génération, de ce qui est le plus proche de la Vérité Absolue? Combien auraient le courage, car il en faut, de ne plus radoter les lieux communs d'une normalité de somnambules lors de conversations constituées de verbiages creux, d'apparences illusoires et de sociabilité artificielle et dérisoire ? Combien auraient l'humilité de ne plus exhiber leurs médiocres certitudes ne reposant que sur des postulats vaseux et surtout non éprouvés ? Pourquoi celui qui prend ces ténèbres d'ignorance pour de la lumière, suivrait-il une faible lueur d'une autre nature qui remettrait si cruellement en cause son état d'animal humain si étriqué, qu'il lui faudrait avoir le courage de dominer et vaincre le gardien de sa prison de certitude ayant pour nom l'ego ?

Suivre cette lueur de véritable Connaissance, implique donc de dominer, domestiquer et asservir l'ego et ses terribles travers de vanité, de suffisance, de prétentions, de susceptibilités orgueilleuses, d'autosatisfaction, de paresse intellectuelle et du culte des faux semblants. Ce n'est qu'après cette victoire qu'il devient possible de décider librement de suivre cette lueur. Cette décision implique l'usage du libre arbitre, se traduisant toujours par des choix rebelles et par l'expression d'une volonté qui s'affranchit du joug que fait peser la destiné sur la Conscience en état de faiblesse. Cette lueur, comme le précise admirablement Grillot de Givry, est encore indécise, et comment pourrait-il en être autrement... Une perception lumineuse, si faible dans un état dominé par une obscurité si profonde, peut facilement passer pour une illusion, ou une chimère utopique... Ceci correspond parfaitement aux principes de la Divine Providence qui vient murmurer à l'oreille de la Conscience, la voix du silence, sans jamais s'imposer, attendant que le bénéficiaire de ses lueurs, accepte de les recevoir par adhésion volontaire et clairement manifestée.

Suis-là... Ce vigoureux conseil ne pourra être suivi par le disciple auquel s'adresse Grillot de Givry, qu'à la condition qu'il soit parvenu à se libérer de sa prison de certitude, celle de la Raison stérile ne reposant que sur des paramètres peu crédibles. Pour suivre une simple petite lueur, il faut aussi croire en cette faculté supérieure si atrophiée dans cette civilisation raisonneuse et matérialiste, et qui est l'Intuition. L'intuition n'est pas le délire, les fantasmes et les élucubrations, comme trop souvent le manifestent les ignorants et les profanes, mais c'est cette faculté qui relie la Conscience à ce grand Tout par la pratique de la Foi concomitante avec la Raison... Il faut de la Foi pour suivre l'intuition qui ne fait percevoir qu'une faible lueur, et croire que c'est là, la voie à emprunter. Mais c'est pourtant grâce à cette lueur que le prisonnier de la caverne a une chance de suivre le chemin qui le mènera vers la lumière, uniquement par elle et rien d'autre. Car, et Grillot de Givry démontre encore une fois sa très haute initiation, il n'y a qu'une seule voie qui ne comporte que deux directions, l'une l'involution et les ténèbres de l'ignorance, et l'autre l'évolution et les lumières de la Connaissance.

... c’est l’étoile des Mages qui se lève pour toi et qui va te conduire, si tu ne la quittes du regard, vers le Maître du Monde... Merveilleuse image chargée de symboles que celle de ces Mages suivant l'étoile, ceci permet d'éclaircir le véritable sens ésotérique des fameux Rois Mages qu'une traduction Biblique particulièrement abâtardie a transposée dans un anthropomorphisme rustique d'un pseudo évènement historique parfaitement chimérique. L'étoile des Mages est cette lueur de la véritable Connaissance qui se lève (qui élève) celui qui la prend pour guide, et à la condition qu'il fasse l'effort, et cela en est un considérable, au moins pour les premiers temps de sa pratique, de ne plus la quitter du regard. Transposer en langage commun, la forme que peut revêtir cette pensée « si tu ne la quittes du regard », pourra être celle d'un suivi du regard de la vision binoculaire, ce qui peut ne pas paraître bien difficile à pratiquer, mais si l'on conserve le sens Cachant qu'il convient de donner à cette formulation hermétique, il faut traduire par regard celui d'une vision spirituelle sur laquelle il faut parvenir à maintenir continuellement son attention, et là, l'exercice s'avère d'une tout autre difficulté. Pour caricaturer ce concept, je dirai qu'il est facile de maintenir ses bras le long du corps, tant que cela suit naturellement les lois de la gravité, et qu'il est autrement plus difficile de les maintenir levés au-dessus de sa tête, tant cela implique de volonté de courage et d'efforts, pour justement parvenir à vaincre l'attraction de cette gravité... Si vous remplacez les bras par l'esprit et la gravité par l'ego, vous aurez une plus juste appréciation de ce que veut dire l'expression de Grillot de Givry : si tu ne la quittes du regard...

Livré à toi-même, tu t’es caractérisé par le désordre des idées et le désordre des actes... Je pourrais traduire ce que veut dire ce passage, par la question suivante : dans quelle direction doit-on aller lorsque l'on est dans un endroit totalement obscur, par une nuit sans lune et temps de brouillard, de plus, en ignorant tout sur l'endroit où l'on se trouve ?

Un adage populaire dit : il n'y a jamais de vents favorables pour le bateau qui n'a pas de port. Une Conscience incarnée dans les ténèbres de l'ignorance, ne sachant pas d'où elle vient, qui elle est vraiment, et surtout où elle doit aller, se trouve livrée à elle-même sur les puissants courants d'une destinée engendrant des tourbillons des cascades, des chutes, des circonvolutions ne permettant pas une navigation ordonnée et maîtrisée. Il en est de même pour ce qui est des idées (pensées), leur désordre induira le même désordre des paroles et des actions, donnant l'impression d'une incohérence hasardeuse et chaotique que l'esprit peu éclairé tentera de résoudre par un suivisme d'une normalité apparente et artificielle. Suivre le troupeau ne veut pas dire pour autant que le troupeau va dans la bonne direction, l'histoire des moutons de Panurge en est le symbolique témoignage.

Le spécifique à ce désordre est la rentrée en toi-même... Le seul moyen de sortir de ce désordre que constitue l'identification égotique à une forme incarnée, passe nécessairement par une prise de Conscience de la dualité qu'il y a entre la forme (matière) et l'esprit qui l'anime. Que cet esprit est différent de cette forme dans son essence, et que leur destinée est forcément amenée tôt ou tard à diverger, la forme, élément hétérogène, restituant à la nature les composants lui permettant d'exister, et l'esprit retrouvant son état homogène spécifique originel. Le désordre des idées et des actes ne peut provenir que de l'intellect raisonneur et sa façon de segmenter la création en une multitude de choses extérieures et d'apparences indépendantes. Cet intellect, produit des cinq sens de la forme matérielle, et ses conceptions hétérogènes, considère d'ailleurs qu'il est lui-même une chose distincte de toutes les autres qui l'entourent, comme il pense être un élément différent de cette humanité à laquelle il appartient. La Conscience ne parvient à se libérer de ce désordre de l'hétérogénéité, qu'en cessant de s'identifier à la forme charnelle et périssable ; elle ne peut parvenir à le faire qu'après avoir dominé et domestiqué la puissante animalité de l'ego, et en concentrant ses efforts sur ce qu'elle est réellement, et non sur l'apparence de ce qu'elle paraît être. Cette rentrée en soi-même, qu'évoque si judicieusement Grillot de Givry ne peut pas être le produit de l'intellect raisonneur, mais uniquement le fruit d'une des facultés propres à cette Conscience, je veux parler de la méditation. Subtile distinction à laquelle se trouve confronté le disciple auquel s'adresse l'auteur de cet enseignement, et qui devra avoir atteint le niveau d'évolution qui lui permettra de discerner l'état volatil de la méditation, de l'état fixe de la raison intellectuelle. La forte attraction magnétique de cette dernière, venant perturber et neutraliser l'état infiniment délicat de la méditation qui requiert toujours de s'affranchir des préoccupations perturbantes de l'ego. Dans les Tables de la Loi du Sépher de Moïse, l'ego est le fameux serpent tentateur de Nahash l'attracteur cupide, et ce qualificatif résume parfaitement sa fonction et la toute-puissance de son magnétisme dans la sphère de la plus dense cristallisation.

Comprendre la nécessité de sortir du désordre de la sphère hétérogène est déjà une première étape de la libération de la Conscience, de sa prison égotique que constitue sa totale identification à la forme corporelle. Parvenir à le faire est l'étape suivante d'une difficulté dont la croissance est exponentielle, cela implique la mise en oeuvre de toutes les facultés spirituelles supérieures, et un accroissement considérable du niveau de Connaissance, ce que confirme la formulation suivante :

La rentrée en toi-même exige l’effort de volonté continu et durable... Nous voici maintenant au pied de l'ouvrage, l'édifice à construire (le Grand Œuvre) est une entreprise considérable. La prise de Conscience de son ampleur est une première étape devant permettre de doser justement l'effort qu'il faudra fournir et la volonté dont il conviendra de faire preuve pour mener le chantier à son terme, mais avant d'en arriver là, il va falloir franchir toutes les étapes de la construction qui sont très nombreuses...

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